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QUESNEL. LA BULLE V1NEAM DOMIN1


dans son Histoire de la Constitution, accueillit la bulle avec respect ; mais un peu plus bas, il dit plus justement que quelques évêques trouvèrent que le pape avait lésé leurs droits de juger. La soumission intérieure exigée par les décrets de Rome et les ternies employés par le pape qui semblait juger par lui-même, motu proprio, offusquaient quelques membres de l’assemblée : l'Église gallicane prétendait juger avec le pape et même après lui et ils n’accordaient aucune valeur aux bulles et aux brefs de Rome avant qu’ils les eussent examinés et discutés. Noailles lui-même laissait soupçonner sur quels points allait porter les difficultés. « Il s’agit, dit-il, de la doctrine et du dépôt de la foi, qui est le bien le plus précieux dont les évêques sont chargés. » Il va être question des libertés de l'Église gallicane et du droit des évêques à examiner la bulle pontificale, l’ne commission fut désignée : elle eut comme président l’archevêque de Rouen et comme membres six évêques : ceux de Coutances, d’Amiens, d’Angers, de Senlis, de Blois et de Fréjus, avec sept abbés. Elle siégea du 10 au 20 août.

On n’a pas conservé les discours prononcés par les membres de la commission ; mais, au dire des historiens jansénistes, il y eut de très vives discussions, surtout à propos du discours de Noailles, président de l’assemblée, avant la nomination de la commission. En présentant la bulle, Noailles avait fait un long discours pour prouver « l’obligation de se soumettre de cœur et d’esprit aux décisions de l'Église dans les faits ; mais il rejettait comme inconnu à la tradition le système que Mgr l’archevêque de Cambrai venait de donner au public dans quatre instructions qu’il avait publiées dans son diocèse et qui se vendaient publiquement à Paris ». Le chancelier d’Aguesseau (t. xiii, p. 233) parle de ce discours de Noailles et il dit qu’on lui reprocha « d’avoir parlé trop faiblement contre les jansénistes et trop fortement contre l’archevêque de Cambrai et quelques autres évêques fauteurs de la doctrine de l’infaillibilité de l'Église sur les faits dogmatiques. On fut surpris, en entendant son discours, que lui seul n’eût pas aperçu le piège qu’il se tendait à lui-même. Il le sentit à la fin, mais il n'était plus temps, et l’on verra, dans la suite, le dégoût que ce discours lui attira… » Ce dégoût « fut la résolution un peu humiliante de conjurer l’orage en le supprimant : contre l’usage, il ne fut point imprimé dans le procèsverbal de l’assemblée ».

Le 21 août, l’archevêque de Rouen lut le rapport de la commission. Ce rapport était inspiré par le plus pur gallicanisme : 1. les évêques ont droit, par institution divine, de juger les matières de doctrine ; 2. les constitutions des papes obligent toute l'Église, quand elles ont été acceptées par le corps des pasteurs ; 3. cette acceptation de la part des évêques se tait toujours par voie de jugement. Il conclut à l’acceptation de la bulle, mais après avoir posé les trois maximes qui en affaiblissent singulièrement la portée. Le 22 août. l’assemblée approuva unanimement le rapport et décida d’accepter la bulle avec respect, soumission et unanimité parfaite, d'écrire à Sa Sainteté une lettre de congratulation et de remerciement, d'écrire aussi une lettre circulaire à tous les évêques du royaume pour les exhorter à recevoir et à publier ladite constitution ; enfin de remettre à Sa Majesté la présente déclaration et de la remercier humblement de la protection qu’elle a bien voulu donner à l'Église et de la supplier d’accorder ses lettres patentes pour l’enregistrement et la publication de la bulle dans toute l'étendue du royaume ». Coll. des procès-verbaux, t. vi, p. 214-216, et Hisl. du eus de conscience, t. vii, p. 18-21. Les maximes préliminaires causèrent des inquiétudes. Quand il fallut signer, quatre évêques, qu’on appela les quatre protestants, refusèrent de

souscrire à cause du discours de Noailles et surtout des trois maximes, où la note gallicane était vraiment trop accentuée. C'étaient les évêques de Coutances, de Senlis, d’Angers et de Rlois. Comme il est naturel, les jansénistes ont tracé de ces prélats un portrait peu flatteur : l'évêque de Coutances était compromis dans l’affaire du quiétisme ; l'évêque d J Angers était lils d’un ministre d'État et contrôleur général ; l'évêque de Senlis était un honnête homme, mais ignorant, crédule, ayant peut-être conservé son innocence baptismale, au demeurant le meilleur et le plus imbécile des hommes ; enfin l'évêque de Blois, le chef du complot, ami de Fénclon et, par conséquent, adversaire de Noailles. Les quatre évêques ne furent pas suivis, mais ils s’adressèrent à Aime de Maintenon et au roi et ils obtinrent, disent les jansénistes, que les discours de Noailles et de l’archevêque de Rouen ne fussent pas imprimés. Le discours de Noailles est perdu, mais on a conservé des copies du discours de Colbert, que l’Histoire du eas de conscience, t. vii, p. 23-56, reproduit et commente. On y lit que, dans toutes les questions de doctrine, il est plus conforme aux règles de l'Église que la décision du pape soit remise à la délibération libre des évêques, sans aucun préjugé de l’autorité séculière… ; que les évêques ont droit, par institution divine, de juger de toutes les matières de doctrine ; que, lorsque le Saint-Siège condamne une erreur, cette condamnation, reçue et acceptée par le corps des pasteurs, a le droit et la force nécessaires pour obliger toute l'Église, et que, quand les évêques acceptent les jugements du pape sur les questions de doctrine, ils n’agissent point en simples exécuteurs des décrets apostoliques, mais ils jugent avec le Saint-Siè^e, aussi véritablement et aussi librement qu’ils le feraient, s’ils étaient assemblés avec le pape dans un concile… ; il approuve le fond de la bulle, qui condamne justement le silence respectueux, parce que ce silence ne condamne pas intérieurement comme hérétique le sens du livre de.lansénius, condamné dans les cinq propositions, et qu’il cache l’erreur sans l’abandonner, pour se moquer de l'Église, au lieu de lui obéir, ce qui permet de signer les termes du formulaire sans penser cependant ce que pense l'Église… »

Le lundi 24 août, Noailles porta au roi la délibération du clergé ; le 27 août, il dit à l’assemblée que Sa Majtste a.ut et ; trîs satisfaite et a ni promit, de faire expédier incessamment les lettres patentes pour la faire enregistrer au Parlement et la faire publier. Dès le 31 août, le roi fit expédier les lettres qu’il avait promises. L’avocat général du roi, Portail, lil un discours dans lequel Y Histoire du cas de conscience, t. vii, p. 92-102, signale plusieurs faussetés : Le roi a jugé digne de sa sagesse de demander au pape une dernière décision, capable d'épuiser le venin d’une fausse doctrine qui se reproduisait tous les jours, sous des faces nouvelles, et de dissiper pour jamais les faibles restes d’une erreur qui, n’osant plus paraître à découvert, se fortifieraient de plus en plus à L’ombre de subtilités captieuses, i II affirme que le silence respectueux est plus propre à couvrir le mal qu'à le guérir, à perpétuer l’erreur qu'à la détruire… : il ne fait consister toute l’obéissance due aux oracles prononcés par l'Église qu'à ne pas contredire en publieles vérités que l’on se réserve le droit de censurer en secret. On ne doute pas que les évêques qui n'étaient pas présents à l’assemblée ne se joignent à leurs confrères, comme les clauses écrites dans les lettres patentes le prescrivent. Rien, dans la forme extérieure de cette bulle, ne blesse les droits sacrés de la couronne et les saintes libertés dont nos pères ont été si justement jaloux ; d’ailleurs, elle sauvegarde ces maximes qui veulent que, pour former une décision irrévocable