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RELIQUES. L’OCCCIDENT MÉDIÉVAL


obstinément, disent des chroniques, à l’endroit qu’elles occupaient d’abord sous l’autel. Et quand on n’avait que des reliques peu volumineuses, on se permit, vers le ixe siècle, de les placer sur l’autel même, à côté des Évangiles, qui étaient seuls admis autrefois, et entre les chandeliers, qui venaient de conquérir, eux aussi, cette place honorable.

Le culte rendu aux reliques au Moyen Age s’explique par l’idée très haute qu’on en avait : « Un corps saint, pour une population, avait une importance dont nous ne trouvons pas aujourd’hui l'équivalent. Le corps saint faisait de l'église un lieu inviolable ; il était le témoin muet dû tous les actes publics, le protecteur du faible contre l’oppresseur ; c'était sur lui que l’on prêtait serment ; c'était à lui qu’on demandait la cessation d’un fléau, de la peste, de la famine ; lui seul avait le pouvoir d’arrêter souvent la main de l’homme violent ; quand l’ennemi était aux portes, sa châsse paraissait sur les murailles, donnait courage aux défenseurs de la cité. » Viollet-le-Duc, Dictionnaire du mobilier français, t. i, p. 64. Il fallait citer dès l’abord cette vue générale d’un historien libre-penseur ; elle résume une foule de documents incontestés du Moyen Age, bien qu’elle confonde les usages et les dates. Il n’est pas de notre rôle ici de les débrouiller ; mais le théologien devra noter que c’est l’idée religieuse concernant le respect du corps saint qui, en se modifiant, a amené la modification partielle des pratiques de dévotion ; pour le haut Moyen Age, comme pour l’antiquité chrétienne, le corps saint est inamovible ; ce n’est guère qu’au ixe siècle et dans les Églises barbares qu’on se risque à transporter les reliques.

2. Au ixe siècle comme, au vie, en règle générale, le corps saint restait encore sur place, et, pour venir l’honorer, de grandioses pèlerinages s’organisaient au jour de sa fête, parfois même à différents jours de l’année. Certains de ces pèlerinages eurent une célébrité mondiale comme celui des saints apôtres Pierre et Paul à Rome, et celui de saint Jacques à Compostelle, qui duraient, en somme, toute l’année, celui de saint Nicolas à Bari, celui de saint Benoît à Fleury-sur-Loire, qui se renouvelait au moins deux fois l’an.

Les pèlerinages aux saintes reliques donnaient lieu

à des manifestations religieuses telles que processions des corps saints, veillées des malades dans les églises, chants populaires en dehors des offices des moines ou des clercs, etc. Ils favorisaient aussi les échanges de nouvelles de toutes sortes, la dill’usion de dévotions locales et d’idées venues de loin, enfin la vente d’articles exotiques, en rapport parfois avec l’origine du saint patron ou des possessions de son église. Mgr Duchesne signale que les basiliques des saints Apôtres à Rome, ayant surtout leurs dotations en Orient, « les administrateurs de ces basiliques devaient mettre ces produits rares et recherchés : papier, liii, nard, baume, etc. dans le commerce local. Et c’est une chose intéressante que de voir les églises vénérées des apôtres Pierre et Paul servir d’intermédiaires pour le commerce des épices. Ceci n’est du reste qu’un épisode de l’histoire du grand commerce pendant le Moyen Age, en un temps où les foires œcuméniques se tenaient à l’occasion des fêtes des saints et près de leurs reliques ». Duchesne, Liber Ponlificalis, t. i, introd., p. cl. Rappelons aussi les influences artistiques et littéraires qui se répandirent sur toute la route du pèlerinage à saint Jacques de Compostelle : disposition générale des grandes basiliques, détails d’ornementation mauresque, chansons de geste ; cf. É. Mâle, L’art religieux au XIIe siècle. Vraiment on peut dire que le culte des reliques fut un élément important de la civilisation du Moyen Age.

Jusqu’ici on voit les reliques inamovibles et les dévots vont pieusement les chercher dans leur retraite.

Mais la pitié catholique voulait avoir ses saints patrons plus près d’elle. La première attestation de corps saints portés habituellement en procession — en dehors de leur primitive translation — nous vient de l'Église wisigothique du début du vu 8 siècle : en effet le troisième concile de Braga (675), ci-dessus, col. 2346, donne comme « une coutume antique de faire porter à certaines fêtes, l’arche du Seigneur avec les reliques sur les épaules des diacres revêtus d’aubes, comme c'était prescrit dans l’Ancienne Loi ». (Canon 5.) Le respect pour les reliques est encore si ombrageux que le concile ne permet pas à l'évêque de suspendre ces reliques à son cou et de se faire porter par ses diacres en sedia ; mais il pourra les porter lui-même à la main et en restant humblement à pied. Un autre concile tolétain du même temps parle contre « les danses honteuses » auxquelles les foules espagnoles se livraient durant ces processions. Cité par le Décret de Gratien, De consecralione, dis t. III, c. 2. Mais l’habitude était prise de donner aux fêtes patronales et aux fêtes de dédicace, par conséquent aux pèlerinages de reliques un déploiement de solennité extraordinaire.

3. Puis voici des pratiques nouvelles rendues possibles par la subdivision des corps saints et leur « élévation » dans ou sur les autels : on les place dans des châsses ouvragées de dimensions de plus en plus restreintes et on les porte en procession dans toute l'étendue du diocèse, parfois même au delà, d’abord dans les calamités publiques, pour obtenir la cessation du fléau par cette visite personnelle du saint pro tecteur : telles furent, à Paris, les processions de la châsse de sainte Geneviève, à Tours, celles du corps de saint Martin, etc. ; puis à toutes les processions de pénitence, aux Rogations, enfin dans toutes les fêtes solennelles.

Avec l’invasion de l’usage du serment féodal, au xie siècle, on prit l’habitude de jurer sur les reliques des saints. Tous les actes importants de la vie civile se concluaient devant les reliques et les annales du Moyen Age, surtout les chroniques normandes, sont remplies de ces serments, tenus ou non, sur des reliques vraies ou fausses. Un acte de ce genre est à la base des revendications de Guillaume le Conquérant sur l’Angleterre. Dès le ve siècle en Orient, et dès le temps de saint Martin et de saint Maximin en Gaule, on trouve des exemples de cet usage, qui se vulgarisa, et fut sanctionné par une loi de Childéric, par l’exemple de Pépin à Compiègne en 758 et par un capitulaire de Charlemagne de l’année 803. Charlemagne lui-même portait comme talisman dans ses guerres une parcelle de la vraie croix en un beau reliquaire ; et cet usage, mentionné par Grégoire de Tours dès le vie siècle, avait été, nous l’avons vii, concédé en Espagne aux évêques sous certaines conditions que précise le concile de Braga de 675 ; il fut autorisé par la suite et se trouve authentiqué par le Codex juris canonici, can. 1288.

Enfin, les églises qui possédaient plusieurs corps saints ne se contentèrent pas des offices à jours fixes dédiés à chaque saint : elles se mirent à célébrer chaque année une fête comnune en leur honneur, fête des saintes reliques avec un office et une messe spéciale. Certains diocèses ont cette messe soit le quatrième dimanche d’octobre, soit l’un des jours dans l’octave de la Toussaint. L’ordre bénédictin a choisi la date du 13 mai, anniversaire de la dédicace du Panthéon et de la fête de Sainte-Marie ad Martyres. Les textes de ces offices seront étudiés plus loin, avec les autres témoignages des liturgies.

Les reliques insignes, ainsi divisées et transportées dans tous les royaumes de la chrétienté, donnèrent lieu à l'érection de sanctuaires magnifiques, conçus en fonction de la relique qu’ils devaient abriter : ainsi la basilique du Saint-Sang à Bruges, la Sainte-Chapelle