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RELIQUES. PREMIERS ESSAIS DE THÉOLOGIE


Ce n’est pas pourtant que Grégoire ne les mette en garde contre l’illusion de tout attendre des saintes reliques et de les traiter comme des fétiches à pouvoir magique. Dialog., t. I, c. x.

Cette doctrine de la vertu des reliques fondée, non plus sur la sainteté du personnage, mais sur les signes miraculeux que Dieu opérait en leur faveur, est assez différente de celle qu’avaient esquissée dès 156 les fidèles de saint Polycarpc. Elle avait dû, en effet, être adaptée aux changements survenus, en l’espace de six siècles, dans l'état et l’usage des reliques. Maintenant que ces objets de dévotion sont devenus des parties séparées d’un corps en poussière, on sent le besoin de marquer plus fortement la puissance créatrice deUieu qui fait des merveilles avec les plus petits instruments ; et l’on remarque ici un effort méritoire pour développer la doctrine primitive. Maintenant que l’on connaît de moins près les grands martyrs qui ont enrichi les sanctuaires de leurs reliques, on est porté à attribuer à celles-ci une veitu intrinsèque, puisqu’elles retiennent depuis si longtemps leur pouvoir miraculeux ; et il y a là peut-être un glissement — glissement fatal des esprits faibles — vers le paganisme et la magie. Maintenant que les sanctuaires sont assiégés de malades et de pénitents, on fait à leur usage des notices des miracula sanctorum, où les fruits de grâce et de conversion ne sont certes pas omis, mais où trop souvent les faveurs matérielles sont mises en un relief excessif et gênant.

4. Cependant la distinction élémentaire entre le saint et ses reliques avait aussi été étudiée par deux esprits philosophiques, chacun à sa manière : par saint Grégoire de Nysse chez les Grecs, et par saint Augustin chez les Latins. « Pourquoi venez-vous ainsi en foule, peuple chrétien, des villes et des campagnes ? s'écriait le premier. Qui vous a donné le signal pour venir en ce saint lieu ? Est-ce que le saint martyr aurait pris la trompette militaire pour vous convoquer au lieu où il repose ? » De Theodoro martyre, P. G., t. xlvi, col. 736. Voilà le problème posé ; mais la réponse n’est pas facile à l’orateur, à cause de son système philosophique : « Voyons pourtant l'état actuel des saints sur la terre, conlinue-t-il : qu’il est beau et magnifique 1 Leurs âmes sont montées là-haut et reposent en leur lieu propre et, délivrées du corps, vivent aveckurs semblables ; mais leurs corps, instruments vénérables et immaculés de leurs âmes, dont ils ont respecté l’incorruptibilité, en les tenant loin des vices et des passions, les voici ornés et honorés dans le saint lieu. Gages chers et de grand prix, réservés au temps de la palingénèse, bien différents des autres cadavres touchés par la mort vulgaire et commune : on ne peut les y comparer, bien qu’ils soient faits de la même matière qu’eux. Les autres dépouilles sont en horreur à la plupart des gens ; ici au contraire tout attire le fidèle : le temple magnifique, les peintures qui rappellent les prouesses et les souffrances du martyr, le tombeau dont le contact est pour chacun une source de sanctification et de bénédiction, la poussière même de la sépulture, qui est regardée comme une chose de grand prix. Quant aux reliques mêmes, les toucher est l’objet du désir et des prières de tous. Comme si le corps était encore vivant et florissant de santé, on le regarde, on le baise, on lui joue des instruments de musique… » L’antithèse se poursuit, mais la réponse à la question se fait attendre, parce que les théories anthropologiques de l’auteur lui masquent la dignité humaine de ces restes inanimés ; et quand elle arrive, c’est un simple appel a la foi, mais à la foi des simples, qui a raison ici des hésitations du platonicien 1 « Le corps mort d’une mort vulgaire est rejeté comme chose vile ; celui du martyr est agréable à tous. Cela nous avertit de dépasser les choses qui se voient et de croire aux invisibles. L’ombre qui descend de ces augustes réalités nous montre

leur grandeur ! … Paul l’a armé, les anges l’ont oint pour le combat, le Christ l’a couronné après sa victoire 1° De Theodoio martyre, P. G., t. xlvi, col. 740.

Il était réservé à saint Augustin de se poser plus précisément ces deux questions : quel rapport y a-t-il entre les reliques et le saint, et finalement entre les reliques et Dieu ? Voici comment il la résout : « Il ne faut pas mépriser et rejeter sans honneurs les corps des défunts, et surtout des justes et des fidèles, ces corps dont I’Esprit-Saint usa comme d’organes et d’instruments pour les bonnes œuvres. En elîet, le vêtement d’un père, son anneau, d’autres objets de ce genre, sont d’autant plus chers aux enfants que ceux-ci avaient pour leurs parents une plus grande affection. Il ne faut donc point mépriser les corps qui nous sont à nous-mêmes beaucoup plus familiers et unis que n’importe quel vêtement, et qui tiennent à la nature même de l’homme que nous sommes. » De civ. Dei, t. I, c. xiii, P. L., t. xli, col. 27. Cette considération porte, il est vrai, sur le corps des fidèles plutôt que sur les restes sacrés des saints et elle devait rester inaperçue des disciples mêmes de saint Augustin ; mais chacun peut voir combien elle s’applique à ceux-ci, et saint Thomas utilisera ce texte précieux : il en tirera deux considérations distinctes, plus ou moins mêlées dans l’esprit de saint Augustin : 1. les corps des saints, qui leur ont été si unis, et même tous les objets qui leur ont été chers doivent être chers également aux fidèles qui les aiment ; 2. ces mêmes corps, qui ont été unis à Dieu dans les bonnes œuvres et le martyre, sont donc saints et sanctifiants. Comme le saint docteur traite en général du corps des simples chrétiens, il ne peut faire état de miracles de Dieu en leur faveur, ni de gages assurés de résurrection. Mais, quand il parlera des martyrs, il fera appel à ces deux motifs nouveaux, comme on va le voir.

Saint Augustin aux prises avec le scepticisme des manichéens, tint à préciser le sens exact et les avantages à attendre du culte des reliques : Les saints ne sont pas des génies tout-puissants, mais bien des intercesseurs auprès de Dieu : « Ils sont sortis de ce monde si parfaits qu’ils ne sont pas nos protégés, mais nos avocats. » Serm., cclxxxvi, n. 5, P. L., t. xxxviii, col. 1295. Les saints sont aussi nos modèles, et « le peuple chrétien entoure les mémorise des martyrs d’une solennité religieuse, pour s’exciter à l’imitation [de leur courage], pour s’associer à leurs mérites et être aidé de leurs prières ». Contra Fauslum, t. XX, c. xxi, t. xui, col. 384. Pour le moment, les fidèles n’honorent que les corps des martyrs, et les occasions de les imiter se font rares ; mais cette consigne d’imitation, combien sera-t-elle plus pratique quand ils auront commencé à vénérer leurs grands évêques, comme Martin, comme Augustin lui-même, qui furent l’objet d’un culte public au lendemain même de leur mort (400, 430), et leurs grands moines, comme Hilarion et Antoine, dont saint Jérôme et saint Athanase avaient déjà divulgué les vertus admirables. Sur ces traces plus accessibles, les chrétiens pouvaient s'élancer : « ut eorum vestigiis adhsereamus. » Tract, in Joanncm. c. lxxxiv, P. L., t. xxxv, col. 1847.

5. Les derniers Pères.

Les successeurs de saint Augustin se bornent à reproduire sa doctrine ; mais le peu de soins qu’ils mettent à l’approfondir montre bien que c’est désormais une doctrine universelle. « Les corps des saints, et singulièrement les reliques des bienheureux martyrs, ditGennade (vers 470) dans son exposé des dogmes, nous croyons qu’il les faut honorer en toute sincérité comme les membres du Christ… Si quelqu’un s'élève contre cette définition, ce n’est pas un chrétien, mais un sectateur d’Eunome et de Vigilance. » Liber ecclesiaslicorum dogmatum, c. xxxv, P.L., t. LVin, col. 996 ; édit. Turner, Journal oftheol. Studies.