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RELIQUES. APRÈS LE TRIOMPHE DE L’ÉGLISE


et de l’âme ». Théodoret, Grse ?ar. affectionum curatio, c. viii, P. G., t. lxxxiii, col. 1032, In psalm. lxvii, ꝟ. 11, t. i.xxx, col. 1381 ; De martyribus, t. lxxxiii, col. 1012. Aux premiers siècles de l’Église, ces usages et bien d’autres, marqués au coin du paganisme, auraient fait horreur aux convertis, qui se séparaient violemment de toutes leurs habitudes anciennes. Aussi ne les a-t-on point rencontrés dans les Actes des martyrs, ni dans les écrits des docteurs du iiie siècle, qui n’avaient pas besoin d’en détourner leurs fidèles. Mais au ive et au ve siècle, la clientèle païenne qui en raffole se fait chrétienne : il était du devoir des chefs des Églises de christianiser ces coutumes et d’en faire un instrument d’apostolat. « A l’aide d’une pratique ancienne, dont la religion nouvelle se bornait à changer l’objet et à purifier l’intention, il semblait que le peuple, toujours esclave de ses anciennes habitudes », et toujours sensible aux pompes extérieures, « se laisserait plus facilement attirer du culte païen des mânes au culte chrétien des martyrs ». Et des hommes comme saint Grégoire le Thaumaturge (De Vita Gregorii, P. G., t. xlvi, col. 953), saint Paulin de Noie (Carmina, xxvii, 553), saint Augustin (Episl., xxix, n. 5), s’applaudissent de cette espèce de douce surprise et de contrainte innocente exercée au profit de la foi sur les souvenirs mêmes et sur les usages du paganisme. » R. Rochette, cité dans Yacandard, op. cit., p. 149. Mais d’autres saints docteurs étaient moins optimistes, soit que leurs fidèles fussent plus ignorants, soit qu’eux-mêmes fussent plus sévères : « Autre chose est ce que nous enseignons, autre chose ce que nous tolérons ; il y a des choses que nous sommes obligés de supporter, mais nous ne cessons de travailler à les amender jusqu’à ce que l’amendement s’ensuive. » Contra Faustum, t. XX, c. xxi, P. L., t. xlii, col. 384. Question d’opportunité, dont chaque évêque était juge, et qui ne suscita entre eux aucune controverse.

4. Il est bien sûr qu’à côté de ces pratiques universelles, qu’il suffisait de bien interpréter, la dévotion aux martyrs ensevelis a donné lieu à des abus indéniables, qui ont soulevé des protestations plus ou moins violentes, chez les païens et même chez les Pères de l’Église. Là encore nous ne citerons qu’un exemple : les repas servis aux tombeaux des martyrs. Ces agapes, qui curent sans doute à l’origine un caractère grave et religieux, dégénérèrent au ive siècle en orgies. A Carthage, le culte de saint Cyprien donna naissance à des réunions bruyantes et dansantes, que l’évêque Aurélius dut interdire. « L’ivresse est chose si commune en notre Afrique, écrit le Pseudo-Cyprien, que c’est à peine si on se la reproche. Ne voyons-nous pas aux tombeaux des martyrs le chrétien forcer le chrétien à s’enivrer ? » De dupl. mari., 25, P. L., t, rv (1844), col. 895. Augustin s’élève également contre ces banquets Episl., xxii, n. 6, P. L., t. xxxiii, col. 92. Pareillement saint Ambroise, qui y voit une reprise des parentalia des païens, et qui supprime cette déformation du culte des reliques. Cependant, puisque ces grossièretés n’étaient rien auprès des turpitudes du paganisme, il ne faut pas se scandaliser de voir certains évêques les tolérer chez les chrétiens nouvellement convertis : saint Paulin les avait supportées aux portes de Rome, Carmina, ix, vers 567, et saint Grégoire le Grand devait les permettre aux Anglo-Saxons, pour ne pas heurter de vieilles habitudes. Episl., t. IX, n. 71. P. L., t. lxxvii, col. 1215.

Origine des reliques.

1. En Orient. — Il faut, sur

ce point, noter une différence entre la pratique de l’Orient et celle de l’Occident. En Orient, on n’éprouva aucune répugnance à tirer de leurs tombeaux les corps des martyrs, et même à les démembrer pour la diffusion de leurs reliques. Constantinople, ville nouvelle, n’avait pas de corps saints ensevelis en son sol ; elle

voulut, à l’instar de Rome et d’Antioche, avoir son trésor de reliques : sous l’empereur Constance, en 356, il s’y fit une translation solennelle des reliques de saint Timothée et, l’année suivante, on apporta d’Alexandrie celles de saint André et de saint Luc ; durant le ve siècle, on en adjoignit beaucoup d’autres. De même, dans tout l’Orient, les grandes métropoles s’enrichirent aux dépens des Églises apostoliques. A Antioche encore, et cette fois pour faire tomber le centre idolâtrique de Daphné, le césar Gallus, en 351, fit transporter le corps de saint Babylas, dont la présence fit taire désormais l’oracle d’Apollon.

De local qu’il était, le culte des reliques tendit ainsi à devenir universel. Constantin qui, d’ailleurs ne connaissait guère de son Empire que les grandes villes, dans son Oratio ad sanctum cœtum, 12, Heickel, p. 171, suppose le culte des reliques comme une forme partout existante de la vie religieuse des contemporains. Cela est encore plus net chez Julien l’Apostat, qui reproche aux Galiléens de remplir tout l’empire de mémorise en l’honneur des martyrs. Juliani librorum contra christianos quæ supersunt, Neumann, 1880, p. 226, 237 sq.

Comment faisait-on pour se procurer des martyrs à transférer ? Les grandes Églises d’Orient, nous l’avons dit, comme les deux Césarée, Antioche, Nicomédie, Alexandrie, la Palestine, avaient des martyrs dont les tombeaux, autour des villes, étaient connus et vénérés par les pèlerins ; mais elles les gardaient jalousement. Il y avait bien la Thrace et autres régions occupées par les Barbares : on y fit de fructueuses expéditions. Mais, au fond de l’Egypte, on en était réduit à chercher des reliques sur la foi d’un vieux récit ou d’un songe : « Vraiment ils se trompent, s’écriait le moine Schnoudi, ceux qui s’ancrent dans une pensée mensongère et disent : des martyrs nous sont apparus ; ils nous ont appris où étaient leurs ossements ! ou bien : il nous est arrivé, pendant que nous creusions la terre, de trouver des ossements de martyrs ! » E. Amélineau, Œuvres de Schnoudi, Paris, 1907, p. 212. Schnoudi n’est pas le dernier qui se soit élevé contre les fausses reliques ! Il était encore préférable de porter de vrais corps de martyrs authentiques aux endroits où la foule les réclamait. Ainsi fit saint Cyrille pour Aboukir : « A douze milles, à l’est d’Alexandrie, un bourg du nom de Ménouthis était célèbre au Ve siècle par son oracle. Non seulement les païens y affluaient, mais nombre de chrétiens ne pouvaient se défendre d’y recourir. Pour mettre un terme à ce concours idolâtrique, saint Cyrille fit transporter solennellement à Ménouthis les corps des saints Cyr et Jean, qui avaient reposé jusque-là dans l’église Saint-Marc à Alexandrie. Cette translation eut son effet immédiat : le nouveau sanctuaire devint en peu de temps l’un des plus fameux de l’Egypte chrétienne. » Yacandard, op. cit., p. 171, d’après Duchesne.Le sanctuaire d’Aboukir, dans Bulletin soc. arch. d’Alexandrie, 1910, et Delehaye, Les saints d’Aboukir, dans Analecla Bollandiana, 1911, p. 448.

Mais on pouvait toujours regretter de dépouiller ainsi un vieux sanctuaire de son trésor de reliques : il fallait trouver un autre moyen de faire des heureux. Au ive siècle déjà, on prit le parti de diviser les corps saints. C’était, semble-t-il, pratique ancienne en Orient où la loi romaine était moins strictement observée. Saint Basile raconte que les quarante martyrs de Sébaste, respirant encore, furent livrés aux flammes et leurs cendres jetées dans le fleuve, et malgré la recommandation contraire des martyrs (Testament der 40 Marlyrer, Bonwestch, 1897, p. 76), « les voilà, dit l’orateur, qui occupent notre contrée et qu’ils sont un honneur pour beaucoup de nos villages… », P. G., t. xxxi, col. 521. Grégoire de Nazianze « en possède une part et fait ensevelir ses parents près des reliques ». Homil. in SS. XL Martyres, P. G., t. xlvi, col. 784.