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RELIGION (VERTU DE)


un autre biais, il fait remarquer que, si la foi atteint Dieu eu tant qu’il est la souveraine vérité, l’espérance en tant qu’il est le souverain désirable, la charité en tant qu’il est le bien en soi, la religion, de son côté, l’atteint en tant qu’il est la majesté souveraine devant laquelle doit s’incliner toute nature créée. Cette remarque judicieuse ne l’empêche pas d’ailleurs de se joindre, en fin de compte, au courant de la tradition. Ibid., c. n tout entier. Retenons de cette discussion, qu’en rangeant la religion parmi les vertus morales on fait droit à cette idée fort juste qu’il n’est point « d’honnête homme » qui ne soit religieux.

4° Il faut reconnaître d’ailleurs, et tout le monde ici est d’accord, qu’il ne saurait être question de maintenir entre les vertus des cloisons étanches, comme l’ancienne psychologie en maintenait entre les différentes « facultés ». Il y a action réciproque des vertus théologales sur la vertu de religion et inversement. Il est clair que, si la religion, à son état premier, nous engage à accepter l’autorité du Dieu qui révèle, la foi à son tour donne à l'âme, sur la majesté divine, des clartés qui augmentent cette révérence en quoi consiste essentiellement la religion ; on en dira tout autant de l’espérance et à plus forte raison de la charité. C’est l'âme tout entière qui, à la fois, révère et croit, espère et aime, et c’est en tout cela, en ces sentiments de foi, d’espérance, d’amour, que consiste proprement ce « culte en esprit et en vérité » que le Christ annonçait à la Samaritaine. Joa., iv, 24. C’est bien ce qu’exprime saint Augustin, au début de VEnchiridion : « Tu me demandes, écrit-il à Laurent, de quelle manière on rend un culte à Dieu. Et je réponds, c’est par la foi, l’espérance et la charité. » P. L., t. xl, col. 231-232.

Si la religion engendre ainsi les vertus théologales et en reçoit d’autre part sa perfection, elle entretient aussi des rapports avec les vertus morales. Celles-ci, on le sait de reste, ont pour fin de mettre de l’ordre dans la vie intérieure et d’incliner l’homme à respecter l’ordre général de l’univers. Or, il est trop clair que tout autre sera le respect de cet ordre chez qui y voit seulement la loi abstraite des choses et chez qui y voit la volonté souverainement raisonnable d’un Dieu personnel devant laquelle il faut s’incliner avec révérence. La morale de « l’honnête homme » et la morale du chrétien peuvent extérieurement se superposer, elles ne laissent pas d'être animées d’un esprit tout différent. Et c’est pourquoi saint Thomas, en dépit de sa classification quelque peu laïque des vertus, n’hésite pas à déclarer que la religion est préférable aux autres vertus. Ibid., a. 6 ; cf. a. 8, où elle est identifiée avec la sainteté. C’est déjà ce que déclarait l'Épître de saint Jacques : « La religion pure et sans tache devant notre Dieu et Père n’est pas autre qu’avoir soin des orphelins et des veuves dans leur détresse et se préserver pur des souillures de ce monde. » Jac, i, 27. Voir Suarez, ibid., t. III, c. ii, n. 11, 12, 13 ; et c. m.

II. Objet propre de la vertu de religion. Son sujet. — Tout en reconnaissant les rapports étroits qu’entretient la vertu de religion soit avec les vertus théologales, soit avec les autres vertus morales, il faut déterminer d’une manière plus stricte son objet. « Cet objet, dit saint Thomas, c’est de rendre honneur au Dieu unique, sous cette unique raison qu’il est le principe premier de la création et du gouvernement des choses : ad religionem pertinet exhibere reverentiam uni Deo secundum unam raiionem, inquantum scilicet est primum principium creationis et gubernationis rerum. » Cet honneur rendu à Dieu, ce n’est pas autre chose que le culte ; culte qui peut demeurer intérieur, on s’extérioriser en des actes. Question amplement traitée à l’article Culte en général, t. iii, col. 2404-2427.

Du fait de cette définition, on voit aussitôt en qui peut et doit se trouver la vertu de religion. Saint Tho mas ne traite pas cette question ; elle a attiré l’attention de Suarez, ibid., t. III, c. i. Cet liabitus, dit-il, ne peut exister que dans une créature ; il ne peut figurer à aucun titre parmi les attributs moraux de Dieu, tandis que l’on peut et doit parler de la charité de Dieu, de la justice de Dieu, etc. La raison en est obvie. Par ailleurs toute créature raisonnable est susceptible de cette vertu, et donc, en tout premier lieu, la sainte humanité du Christ. Que celle-ci ait possédé dans le degré le plus élevé la vertu de religion, c’est ce qu’il est inutile de démontrer. C’est en union avec les sentiments religieux du Sauveur sur la terre que l'Église nous engage à prier nous-mêmes : Domine, in unione illius divinss intentionis qua ipse in terris laudes Deo persolvisti, has tibi horas persolvimus, disons-nous au commencement des heures canoniales. Et ce n’est pas seulement en union avec les sentiments religieux passés du Sauveur, que nous sommes invités à prier, c’est en union avec ceux que le Christ, dans la gloire céleste, continue à entretenir, semper vivens ad interpetiandum pro nobis, remplissant toujours les fonctions essentielles de son sacerdoce, dont la première est de rendre à Dieu le culte qui convient, tant en son nom propre qu’au nôtre. C’est l’admirable doctrine de l'Épître aux Hébreux, viii-ix. On sait tout le parti qu’en a tiré la grande école de spiritualité française du xviie siècle. Voir en particulier H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux, t. III, La conquête mystique ; V École française. Au même titre, encore qu'à un degré infiniment moindre, la vertu de religion existe chez les anges, chez les bienheureux dans le ciel, dans les âmes du purgatoire.

Cette religion au contraire ne saurait exister chez les damnés ; sans doute ces malheureux, anges ou hommes, ont la claire perception de la souveraine puissance divine dont ils éprouvent les justes rigueurs : Et dœmones credunt et contremiscunt. Mais il n’entre point dans leur sentiment cette révérence filiale qui est de l’essence même de la religion.

On peut se demander encore si la religion persévère dans le pécheur qui a gardé la foi et l’espérance. Non évidemment, en tant que vertu infuse, puisque les habitus infus sont le cortège même de la grâce sanctifiante, disparaissent avec celle-ci, reparaissent avec elle dans la deuxième justification. Mais il est clair, continue Suarez, que, même sans la grâce habituelle, on peut avoir les actes de la « religion surnaturelle ». Seulement ces actes, par lesquels l'âme pécheresse se dispose à recouvrer la grâce sanctifiante, se font sous l’influence d’un secours spécial de Dieu qui besogne dans l'âme, encore qu’il n’y habite pas comme il le fait par la grâce habituelle. Actus pro eo statu non fiunt connaturali modo, sed sunt ab auxilio speciali Dei operantis, nondum vero inhabitantis per sanctificantem grattam. Ibid., n. 10.

III. Actes de la vertu de religion.

L’acte essentiel de la religion c’est la reconnaissance du souverain domaine de Dieu avec la volonté de lui rendre le culte intérieur et extérieur qui correspond à cette reconnaissance. C’est ce que nous appelons aujourd’hui l’adoration, tandis que dans les textes anciens ce dernier mot signifie plutôt la manifestation extérieure du sentiment intérieur.

Comme actes intérieurs de la vertu de religion, saint Thomas signale d’abord la dévotion, qu’il définit ; la volonté de se livrer promptement à ce qui concerne le service de Dieu, q. lxxxii, a. 1, voir l’art. Dévotion, t. iv, col. G80-IS85 ; puis la prière, qui fait l’objet de la très longue question lxxxiii. Voir ici Prière, t. xiii, col. 169-244.

Les actes extérieurs comprennent : 1. l’adoration. q. lxxxiv, entendue au sens restreint que nous venons de dire ; voir l’art. Adoration, t. i, col. 437-442, où