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REORDINATIONS. LE XII* SIECLE


lement, placés au milieu des ordinands, l’imposition des mains ; tandis que leurs camarades se voient renouveler toutes les cérémonies, à l’exception de l’onction. Cette cérémonie illustre fort bien les décisions de Plaisance et montre que les idées d’Urbain ont reçu une application pratique.

3° Les conflits d’idées au XIIe siècle. — Lorsque le concordat de Worms met Fin en 1122 à la première querelle du Sacerdoce et de l’Empire, il s’en faut, nous l’avons vu d3 reste, que soit élucidée complètement la question des réordinations. Le xie siècle en a connu des cas incontestables puis, devant certaines protestations, des scrupules se sont manifestés au sujet de la légitimité de cette façon de faire. Mais une grande indécision règne encore, tant dans le domaine de la pratique que dans celui de la doctrine. Avec le second tiers du xiie siècle commence, dans un milieu rasséréné au point de vue politique, la discussion plus tranquille, entre techniciens. Dans les deux grands centres intellectuels, Bologne, Paris, canonistes et théologiens vont reprendre le problème.

Mais avant de suivre leurs débats, il faut signaler quelques isolés, qui, dans la première moitié du siècle, émettent, trop souvent encore, sous la pression des circonstances, des idées plus ou moins superposables à la doctrine actuelle. On peut dire, en effet, d’une manière générale que subsiste la méfiance à l’endroit des ordinations conférées en dehors de ['Église. Alger de Liège († 1131), dans son Liber de misericordia et justifia, fait plus grande que de raison l’importance de la foi du ministre pour la validité des sacrements, cf. III, 8, P. L., t. ci.xxx, col. 930, et comme les simoniaques sont des hérétiques, leurs sacrements ont tout juste le minimum de valeur que l’on ne peut refuser aux sacrements des ariens. Plus sévère encore est Hugues d’Amiens, archevêque de Rouen de 1130 à 1164, qui consacre un de ses dialogues à la question générale des sacrements administrés par les hérétiques. P. L., t. cxcii, col. 1191 sq. Pour lui tout sacrement, donné par un ministre déposé ou excommunié est nul. Cf. col. 1204. A Hildebert de Lavardin, évêque du Mans de 1096 à 1125, les ordinations simoniaques paraissent douteuses sinon nulles. Episl., xlviii, P. L., t. clxxi, cpl. 273. Le fougueux Gerhoch de Reichersberg (1093-1169) prend violemment parti contre la validité de l’eucharistie célébrée par des prêtres excommuniés ou hérétiques, P. L., t. cxciv, col. 1375 sq., et s’efforce de mettre de son côté le pape Innocent II et saint Bernard. Somme toute, ces divers théologiens représentent un courant qui reste défavorable aux sacrements conférés en dehors de l'Église. Dans les deux plus fameuses écoles de la chrétienté occidentale, quelque chose va survivre de cet esprit.

1. L' Lcole de Bologne. — Elle est essentiellement une école de canonistes, encore qu'à côté de l'école de droit fonctionne aussi un enseignement théologique, dont les premiers maîtres, Roland Bandinelli, par exemple, ont subi l’influence d’Abélard.

Le travail des canonistes, depuis Denys le Petit, a consisté principalement à rassembler des textes pouvant faire autorité, textes conciliaires, décrétâtes des papes. Ce rassemblement, commencé dans la Dionijsiana, puis dans l’Hispana, continué à l'époque carolingienne, s’est fait avec fièvre à l'époque de la grande réforme du xie siècle, dont les canonistes ont été, pour une grande part, les inspirateurs et les directeurs. Au milieu du xiie siècle on se trouve en présence d’une masse considérable de textes de ce genre. Mais les juristes sont, autant qu’aux textes juridiques, attachés aux « précédents ». Ces précédents ils les trouvent soit dans les textes conciliaires ou pontificaux eux-mêmes qui font très souvent allusion à des faits, soit dans quelques actes des conciles assez parcimonieusement

PICT. DE THÉOL. CATHOL.

conservés, soit dans des livres historiques entre lesquels le Liber ponti ficulis prend une importance toute spéciale.

Or, sur le point précis qui nous occupe, toute cette documentation ne laissait pas que d'être passablement incohérente : les textes mêmes qui devaient avant tout « faire foi », les documents pontificaux en particulier, étaient souvent contradictoires. On ne saurait donc s'étonner de l’incertitude qui, pendant quelque temps encore, va peser sur la doctrine.

D’autant que le Décret de Gratien, qui en très peu de temps va s’imposer comme livre de texte, n’est pas arrivé sur la présente question à dégager une opinion ferme. On sait que l’idée de fond du moine bolonais — et c’est ce qui le différencie de ses prédécesseurs avait été d’aboutir à la concordance des canons discordants : concordia discrepantium canonum. Sa bonne volonté fut mise en échec devant la masse des textes relatifs à la valeur des sacrements administrés en dehors de l'Église ; devant leur masse et aussi devant leur discordance. Gratien n’arriva pas à les dominer ; il ne réussit ni à les faire accorder (ce qui était impossible), ni à les ramener à l’unité en écartant purement et simplement un certain nombre d’mtre eux.

Il faut chercher sa pensée sur notre problème dans la Cause I, relative aux ordinations simoniaques, et dans la Cause IX, qui traite des ordres conférés par les excommuniés. <>r la q. î, de la Cause I ne contient pas moins de 129 canons, mais si adroitement balancés que la question finalement demeure dans l’incertitude et qu’il est à peu près impossible de se représenter quelle était l’idée exacte de Gratien. Là même où l’auteur cherche à dégager sa pensée personnelle, dans le Dictum Gratiani qui suit le canon 97, il le fait de telle manière que de son texte on peut tirer les deux théories opposées qui vont partager l'école de Bologne, l’une favorable à la validité des ordinations conférées par les hérétiques (et l’on n’oubliera pas que sous ce vocable alors très élastique rentrent les simoniaques et même les simples schisma tiques), l’autre n’admettant cette validité qu’avec de très curieuses restrictions. Commençons par celle-ci.

a) Opinion défavorable à la validité. — Elle prend généralement la forme de la théorie de l’ordinalio catholica que nous avons entendu formuler par Urbain II, mais avec une précision relative aux conséquences qui n’existait pas, vraisemblablement, dans la pensée de celui-ci

Pour qu’une ordination soit valide, dit cette opinion, il faut qu’elle soit donnée in forma Ecclesiæ (c’est-à-dire suivant notre langage actuel en usant de la matière et de la forme convenables), par un évêque ayant reçu la consécration dans i fùjlise. Même si cet évêque quitte l'Église, il emporte dans sa sécession, son pouvoir d’ordonner, mais ce pouvoir s’arrête immédiatement après. L'évêque ordonné « catholiquement » et devenu hérétique, ordonne encore validement : mais l'évêque consacré par lui ne pourra plus ordonner : son pouvoir d’ordre est lié. Il est donc impossible de fonder une Église schématique ayant des chances de durée, puisqu'à la deuxième génération s'éteint le pouvoir sur les sacrements. Pour ce qui est du remède à apporter en cas de retour à l'Église, nos canonistes tirent d’ordinaire la conséquence qui s’impose : celui qui a été ordonné par un évêque n’ayant pas Yordinatio catholica doit être réordonné, tout aussi bien que celui qui a été ordonné extra formam Ecclesiæ. Et d’ordinaire aussi on étend cette conséquence à l’eucharistie et cela de manière très explicite : les prêtres ordonnés par des évêques n’ayant pas V ordinatio catholica ne consacrent pas réellement.

Cette doctrine, avec des nuances diverses, est représentée d’abord par Roland Bandinelli (le futur pape

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