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RELIQUES. PREMIERS ESSAIS DE THEOLOGIE


chrétiens : « Les bienheureux martyrs… nous ont laissé un exemple : l’exemple de la vertu en vivant bien, l’exemple du martyre, en supportant courageusement les supplices. Et c’est pour cela que le Seigneur a voulu que les martyrs souffrent en divers lieux et finalement par tout l’univers, pour que, témoins idoines, s’il en fût, ils nous encouragent par un exemple concret et présent » — leurs reliques — « rappel de leur confession de la foi : pour que l’humaine faiblesse, qui a peine à croire à la prédication de N.-S. — la distance est trop grande ! — croie du moins par le témoignage actuel de ses yeux au martyre de ces bienheureux ! Il faut donc honorer avec grande dévotion tous les martyrs ; mais spécialement nous devons vénérer, nous autres, ceux dont nous possédons les reliques. Ils nous sont familiers, ils demeurent en effet avec nous ; plus précisément, ils nous gardent durant notre vie, ils nous reçoivent à la mort ; vivants, ils nous préservent de la tache des péchés ; morts, ils nous font échapper à l’horreur de l’enfer. Car c’est dans ce but que nos ancêtres ont pris soin de faire voisiner nos corps avec les ossements des saints : le Christ les éclaire, loin de nous les lénèbres ! » Homil., lxxxi, P. L., t. lvii, col. 428.

De cette prudente doctrine, on ne pouvait pas abuser. Aussi saint Maxime fait bien remarquer que la sainteté des reliques ne peut sauver que ceux qui imitent les saints. Ibid., col. 430.

3. Les miracles sont, en faveur de ces humbles dépouilles des martyrs, le sublime panégyrique de Dieu. A une époque où les prodiges de toutes sortes étaient recherchés par les âmes en crise de conversion, les champions de l'Église ne pouvaient pas se taire davantage sur les miracles opérés par les reliques des saints. « On leur octroie des honneurs et des fêtes brillantes, constate saint Grégoire de Nazianze ; par eux les démons sont chassés et les malades guéris ; ils sont l’occasion d’apparitions et de prédictions ; leurs corps par eux seuls sont aussi puissants que leurs âmes saintes, quand on les touche ou qu’on les vénère ; quelques gouttes de leur sang et les pauvres souvenirs c/'j[x60Xa de leurs souffrances sont aussi puissants que tout leur corps. « Oral. IV contra Julianum, P. G., t. xxxv, col. 589. Cependant on s'étonne que Grégoire le Théologien se borne à une théologie aussi fragmentaire des reliques saintes : elles guérissent, elles punissent ; il ne sort guère de ce cercle si spécial de considérations. C’est que la doctrine en question, qui avait paru indigne d’intérêt pour Origène comme pour Athanase, était en somme assez complexe, et se rattachait d’assez loin aux grands mystères christologiques ; de plus les discussions des ariens et les pratiques suspectes de beaucoup d’entre eux envers les saints dissuadaient les grands docteurs d’insister sur la consécration que leurs souffrances avaient donnée à leurs membres, et sur la résurrection glorieuse qui leur était assurée. On remarquera que saint Grégoire de Nazianze attribue les prodiges opérés par les reliques aux saints eux-mêmes.

Au reste les miracles opérés par les reliques des martyrs ne sont contestés par personne au ive siècle. Nous venons d’entendre Grégoire de Nazianze en appeler à leur témoignage ; saint Basile fait de même. D’autres grands esprits, en Occident, comme Paulin de Noie, Ambroise, Augustin, attestent la réalité des nombreuses guérisons obtenues par les reliques d’un saint Félix, d’un saint Gervais, d’un saint Etienne, etc. S. Ambroise, Episl., t. I, xxii ; S. Paulin, Xalale, xi et vi ; S. Augustin, De civ. Dei, t. XXII, c. viii, n. 2 ; Serm., c.ccxxcccxxiv. Cf. Delehaye, Analeclu bollandiana, 1910, ]). 427-434. Chose curieuse pour nous, aucun de ces docteurs latins n’a basé sur les miracles une théologie des saintes reliques. Le premier peut être, saint Victrice de Rouen, et cela pour authentiquer la vertu de ses reliques subdivisées, développe une théorie assez

nouvelle encore : « L’Esprit divin anime les saints dans le ciel et leurs corps sur la terre. Leur sang, même après le martyre, demeure tout imprégné du don de la divinité… Soyons bien persuadés que ces restes sacrés des apôtres, si menus soient-ils, lias minulias, contiennent la vérité de toute leur passion corporelle. S’il en est ainsi, nos apôtres et nos martyrs sont venus à nous avec toutes leurs vertus. » De laude sanctorum, c. ix, x, P. L., t. xx, col. 451. Et les faits miraculeux étaient pour tous une preuve de la valeur des reliques : « Qui guérit vit, dit l'évêque gaulois : et qui guérit [par les reliques] est dans les reliques. » Ibid., col. 453. A l’autre extrémité du monde chrétien, en Asie, où l’on divisait aussi les reliques, Théodoret dit de même : « Les saints que nous conservons sont les médecins des corps et les sauveurs des âmes ; leurs corps sont divisés, mais la grâce de Dieu demeure entière. » Grœcar. affection, curatio, c. viii, P. G., t. lxxxiii, col. 1012. Parole qui, légèrement appuyée, a été remployée par la liturgie ancienne de l’office des reliques : Sanctorum per orbem in cineribus portio seminatur ; manet lamen intégra in virtutibus pleniludo. On pourrait voir une allusion aux reliques glorifiées par Dieu dans plusieurs sermons de saint Léon : « Tout cela a servi à l’honneur de son triomphe, jusqu’aux instruments de son supplice. Réjouissons-nous donc dans le Seigneur, qui est admirable dans ses saints, en qui il a constitué pour nous un appui et un exemple. » In natali S. Laurentii. Il semble bien que le pape, qui parle dans la basilique de saint Laurent, fait remonter à Dieu la gloire des miracles qui s’y opèrent de son temps : nous avons là une doctrine bien théocentrique des reliques des saints.

Plus volontiers, les Pères qui s’adressent à l’imagination de leurs peuples, attribuent cette « admirable puissance » aux reliques mêmes, et font des guérisons et de la délivrance des possédés une lutte victorieuse a du corps saint sur le diable ». « Les ossements des saints arrêtent les démons et les mettent au supplice, s'écrie saint Jean Chrysostome ; et, pour autant, ils délivrent de leurs terribles liens ceux qui en sont captifs. Est-il une chambre de tortures plus terrible [que nos sanctuaires ]? On ne voit personne qui harcèle le démon : el voilà des cris, des déchirements, des coups, des gémissements, des mot s en flammés qui s’entendent : 1e démon ne peut supporter ce pouvoir étonnant. Oui, ce sont les saints qui ont porté des corps, ce sont eux qui l’emportent sur les puissances spirituelles. C’est de la poussière, des os, de la cendre qui déchirent ainsi ces natures invisibles… Voilà bien la force des saints jusqu’après leur mort. » In II Cor., hom. xxv.

Quant à la valeur historique de ces récits de guérisons, elle relève entièrement de la critique historique, et saint Augustin ne prétendait pas autre chose en instituant son enquête sur les miraculés de saint Etienne. La question a été traitée de nos jours par le bollandiste H. Delehaye en différents articles et ouvrages cités à la bibliographie. L’historien de la théologie remarquera seulement que les docteurs des ive et Ve siècles conçurent plus exactement que leurs successeurs les devoirs de l’hagiographie et accordèrent moins de droits à l'édification. Il suffira de comparer les trois sermons de Cyrille d’Alexandrie In translalione reliquiarum SS. martyrum Cyri et Joannis, P. G., t. lxxvii, col. 1100 sq., avec le récit déjà fort embelli de Sophrone du VIe siècle : Narralio miraculorum SS. Cijri et Joannis, P. G., t. i.xxxvii, col. 3424 sq. Ou encore les libelli miraculorum de saint Etienne recueillis par les soins de saint Augustin auprès des miraculés euxmêmes avec les Dialogues de saint Grégoire le Grand deux siècles plus tard : pour le bon pape, les reliques opèrent les plus grandes merveilles et même des résurrections ; ses interlocuteurs se pâment d’admiration et d’une sainte avidité : Miracula quo plus bibo, plus sitio,