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RELIQUES. L’OCCIDENT MÉDIÉVAL
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sacrilège : qu’y a-t-il, en effet, de plus sacrilège que de vénérer comme divin ce qui ne l’est pas ? Ce qui a rapport avec Dieu est divin ; et qu’y a-t-il de plus attaché à Dieu que les saints qui font un seul corps avec lui ? » Guibert revient, il est vrai, un peu en arrière : « Quelques-uns demandent, écrit-il, s’il est pernicieux d’honorer une relique pour une autre, ou un saint pour un autre. Je crois que non : parce que le Seigneur a dit des saints « qu’ils soient un comme nous sommes un » (Joa., xvii, 22), et que tous les saints ensemble, sous le Christ, leur tête, constituent comme un corps identique, parce que « l’esprit qui adhère à Dieu est un avec « Dieu », et donc honorer les reliques d’un saint pour un autre saint, ce n’est pas une erreur, puisque tous sont membres ensemble du même corps. C’est un peu dans le même sens que la liturgie romaine honore sous le nom des Quatre couronnés cinq autres martyrs. » Col. 628. Si même on vénère de bonne foi des reliques qui n’en sont pas, la prière profite tout de même au croyant. Col. 629. Mais ces erreurs n’arriveraient pas, pense Guibert, si on ne tirait pas les corps des saints de leurs sépultures, si on ne les transportait pas, si on ne les divisait pas : « cela ne plaît ni à Dieu, ni aux saints de subir des affronts que les païens eux-mêmes leur avaient épargnés. Et le pape Grégoire est bien de cet avis ». Col. 627-628. Les miracles, fussent-ils indéniables, ne prouveraient pas toujours l’authenticité d’une relique : « Le miracle peut se produire par le mérite d’un autre saint dont c’est la relique, ou même, si ce n’est pas la relique d’un saint, c’est la foi des croyants qui exige ce qu’ils espèrent. Mulla enim Jieri possunt, non lam ejus merilo per quem privrogatur, quam illius cui impenditur. » Col. 663. Enfin, les reliques même authentiques, ne doivent pas être placées froidement « dans ces pyxides d’ivoire ou d’argent, » col. 627 ; à plus forte raison, ne faut-il pas « enlever les saints à leur repos pour l’amour des offrandes quotidiennes », ni les livrer aux processions et ostensions continuelles dans une atmosphère de mercantilisme, sinon de charlatanisme. Col. 621 et 666. Tel est ce traité des reliques, si inégal, plein de justes remarques et de considérations qui le sont moins, à qui son outrance même enleva une bonne part de son influence.

Les mêmes critiques eurent plus d'écho, du moins dans les monastères, quand elles furent reprises par saint Bernard contre les abus des clunistes : « Les reliques recouvertes d’or en mettent plein les yeux, saginantur oculi, et ouvrent les porte-monnaie ! On fait l’ostension d’un beau saint, d’une belle sainte, et on la croit d’autant plus sainte qu’elle est mieux peinte ! Voilà les gens qui s’empressent à baiser la relique : on les invite bien à adorer, mais ils songent plutôt à admirer l'œuvre d’art qu'à vénérer des choses sacrées. » Apolog. ad Guillelmum abbal., P. L., t. clxxxii, col. 915. La théologie ne doit rien de constructif à saint Bernard ; mais nous avons un vrai traité sur ce sujet, un long sermon dogmatique, de son antagoniste, l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable. Serm., iv, P. L., t. clxxxix, col. 998-1006. Il le prend sans doute de trop haut : du geste de Marie-Madeleine, il conclut : « Le Sauveur, en approuvant Madeleine, a fermé la bouche aux fous, il a montré par l’exemple de son corps, qu’il faut honorer les corps des saints. » Mais la suite de son argumentation mérite l’attention : c’est déjà une thèse scolastique. Première preuve, de raison : d’abord quoi d'étonnant que la chair unie à l’esprit, en unité de personne, pour servir le Créateur, doive être vénérée même après le départ de l'âme, puisque les habits eux-mêmes, les vêtements de la chair, nous paraissent vénérables ? Voilà l'énoncé de la thèse. Deuxième preuve, de tradition : « C’est la coutume de l’Eglise de les entourer de cette pieuse affection ; et quand elle ne peut avoir de reliques des corps saints, elle exerce

DICr. DE THÉOL. CATHOL.

sa dévotion sur des fragments de leurs vêtements. Elle console ainsi son désir, elle qui aspire de toute la ferveur de son âme à la société des saints, elle trompe un moment sa faim avec leurs habits et leurs souvenirs. » On remarquera ici une pensée, bien rare au Moyen Age, et voisine de celle de saint Augustin : les reliques inanimées, ne sont pas uniquement des parties de la personne du saint, elles sont pour les dévots des souvenirs de lui. « Tout cela », ajoute-t-il pour répondre à une objection de superstition, « tout cela se rapporte à la gloire de Dieu. D’ailleurs l'Église épouse en tout le jugement de Dieu ; or elle s'étudie à honorer de mille manières sur la terre ceux qu’elle croit glorifiés par Dieu même dans les cieux ». Vient ensuite la preuve d'Écriture : « Et pour que tout ce qui est dit ici reçoive confirmation de l’oracle divin, écoutez, sur ce sujet, la Sainte Écriture qui ne trompe personne » : il cite alors Luc, viii, 46 et xx, 38, Actes, xix, 12. Mais c’est avec réserve qu’il utilise l’Ancien Testament, IV Reg., ii, 14. « Pour montrer le mérite éminent d'Élie, Dieu a montré sa puissance par un miracle éclatant opéré par son manteau. » Col. 1002. Il arrive ainsi à la preuve dernière : « par les miracles innombrables que Dieu fait en leur faveur, il montre bien que nos saints sont vivants ». Col. 1003. Voici la conclusion de ce petit traité : « Donc les vêtements et toutes autres reliques des saints sont vénérables, non pour elles-mêmes, mais pour l’honneur des saints eux-mêmes, tout ainsi que les saints, non par eux-mêmes mais par la grâce de Celui qu’ils ont servi, sont devenus grands au ciel et sur la terre. » Col. 1002. Les fruits de la dévotion aux saintes reliques, sont l’exemple et la protection des saints, pourvu qu’on les prie « dans la charité ». Col. 1004. L’abbé de Cluny réfute également Pierre de Bruys qui niait le culte des reliques.

4° Enseignement officiel du i.e au xme siècle. — 1. Les conciles généraux du Latran n’eurent rien w ajouter à la doctrine du IIe concile de Nicée ; la doctrine des reliques n'était d’ailleurs pas attaquée ; mais le culte donnait lieu à des abus criants. Le IVe concile du Latran (1215) se fait l'écho de ces préoccupations : can. 62 : « Les reliques nouvellement trouvées, qu’on ne les honore qu’avec la permission de l'évêque. Quant aux prélats, que désormais ils ne laissent plus ceux qui viennent par dévotion à leurs églises se faire tromper par des inventions vaines ou de faux documents, comme on en a pris l’habitude en beaucoup d’endroits, occasione quæslus, par l’appât du gain. » Mansi, Loncil., t. xxii, col. 1049-1050.

2. L’expression la plus haute du magistère de l'Église à cette époque du Moyen Age, ce fut la liturgie : liturgie romaine et liturgies locales.

La liturgie romaine n’avait pas de fête des reliques proprement dite, mais le sacramentaire envoyé par le pape Hadrien à Charlemagne et adopté, avec des additions, par les Églises de l’Empire franc, portait au 13 mai la messe de Sancla Maria ad Martyres, qui commémorait la dédicace du Panthéon de Rome et qui était un office aux reliques des martyrs. D’autres oraisons du Sacramentaire grégorien ont peut-être connoté originairement la présence des saints tombeaux : Processi et Marliniani gloriosis confessionibus circumdas et prolegis (2 juillet) : Quos in apostolicæ confessionis pelra solidasti (28 juin) ; mais elles ont à coup sûr perdu très vite ce sens local et matériel.

L’ordinaire de la messe romaine nous a conservé dans ses enclaves les plus anciennes, l'écho de la dévotion des Églises du Moyen Age pour les reliques des saints placées dans l’autel du sacrifice. Dès que le prêtre monte à cet autel — c’est-à-dire puisque les prières préliminaires furent à l’origine d’usage privé — dès qu’il commence la messe, avant même de saluer les fidèles du Dominus vobiscum, il salue les reliques de

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