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REORDINATIONS. L’ATTITUDE DE ROME


les ordinations conférés par eux sont invalides. Il y eut certainement des baptêmes renouvelés, on ne saurait dire s’il en fut de même pour les ordinations. Le schisme luciférien n’est pas autre chose qne le groupe de ces exaltés. Voir l’art. Lucifer de Cagliari, t. ix, col. 1032. Une déclaration très explicite du pape Libère coupa court aux tentatives de renouveler le baptême aux néophytes baptisés par les évêques prévaricateurs. Voir son article, t. ix, col. 636 ; cf. Denz.Bannw., n. 88. Le Siège apostolique maintenait ainsi la pratique qu’il prétendait déjà imposer au iiie siècle. Mais l’on voit que, même en Occident, même après le concile d’Arles, il restait des hésitations.

Elles vont être levées par l’intervention de saint Augustin. Pour l’ensemble de son argumentation, voir l’art. Augustin (saint), t. i, col. 2417. On sait que c’est principalement autour du problème du renouvellement du baptême qu’Augustin a fait porter l’elïort de la discussion. Mais la considération des sacrements en général et de celui de l’ordre en particulier ne lui demeure pas étrangère. Un passage du Contra epistolam Parmeniani, t. II, c. xiii, 28, P. L., t. xliii, col. 70, est fort net au point de vue de l’inamissibilité des pouvoirs d’ordre. Les donatistes, tout en reconnaissant que le ministre sacré qui quitte l'Église « ne perd pas son baptême », déclaraient qu’il perdait le droit de donner ce sacrement : Baptismum non amillit qui recedit ab Ecclesia, sed jus dandi amittit. « Non pas, rétorque Augustin. On ne voit aucune raison pour laquelle celui qui ne peut perdre le baptême pourrait perdre le droit de le donner : utrumque enim sacramentum est. » Utrumque, entendons et le baptême et l’ordination, qui donne le droit de le conférer. (N’oublions pas qu’Augustin, quoi qu’il en soit de ses sentiments sur la validité du baptême administré par un laïque, raisonne d’après l’opinion courante qui ne reconnaît comme valide que le baptême conféré par un ministre sacré.) « L’un et l’autre, continue-t-il, est donné à l’homme par une certaine consécration, le premier quand il est baptisé, le second quand il est ordonné, et, dès lors, dans l'Église catholique, il n’est permis de réitérer ni l’un ni l’autre. En fait, nous voyons quelquefois l'Église, pour le bien de la paix, recevoir des clercs schismatiques revenant à l’unité et les admettre sans aucune ordination nouvelle à exercer l’office qu’ils avaient dans le schisme : sicut baptismus in eis, ila ordinatio mansit intégra. Et quand l'Église ne juge pas à propos d’agir ainsi à l'égard de clercs qui se convertissent, non eis ipsa ordinationis sacramenta detrahuntur sed marient super eos : Aussi ne leur impose-t-on pas les mains, ne non homini sed ipsi sar.rummto p.at injuria. »

On ne saurait être plus clair, du moins quand il s’agit des ordinations revues dans le schisme. On peut seulement regretter que ce qui est dit des schismatiques ne soit pas étendu, positis ponendis, aux hérétiques. Il faut regretter aussi — car les controverses ultérieures sur la pensée d’Augustin auraient été rendues par là impossibles — que l'évêque d’Hippone n’ait pas songé à mentionner expressément les autres prérogatives du pouvoir d’ordre, celle de sacrifier et, quand il s’agit des évêques, celle d’ordonner. Du jour où se sera généralisée la doctrine qui reconnaît la validité du baptême administré par un laïque, les partisans de l’amissibilité du pouvoir d’ordre pourront tourner le texte d’Augustin à leur fâcheuse théorie. Augustin, pourront-ils dire, ne reconnaît explicitement dans celui qui quitte l'Église, que la permanence du pouvoir de baptiser, jus baptizandi. Son silence sur les autres pouvoirs (de sacrifier, d’ordonner) n’est-il pas significatif ? Etcette façon de raisonner, nous le verrons, n’est pas demeurée confinée dans le domaine de la théorie.

L’attitude de la curie romaine.

L’hésitation des

théologiens et des canonistes postérieurs à prendre dans toute leur ampleur les paroles d’Augustin s’explique d’autant mieux que des textes émanant de la curie romaine et séparés de leur ambiance étaient bien faits pour jeter le discrédit sur les ordres des dissidents. Ces textes sont discutés avec beaucoup de détail par L. Saltet, op. cit., p. 68 sq.

Le pape Innocent I er (402-117) a été amené à s’occuper à plusieurs reprises d’ordinations faites par des hérétiques et aussi de réordinations pratiquées par des évêques catholiques sur des clercs ordonnés par des hérétiques. Voir Jafïé, Regesta pontif. rom., n. 299, P. L., t. xx, col. 519 ; n. 303, ibid., col. 526-537, cette dernière lettre est spécialement importante ; il en faudrait discuter le contenu point par point. Tout bien considéré, elle ne tranche pas le point essentiel de la nécessité d’une réordination pour les clercs ordonnés par un hérétique (dans l’espèce, Bonose, voir son art., t. ii, col. 1027). pas plus qu’elle n’enseigne l’illégitimité d’une telle pratique. Mais les expressions très énergiques qu’elle contient sur l’impossibilité pour un prélat hérétique de donner ce qu’il n’a pas, ont fait grande impression sur les canonistes ultérieurs. Innocent fait sien de manière explicite l’axiome formulé par certains évêques qui avaient pratiqué des réordinations : Is qui honorent amisit, honorem dure non potest, voilà pour le prélat consécrateur et voici pour l’ordinand : Xihil accepit quia nihil in dante erat quod ille possei accipere. Loc. cit., col. 530 ('., et encore : qui nihil a Bonoso acceperunt rei sunt usurpatse dignitatis… atque id se putaverunt esse quod eis nulla juerat rcgulari ratione concessum. Col. 535 A. Mêmes idées et mêmes expressions dans la lettre Jafïé, n. 310, ibid., col. 550. Ces « décrétâtes » d’Innocent ont été transmises aux gens du haut Moyen Age par les collections canoniques, Diongsiana et Hispana.

A côté de ces expressions d’Innocent I er si dures pour les ordres reçus dans l’hérésie, on a pu citer aussi des formules oratoires du pape saint Léon I et (1 10-461), décrivant dans sa lettre, Jafïé, n. 532, P. L., t. liv, col. 1131, les troubles causés à Alexandrie par l’intrusion de Timothée Élure à Alexandrie : cette intrusion, dit le pape, amène dans la ville la cessation de tout sacrement valide : intercepta est sacrificii oblalio, dejecil chrismatis sanctificatio et parricidalibus manibus impiorum omnia se sublraxere mysteria. Rhétorique qu’il ne faudrait pas prendre pour argent comptant !

En d’autres conjonctures - il s’agit du schisme acacien à la fin de ce même v° siècle -- le pape Anastase II (496-498), reconnaît la validité des baptêmes et des ordinations conférées par Acace. en s’appuvant sur les principes théologiques qu’Augustin avait mis en lumière. Cf. Jafïé, n. 711. Mais cette politique conciliante d’Anastase fut mal vue dans l’entourage pontifical ; le Liber pontificalis dans sa notice sur ce pape voit dans la mort prématurée d’Anastase un châtiment divin. Cf. éd. Duchesne, t. i, p. 253. Plusieurs écrivains du Moyen Age se laisseront influencer par cette appréciation.

Sous le pape Pelage l, r (556-561), pour protester contre la condamnation par Rome des Trois-Chapitres, les métropolitains de Milan et d’Aquilée font schisme. Macédonius d’Aquilée étant venu à mourir, son successeur Paulin se fait consacrer par Yitalis, l’archevêque schismatique de Milan. Pelage I er proteste vigoureusement : Non est consecralus sed exsecratus, écrit-il, is qui cum in universali consecrari detrectet Ecclesia, c.onsecratus dici vel esse nulla poterit ratione. Jafïé, n. 983. Quand le même pape sollicite contre un autre évêque schismatique l’appui du bras séculier, il engage les magistrats à ne pas s’arrêter devant la sainteté des sacrements célébrés par le coupable :