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QUESNEL. AVANT LA BULLE UNIGENITUS


entre M. le cardinal de Noailles et les évêques de Luçon et de La Rochelle.

L’ufjaire Bochard de Saron.

A ce moment, un

incident regrettable vint tout compliquer, car il contribua à faire croire à Noailles qu’il y avait une cabale dressée contre lui. L’abbé Bochard de Saron, trésorier de la sainte chapelle de Vincennes et neveu de l'évoque de Clennont, écrivait à son oncle, le 15 juillet 1713, qu’il avait eu une longue conférence avec le P. Le Tellier, touchant les affaires du cardinal de Noailles et des deux évoques. Les membres de la commission nommée par le roi examinaient le fond de l’affaire : pour les procédés personnels, on donnerait quelque satisfaction au cardinal, mais on donnerait raison aux évêques sur le fond ; le livre de Qucsnel serait condamné. Il ajoutait qu’il avait vu entre les mains du P. Le Tellier, plus de trente lettres d'évêques demandant cette condamnation ; bientôt il en aurait le double. Le secret était promis à tous ceux qui écriraient ; pour qu’il y eût plus d’uniformité, le P. Le Tellier avait rédigé une lettre au roi, que Bochard envoyait à son oncle, en le priant de la signer. On y lisait : « Les fidèles sont scandalisés ; les novateurs, dont tout l’espoir et toutes les ressources sont dans le trouble et la division, profitent de la mésintelligence qui se trouve dans le corps même des pasteurs… J’ai cru, Sire, que l’amour de la vérité et de la paix, l’expérience que j’ai acquise dans le long gouvernement d’un grand diocèse…, peuvent autoriser la liberté que je prends aujourd’hui d’implorer la protection de Votre Majesté et d’avoir recours à la sagesse de ses conseils dans une occasion où la religion, la charité chrétienne, l’unité de l'épiscopat, la hiérarchie apostolique et l'édification publique sont également intéressées… » Il envoyait la minute du mandement qu’il devait publier.

Le paquet qui contenait les deux pièces tomba entre les mains de Noailles, et il fut facile de le convaincre qu’il tenait la preuve de la cabale organisée par le P. Le Tellier. Aussitôt Noailles envoya des copies au dauphin et à Mme de Maintenon et il écrivit au roi le 25 juillet : « Ils veulent armer tous les évêques de votre royaume les uns contre les autres, séduire ceux qui sont sensibles à leur fortune et qui croient ne les pouvoir tenir que du P. Le Tellier et les opposer à ceux qui auraient assez de foi pour défendre la liberté et la sainteté de leur ministère. » Au dauphin il écrivait : « Quel trouble et quelle division dans l'Église de France si les jésuites continuent à employer leur crédit et les récompenses dont ils se prétendent les maîtres, par la distribution des bénéfices, pour mettre aux mains les évoques contre les évoques. Quel scandale pour les fidèles, quel triomphe pour les jansénistes et quels avantages pour tous les hérétiques et les libertins ! » Avec Mme de Maintenon, Noailles est encore plus explicite : « Personne n’a douté jusqu’ici que les jésuites ne fussent la principale cause de tout ce qui se passe aujourd’hui contre moi ; j’en avais déjà bien des preuves, mais en voici une nouvelle, capable de convaincre les plus incrédules… » Doin 1 huillier cite in extenso les trois lettres (op. cil., p. 96-100) ; il discute l'œuvre de Bochard qu’il estime légitime (ibid., p. 100-105), et Bochard lui-même explique sa conduite dans une lettre au P. Le Tellier, le 31 juillet (ibid., p. 105-107) : il déclare qu’il a rédigé la lettre de son propre mouvement et à l’insu du Père. Mais les jansénistes, et en particulier Pierre de Lunule, l'évêque de Boulogne, n’ajoutent aucune foi à la « seconde Bocharde ». Bibl. nat.. ms. /r. 23 207, lettres des 2) août, 16 sept, et 12 OCt. 1711. I. 'archevêque

de Paris éerivil une lettre Indignée au roi, le il août,

contre le P. Le Tellier, auteur d’un mauvais livre, deux fois condamné à Rome, et absolument Incapable

d’exercer le ministère de confesseur auprès de Si

Majesté : « Il se sert de la confiance de Votre Majesté pour la tromper et employer le crédit que lui donne sa place pour séduire les évoques, les diviser et exposer l'Église à un schisme… Votre Majesté peut-elle, en conscience, laisser son Ame en de telles mains ? Et puis-je contribuer, en donnant mes pouvoirs à un homme qui en fait un si mauvais usage ? » Bibl. nat., m s. fr. 23 484, Il août. Le roi fit répondre le 13 août, par Mme de Maintenon ; Noailles, poussé par ses amis, refusa de renouveler aux jésuites les pouvoirs de prêcher et de confesser ; il n’osa pas les refuser au P. Le Tellier, o quoique ce soit celui qui mérite le mieux de ne plus en avoir ». Les jansénistes sont dans la joie et applaudissent le geste de Noailles, avec le miracle qui avait fait tomber entre leurs mains les lettres de Bochard. Qucsnel raconte lui-même ce miracle dans L’intrigue découverte ou Réflexions sur la lettre de M. Bochard de Saron.

Pour toute cette affaire, on peut lire l'écrit intitulé : Relation du différend entre le cardinal de ISlonilles, archevêque de Paris et les évêques de Luçon, de La linclielle et de Gap, avec un recueil d'écrits importants sur ce sujet et sur ce qui s’est passé entre S. E. et les Jésuites, in-12, s. 1., 1712 ; il y a vingt-deux pièces, avec un append. de 10 p. ; le livre est favorable aux jansénistes ; Albert Le Roy, La France et Rome de 1700 à 1715, in-8°, Paris, 1892, p. 323-372 ; Relation historique de tout ce qui s’est passé sur le sujet des contestations entre M. le cardinal de Noailles et MM. les évêques de Luçon et de La Rochelle, présenté à noire SaintPère le pape par ces deux éviques, pour rendre comrile de leur conduite éi Sa Sainteté…, cité dans la Correspondance de Fénclon, t. iv, p. 227-270, et nombreuses lettres de cette Correspondance, t. III et iv ; dom Vincent Tnuillier, Home el la France : la seconde phase du jansénism", publié par le P. Ingold, in-S°, Paris, 1901, p. 60-121 ; cet ouvrage comprend les 1. VII à XIII de VHisloire de la constitution « Unigenitus % qui se trouve à la Bibliothèque nationde, fonds fr. 17 744-17 748.

XV. Louis XIV demande une bulle et l’obtient. — Le roi voulait obtenirqueNoaillescondamnàtlelivre de Quesnel, et la commission présidée par le dauphin tendait au même but, tandis que l'évêque de Meaux, de Bissy, membre de cette commission, faisait des démarches auprès de Noailles pour lui arracher cette condamnation. Mais Noailles hésitait toujours et reculait devant une décision ferme ; les évêques paraissaient se diviser de plus en plus. Aussi le roi prit-il le parti de recourir à Rome : par un arrêt du Il novembre 1711, il abolit le privilège qui avait été accordé pour l’impression des Réflexions mirâtes et par là il répondait à la condamnation déjà portée par Rorr13 le 13 juillet 1708. Il écrivait au pape qu’une décision était nécessaire pour terminer les disputes des évêques et ramener la paix et il envoyait, le 16 novembre, une longue dépêche au cardinal de La Trémoille. Dans cette dépêche (.A//, étr., Rome, Correspond., t. dxiv), le roi exprimait le désir d’obtenir une constitution pontificale qui pût être publiée en France. Le brel du 13 juillet 1708 n’avait eu aucun elîet dans le royaume parce qu’il avait ele impossible de recevoir ce bref. donné par le pape < de son propre mouvement » et avec des expressions qui ne sauraient être admises. i Sa Sainteté aurait évité cet inconvénient si elle avait voulu se souvenir de la promesse qu’elle fit, il y a quelques années, au cardinal de Janson, de me communiquer ce qu’elle voudrait faire qui regarderait la France et d’agir de concert avec moi par rapport au bien de la religion. » -Lc roi recommande à son ambassadeur d’insister sur ce point et de rappeler au pape qu’en lui demandant une constitution contre le livre de Qucsnel il ne lui demandait que la suite de ce qui a été fait par lui et par ses prédécesseurs contre l’hérésie de Jansénius puisque le livre dont il s’agit en renouvelle les propositions. « Vous ajouterez quc,