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RELIGIONS. CLASSIFICATION, CULTKS DE MYSTÈRES

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daïsme et du christianisme, moins près de celui-ci que de celui-là, appropriée à l’esprit et aux traditions de l’Arabie, médiocrement exigeante au point de vue moral, et dont le tempérament belliqueux de ses premiers fidèles, encouragé par le précepte que le Prophète luimême a fait de la guerre sainte, a déterminé le succès. La promesse d’immortalité y est aussi accentuée que nulle part ailleurs, le paradis appartient à ceux qui professent que Dieu est Dieu et que Mahomet est le prophète de Dieu. Né surles frontières de la civilisation méditerranéenne, l’Islam a paru s’orienter un moment vers cette civilisation, mais il s’est vite immobilisé et ses conquêtes religieuses dans les derniers siècles ont été faites sur des demi-civilisés ou des non-civilisés, auxquels on peut dire que sa simple croyance et sa moralité un peu fruste agréent mieux que la théologie plus savante et la moralité plus exigeante des confessions chrétiennes. » La religion, Paris, 1917, p. 123. Quand, principalement sous l’influence des Perses, des philosophes voulurent lui donner un fondement rationnel plus large que la courte métaphysique de son fondateur, des mystiques et de nouveaux prophètes y développèrent le soufisme et le messianisme, on ne tarda pas à voir que ces mouvements n'étaient pas dans le sens de la réforme originelle et aujourd’hui leurs tenants sont des schismatiques honnis des orthodoxes.

4° Les religions à mystères. On a voulu voir, bien que ce soient des polythéismes, dans les religions des mystères, des « économies de salut », comparables au christianisme qui devrait son origine à la synthèse de leurs croyances principales et même de leurs rites avec le messianisme juif. La thèse a été soutenue par M. Loisy, en particulier dans son ouvrage Les mystères païens et le mystère chrétien, paru en 1919, mais en réalité rédigé dès 1914. Les mystères païens étudiés par lui sont ceux de Déméter et de Koré (à Eleusis), de Cybèle et d’Attis, d’Isis et d’Osiris et de Mithra. Chez toutes, le sacrifice immémorial par lequel agriculteurs et pasteurs aidaient à renaître, de printemps en printemps ou de génération en génération, le vague esprit de la germination ou de la fécondation, le dieu personnel substitué à cet esprit mais mourant et ressuscitant comme lui, seraient devenus principe et sacrement d’immortalité. Les rites pratiqués pour l’initiation des nouveaux membres de ces conventicules fermés que formaient les « mystes » auraient tous eu le sens d’une participation des initiés à la destinée d’un sauveur, à sa mort et à sa résurrection.

L’analogie du christianisme avec ces croyances et ces cultes serait « évidente ». L’histoire de Pâques, le baptême, la cène sont nés dans une religion étroitement nationale : le judaïsme. Puis les premiers prédicateurs hellénistes de l'Évangile, Barnabe, Paul, Apollos, l’auteur de l'Épître aux Hébreux, celui ou ceux des écrits johanniques auraient construit à l’aide de ces éléments, spontanément d’ailleurs et dans l’entraînement de leur foi, une religion universelle, conçue inconsciemment à l’image des mystères païens, tout en leur étant grandement supérieure. On s’unit à Jésus, Seigneur et Sauveur, par les sacrements pour devenir participant de sa résurrection après l’avoir été de sa mort. (Résumé fait par nous-même dans La nouvelle journée, 1 er mai 1926, p. 452-453, sous le pseudonyme de Philonoiis.)

Or ces rapprochements sont injustifiés soit en ce qui concerne le type général des religions étudiées, soit pour ce qui est de leur esprit.

Dans les mystères païens, il ne s’agit pas toujours de dieux morts et ressuscites, on peut même dire que cette conception ne s’y réalise jamais complètement. Mithra n’est censé tel que dans la mesure où il se confond avec le taureau du sacrifice : en tant que Dieu personnel, il

n’est pas présenté comme ayant triomphé lui-même de la mort. Attis, dans tout un groupe de légendes, ne subit que la mutilation des Galles (cf. M.-J. Lagrange, Altis et le christianisme, dans Revue biblique, 1919, p. 419-4X0). Koré-Perséphone, dans la légende d’Eleusis, est ravie vivante aux enfers par Hadès et elle revient chaque année dans les bras de sa mère Déméter. Voilà un équivalent lointain d’une résurrection. « Zagreus a été tué par les Titans qui l’ont dépecé et dévoré sauf son cœur. Ce cœur fut avalé par Zeus ou par Sémélé, en suite de quoi un second Dionysos prit naissance, qui partagea le trône de Zeus, son père. Est-ce là une résurrection ? » P. Lagrange, Le sens du christianisme d’après l’exégèse allemande, Paris, 1918, p. 289. Seul Osiris est incontestablement un type de Dieu ressuscité, encore faut-il remarquer qu' « il a toujours été un dieu de l’autre monde, dieu des morts, triste avec son aspect de momie. Il se suivit comme Dieu des vivants dans la personne de son fils Horus, dieu de la lumière et vainqueur de Typhon. » Ibid., p. 291.

En second lieu et surtout quelle différence d’esprit ! Dans les religions de mystères, le salut c’est d’abord la délivrance de la mort : dans le christianisme c’est d’abord la libération du péché. « Pour le paganisme, l’immortalité consiste dans la continuation de la vie présente ; pour la religion de Jésus, de saint Paul et de saint Jean, elle se définit comme la participation définitive à une vie divine moralement supérieure à la nôtre : il s’agit de se dépasser, île se transcender et non pas simplement de survivre. La passion — si passion il y a - d’un Osiris, d’un Attis, d’un Mithra est une mort subie ; celle de Jésus, la vraie passion, dont c’est un abus de langage de donner le nom à des fables de pure mythologie, est un sacrifice volontaire. Dans les rites de mystères, l’initié meurt par anticipation à la vie périssable, si vraiment il pense à une mort mystique : dans le baptême, le néophyte meurt au pèche. Dans la communion des sacrifices païens — si communion il y a les fidèles des dieux légendaires participent à une énergie vitale qui ne se distingue pas essentiellement des obscures « vertus » de la végétation ou de la génération que s’efforçait de capter la magie préhistorique ; dans l’eucharistie le chrétien doit s’unir tout d’abord à l’esprit du divin sacrifié et à ses sentiments d’abnégation, et ce n’est que par l’efficacité de cette participation première que le sacrement lui devient un gage d’immortalité bienheureuse. En un mot, utilitaires comme les vieux cultes de tribus et de nations, les mystères font vivre ou survivre l’homme pour lui-même : le christianisme le fait vivre à Dieu. » Philonoiis, ibid., p. 461. M. Loisy lui-même a reconnu cette divergence profonde : « Ce que l’on pouvait raconter de Jésus, de son enseignement, de sa vie, de son altitude devant la mort, lui faisait une physionomie digne du rôle salutaire qui lui était attribué. Sa morale était pure et son existence avait été à la hauteur de sa morale. Tout cela s’interprétait, s'élargissait dans le mystère, mais donnait aussi au mystère une couleur de haute moralité que n’avaient jamais eue, que ne pouvaient jamais avoir les vieilles fables de Dionysos, de Déméter, de Cybèle, d’Isis, de Mithra. Quel contraste entre la passion d’Attis, même celle d’Osiris ou celle de Dyonisos, et celle du Christ 1° Les mystères païens…, p. 344. Mais dans ces conditions on ne voit pas comment le même auteur a pu écrire dans le même livre : « Il est clair que le christianisme est une économie de salut tout à fait analogue aux cultes des mystères auxquels il a disputé la conquête du monde païen et qu’il a vaincus. » P. 349.

C’est pourquoi MM. L. Gernet et A. Boulanger ont écrit dans la conclusion de leur ouvrage sur Le génie grec dans la religion, Paris, 1932 (Bibliothèque de syn-