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RELIQUES. APRKS LE TRIOMPHE DE L'ÉGLISE


principe sur l’objet même du culte des martyrs ; il y avait aussi des critiques de détail sur les pratiques populaires de ce culte. Sur les premières, nous ne nous étendrons pas, car elles tiennent à la question plus générale du culte des saints. Vigilance, par exemple, écrivait pesamment : « Non seulement vous les honorez, mais vous les adorez ; oui, ces baisers aux tombeaux sont une adoration ; c’est en les adorant que vous les baisez ! » Jérôme, Contra Vigilantium, c. i. P. L., t. xxiii, col. 342 ; Jérôme distinguait mieux : Honoramus autem rcliquias marlyrum, ut Eum cujus sunt martyres adoremus ; honoramus servos ut honor servorum redundet ad Dominum. Epist., cix, 2. Julien disait de même que c'était revenir au culte des héros, et de héros peu recommandables parfois : à quoi saint Cyrille d’Alexandrie répondait : « Les saints martyrs, nous ne les disons pas dieux, nous ne les adorons pas comme tels (XocTpeuTlXÛç) : nous les révérons seulement par l’affection et par l’honneur (cr/enjeûç xod -n, [i.7)Tt.xwç). Nous les couronnons plutôt des suprêmes honneurs à titre de courageux athlètes de la vérité. » Loc. cit., col. 812. C’est la même distinction foncière que faisait saint Augustin au manichéen Fausle : « Autre chose est le culte de latrie dû à la divinité, autre chose le culte d’amour et de communion que les chrétiens adressent aux martyrs. » Contra Faustum, t. XX, c. xxi, P. L., t. xlii, col. 384. On voudra bien remarquer la rencontre de pensée et d’expressions entre le grand docteur africain et les humbles rédacteurs de l’antique Marlyrium Polycarpi. Puis il donne à sa démonstration un développement qu’il faut lire en entier.

2. Voilà comment se tranchait, en quelques mots faciles à saisir, la question fondamentale du culte des saints. Parmi les pratiques de ce culte, la plus caractéristique était d'élever des églises sur leurs tombes ; il faut la traiter à part, parce qu’elle concernait leurs reliques et qu’elle engageait la responsabilité des évêques : c'était une pratique officielle. L’empereur Julien en faisait un grief spécial aux chrétiens. Juliani opéra, édit. Neumann, p. 226. Saint Augustin, que nous venons de voir si net à distinguer le culte de dulie du culte de latrie, déclarait catégoriquement que « nous n'élevons pas de temples aux saints ». Serm., cclxxiii, P. L., t. xxxviii, col. 1251. Il insista encore plus tard sur cette distinction importante : « Pour nous, les martyrs ne sont pas des dieux. A nos martyrs, ce ne sont pas des templa que nous construisons comme à des dieux, mais bien des mémorise comme à des hommes. » De civil. Dei, t. XXII, ex, P. L., t. xi.i, col. 772. Mais à coup sûr il avait contre lui le langage courant, et le vocabulaire bien approuvé de ses plus éminents collègues. Prudence, saint Jérôme et saint Paulin admettent sans hésiter l’expression : basilica marlyrum. Il aurait pu l’adopter lui-même, en se bornant à observer, comme il le faisait quelques lignes plus loin, que, dans ces temples, l’adoration s’exprimait par le sacrifice de l’autel et que « ce sacrifice ne s’y offrait ni à Pierre ni à Paul, ni à Cyprien, mais à Dieu qui a couronné ses saints, près des restes de ceux qu’il a couronnés ». Loc. cit. Mais voilai c'étaient les corps saints qui avaient occasionné la construction de ces basiliques et qui y attiraient les foules 1 Elles continuèrent à dire : l'église de Cyprien, et Paulin de Noie continua à célébrer sa « basilique de Félix ». Bien rares furent ceux qui adoptèrent le langage nuancé de saint Augustin. Pure question de vocabulaire, où l’usage était maître.

3. Mais dans ces « temples des martyrs », à côté des messes olîertes i en l’honneur des saints », il était d’autres formes de culte moins officielles, où le peuple aurait une action décisive, presque exclusive, d’autant que la prière aux martyrs était une de celles qui convenait le mieux aux païens convertis. Du jour où ce

culte deviendrait populaire, et ce fut dès le milieu dn ive siècle, il était inévitable qu’il perdît de sa discrétion première. En elïet, les masses qui se ruèrent vers le christianisme avant et après l'édit de Milan entraient dans l'Église avec leurs habitudes ancestrales de dévotion et elles n’avaient pas toujours assez d’instruction pour saisir la différence que l'Église mettait entre les reliques de ses martyrs et le corps des morts illustres ou les trophées des héros antiques ; à peine donc pouvaient-elles comprendre qu’on leur interdît défaire aux tombeaux des saints les mêmes gestes qu’elles faisaient devant les statues des dieux. Le fait est indéniable, et saint Paulin, si délicat, le mettait sur le compte de celle rusticitas adsueta diu sacris servire projanis (Carmina, xxvii, vers 549). Chaque jour il l’avait sous les yeux à la basilique de son cher saint Félix ; mais il l’excusait chez cette foule néophyte. Elle ne marchandait pas, en effet, aux reliques les démonstrations de sa piété, et sous les formes les plus diverses. Les tombeaux des martyrs constituaient par eux-mêmes un rendez-vous de prière, et ceci ne peut pas faire difficulté après ce que saint Augustin a dit ; mais on en baisait le seuil, on en touchait la pierre ou le métal, on y déposait des offrandes, on y accrochait des ex-voto sous formes d’inscription ou de fac-similé de membres guéris ; on y allumait des cierges et des lampes, en signe de joie ou de reconnaissance ; à certains jours d’anniversaires, on y faisait des festins. Comme ces pratiques se développaient concrètement auprès des saintes reliques, nous noterons seulement l’attitude diverse des chefs de l'Église à propos de quelques-unes d’entre elles.

Voici, par exemple, l’usage des cierges. Il était critiqué par Vigilantius : « C’est là un rite païen, que vous avez introduit dans les églises sous prétexte de religion 1° Il faut bien dire que les anciens cultes païens en avaient fourni l’exemple ; dès lors, au lieu d’y voir une forme respectable de l’instinct religieux, Lactance avait déjà remarqué que « le vrai Dieu n’a pas besoin de tout cet éclairage ». Divin. Inslil., t. VI, c. il. Saint Jérôme fut d’emblée du même avis et, fougueux, il nia l’usage : « Tu mens, dit-il à Vigilance, quand tu nous accuses d’allumer des cierges en plein jour ; nous ne les allumons que pour tempérer les ténèbres de la nuitl » Contra Vigilantium, c. vii, P. L., t. xxiii, col. 345. Mais les faits étaient là : il finit par les canoniser. « Soit, reprend-il, nous faisons ce que font les païens, mais ce qui était détestable quand il s’agissait des idoles, est une chose excellente dès qu’il s’agit des martyrs… De ce que nous adorions les idoles, est-ce que nous ne pourrions plus adorer Dieu, sous prétexte que nous aurions l’air de lui rendre un culte qui ressemble à celui des idoles ? » « Là est la vraie justification de certaines pratiques du culte des reliques. Inévitablement les signes les plus simples de la piété se retrouvent dans la vraie religion aussi bien que dans les fausses. Et la ressemblance en pareil cas n’est pas toujours une marque de dépendance. » Vacandard, Éludes de critique et d’histoire, t. iii, p. 152.

D’autres pratiques étaient, sans conteste, d’origine païenne, mais sans signification religieuse ; elles pouvaient donc s’implanter dans les temples des saints. surtout quand ils devaient remplacer des temples d’idoles. On a beaucoup disserté sur les ex-voto des saints guérisseurs d’Aboukir ou d’ailleurs. Cf. Delehaye, Analccta I.ollandiana, t. xxx, p. 122. Mais Théodoret n'était nullement gêné de découvrir dans les basiliques chrétiennes ces àva0aT7)[A(XT ! x qui rappellent la guérison : des yeux, des pieds, des mains, en or ou en argent ; ces emblèmes n’avaient en somme rien d’idolâtrique, rien d’obscène ; et ils ne faisaient point oublier les fruits de sanctification qu’on recueillait au contact des saints. Car ils sont « médecins du corps