Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/558

Cette page n’a pas encore été corrigée
2529
2530
RÉSURRECTION. ORIGÈNE


sa tige et son épi. Cette mort triomphante est le symbole de la résurrection. L’épi n’est pas le grain, et cependant il le continue. On peut dire aussi que le même corps ressuscite, puisque l’état de gloire développera un germe de résurrection, qui est caché dans la matière dont notre être physique est constitué ici-bas — raison séminale de la vie éternelle, analogue à la raison séminale qui fait croître les plantes et les animaux. Le vivant, qui se nourrit et meurt, possède une force psychique supérieure à celle des végétaux. Les ressources biologiques de l’homme n’ont-elles pas à leur tour une puissance propre, celle de vaincre un jour la mort, sous l’appel d’une destinée spirituelle enfin libérée de ses entraves ? Mieux que l’opposition du type individuel et du flux vital, cette théorie de la raison séminale permettait de comprendre un peu ce que peut être l’insertion de l’éternité dans le développement d’une vie qui, abandonnée à son ordre, serait naturellement périssable. »

Telle est la mise au point que l’auteur le plus récent qui ait étudié la pensée d’Origène dans ses premiers écrits, nous fait de la doctrine du De resurreclione. M.R. Cadiou, La jeunesse d’Origène, Paris, 1936, se réfère pour cette mise au point, à Pamphile, Apologia, vii, P. G., t. xvii, col. 595 ; à Méthode d’Olympe, De resurreetione, I, xxiv, édit. Bonwetsch, p. 249 ; III, v, p. 394395, et à Origène lui-même, Comment, in ps. I, ?. 5, et De princ, t. II, c. x, n. 3, P. G., t.xii, col. 1093 et t. xi, col. 236.

Le Commentaire sur le psaume i, n. 5, doit être cité ; il donne à la pensée d’Origène tout son relief : « Tout ami de la vérité, qui considère ce point, doit lutter pour la résurrection, et sauver la tradition des anciens, et prendre garde, pour ne pas tomber dans un verbiage vide de sens, absurde et indigne de Dieu. Sur quoi il faut bien comprendre que tout corps assujetti par la nature aux lois de la nutrition et de l’élimination — soit plante, soit animal — change constamment de substratum matériel. Aussi compare-t-on bien le corps à un fleuve, parce que, à parler exactement, le substratum primitif ne demeure peut-être pas même deux jours identique en notre corps, bien que l’individu, Pierre ou Paul, soit toujours le même (et non pas seulement l’âme, dont la substance en nous n’éprouve ni écoulement ni accroissement). Cependant la condition du corps est de s’écouler : la forme caractéristique du corps demeure identique, et aussi les traits qui distinguent corporellement Pierre ou Paul, comme les cicatrices conservées dès l’enfance et autres particularités, taches de rousseur par exemple : cette forme corporelle, qui distingue Pierre ou Paul, à la résurrection revêt de nouveau l’âme, d’ailleurs embellie ; mais sans le substratum qui lui fut primitivement assigné. Comme cette forme persévère, de l’enfant au vieillard, malgré les modifications profondes que présentent les traits, ainsi doit-on penser que la forme présente persévérera dans l’avenir, d’ailleurs immensément embellie. Car il faut que l’âme, habitant la région des corps, possède un corps à l’avenant de cette région. De même que, si nous devions vivre dans la mer comme les animaux aquatiques, il nous faudrait des branchies et les autres organes des poissons, ainsi, pour hériter du royaume des cieux et habiter une région différente de la terre, il nous faut des corps spirituels ; notre forme première ne disparaîtra point pour autant, mais elle sera glorifiée, comme la forme de Jésus et celle de Moïse et d’Élie restait la même dans la transfiguration.

Donc, ne vous scandalisez pas si l’on dit que le substratum primitif ne demeurera point le même : car la raison montre, a qui peut le comprendre, que le substratum primitif ne peut même pas subsister deux jours. Et il faut bien remarquer que autres sont les propriétés du « corps » semé « en terie », autres celles du « corps » ressuscité : Ce qui est semé, c’est un corps animal ; ce qui ressuscite, c’est un corps spirituel (I Cor., xv, 44). Et l’Apôtre ajoute, comme pour enseigner que nous déposerons les propriétés de la terre en conservant la forme dans la résurrection : Ce que je dis, mes frères, c’est que la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption de l’incorruptibiIilé (I Cor., xv, 50). Le corps du saint sera conservé par Celui qui jadis donna une forme à la chair ; la chair ne subsistera pas, mais les traits imprimés jadis à la chair seront dés lors imprimés au corps spirituel. P. G., t.xii, col. 1093 A-1096 B. Trad. A. d’Alès, op. cit., col. 995.

Cette doctrine des œuvres de la jeunesse d’Origène éclaire le sens des textes postérieurs. Les textes qu’on pourrait apporter sont innombrables. Quelques-uns méritent une attention plus particulière.

Dans le De principiis, Origène d’une part professe la parfaite identité du corps qui, présentement, nous sert dans l’abjection, la corruption, l’infirmité et de celui dont nous nous servirons dans l’incorruptibilité, la force et la gloire du ciel. L’âme, sans changer de substance, ne peut-elle pas, après avoir été par h’péché un vase d’indignité, devenir par la pénitence un vase d’honneur et le réceptacle du bonheur ? Inutile donc de chercher un cinquième élément, totalement différent et autre que ceux qui constituent notre corps. C’est le même corps qui ressuscitera, mais transforme en mieux. Et, rappelant le texte de l’Apôtre, I Cor., xv, 42-44, Origène montre la possibilité de la transformation sans que soit lésée l’identité : a II y a progrès dans l’homme qui d’abord, homme animal ne comprenant pas les choses de l’Esprit de Dieu, arrive, par l’éducation religieuse, à devenir spirituel et à pouvoir tout juger, alors que lui-même n’est jugé par personne (cf. I Cor., ii, 15) ; de même, quant à l’état du corps, il faut penser que le même corps, qu’on appelle maintenant « psychique », parce qu’il est au service de l’âme, sera susceptible de progrès quand l’âme, unie à Dieu, sera faite un seul esprit avec lui : le corps devenu ainsi au service de l’esprit progressera en un état spirituel… » L. III, c. i, n. 6. P. G., t. xi, col. 340. L’explication se termine sur une idée qui, selon le sens qu’on lui veut donner, devient plus ou moins discutable : « Comme nous l’avons souvent montré, dit Origène, la nature corporelle a été constituée par le Créateur de telle façon qu’elle puisse facilement revêtir telle qualité que demanderont les circonstances ou que lui-même voudra. » Cette aptitude de la matière à revêtir toutes sortes de figures est fréquemment affirmée : De princ. t. II, c. ii, n. 2 ; t. IV, c. xxxm-xxxv ; Cont. Celsum. t. III, n. 41-42 ; t. IV, n. 56-57 ; t. VI, n. 77, P. G.. t. xi, col. 187, 407-410, 973, 1121-1125, 1413. Dans le dernier texte, Origène rappelle que la matière, naturellement susceptible de changement, d’altération, de transformation voulue par le Créateur, peut parfois n’avoir ni forme ni beauté (cf. Is., lui, 2), et parfois revêtir la qualité glorieuse que le corps de Jésus acquit dans la transfiguration.

Si discutable que soit l’idée d’une matière apte a revêtir toutes sortes de figures au gré du Créateur, il n’en est pas moins vrai qu’en l’adoptant, Origène n’en tend pas nier l’identité foncière du corps ressuscité et glorieux avec le corps terrestre. « Il marque seulement la diversité des propriétés, dans la permanence de la forme distinctive », qu’il appelle sTSoç tô x « P ( xxt7)P^’5, < 1 tô awLia, elSoç tô acofiaTixôv.

Cette forme distinctive n’est certes pas, dans la pensée d’Origène, un emprunt à la doctrine aristotélicienne de la forme corporelle : on peut tout au plus faire entre les deux doctrines un simple rapprochement — nous montrerons nous-même plus loin coin ment la théorie aristotélicienne de la forme et de la matière peut aider à préciser l’explication d’Origène et à donner une solution rationnelle du comment de la résurrection. — Cette forme distinctive, dans la pensée d’Origène, est un principe d’énergie, comme l’a fort bien montré J.-B. Kraus, Die Lehre des Origenes ùber die Auferslehung der Todten, Ratisbonne, 1859. C’est ce principe d’énergie qui maintient l’identité du corps dans le flux de la matière en voie de renouvellement continu et, pour l’expliquer, Origène en revient à ce concept, traditionnel dans l’Eglise, du germe qui, dans la dissolution même du grain confié à la terre, explique la résurrection du grain de froment à l’état d’épi. Cette analogie du grain de froment ne prétend pas. de toute