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RELIGION. THÉORIE DE H. BERGSON, CRITIQUE


nion des saintss’y dilate jusqu’aux extrémités du monde, et chacun pour y participer renonce à ses absurdes prêtent ions de suprématie personnelle, à cette forme subtile d’orgueil qui se glissedans ses relations avec Dieu : vouloirtraiteravecLuisans médiateur et sans consorts. Car le croyant accepte volontairement toute une vie spirituelle qui lui est présentée par une autorité extérieure et qui, débordant infiniment le cercle de sa vie propre, l’associe pour une œuvre commune à toute bonne volonté. » La communion des saints, par Fr. V. Breton, O. F. M., Paris. 1933, p. 163. Ainsi se réalise la société spirituelle, rendue possible depuis que le christianisme a distingué le spirituel du temporel, de telle sorte que le social puisse être autre chose que la poursuite de fins égoïstes, collectives ou individuelles, de telle sorte qu’il y eût avec et par la religion dynamique une morale et une société ouvertes.

d) M. Bergson présente l’œuvre des grands mystiques surtout comme une initiative héroïque de leur part et une invention de l’ordre spirituel. — Sans doute il ne nie pas les initiatives divines qui la suscitent, il les suppose même, puisque les mystiques, à son sens, ne font que reprendre à sa source même l’élan vital qui « est de Dieu même ». Néanmoins il semble ne pas tenir un compte suffisant du caractère absolument premier, de l’absolue gratuité des grâces mystiques. Or, c’est là un de ces points de convergence de l’expérience mystique auxquels il attache tant de prix. Voici, à ce sujet, une citation, uniquement à titre d’exemple. Sainte Thérèse reconnaît que, dans les premières demeures de l’âme, celle-ci est récompensée de sa bonne volonté par des élans d’amour, mais, dans les autres degrés d’oraison, « l’âme touche au surnaturel. De fait, quels que soient ses efforts, il lui est impossible d’obtenir par elle-même, ce dont il s’agit à présent ». Vie, c. xiv, dans Œuvres, trad. citée, t. i, p. 179. Il ne faut pas vouloir se procurer sur-le-champ l’oraison mystique, ceci pour plusieurs raisons dont la cinquième, c’est que « ce serait nous tourmenter en pure perte… Je veux dire que nous aurons beau multiplier nos méditations, nous pressurer le cœur et verser des larmes, tout sera inutile. Ce n’est point la voie par laquelle arrive cette eau. Dieu la donne à qui il le veut, et il le fait souvent au moment où l’âme y pense le moins ». Château, dans Œuvres, t. vi, p. 111-113.

e) La métaphysique de M. Bergson est fort incomplète. — Il le reconnaît d’ailleurs lui-même volontiers. Nous écrivions, à ce sujet, dans la Semaine religieuse de Paris du 16 juillet 1932, les lignes suivantes : « La voie qui conduit M. Bergson à Dieu est magnifique, mais beaucoup la trouveront bien longue, même réserve faite de ce que l’âme peut aller plus vite que l’esprit et qu’il faut moins de temps pour s’exprimer à soi-même sa pensée que pour l’exposer au public. Sans doute, sa théodicée tient en moins de vingt pages, seulement ces pages supposent connues les patientes analyses de l’Évolution créatrice et des Deux Sources. La majorité des hommes même cultivés n’a ni le loisir, ni le génie de telles recherches. Il y a, pour ceux-ci, et même pour des penseurs différents de M. Bergson, d’autres voies d’ascension spirituelle qui peuvent être plus courtes et on regrette que celui-ci ne les laisse pas entrevoir. L’Église catholique a pour l’homme une sympathie à la fois confiante et condescendante. Elle estime, d’une part, qu’il peut trouver assez rapidement, s’il a bonne volonté et au cas où il l’aurait perdu ou ne l’aurait pas aisément rencontré, le Dieu « dans lequel il a le inouvement, l’être et la vie et qui n’est pas loin de nous », comme le prêchait saint Paul à l’Aréopage. D’autre part, elle croit que ce Dieu même doit avoir, en sa bonté, donné à tout homme les moyens de l’atteindre par des chemins largement ouverts et qu’en somme les difficultés d’ordre intellectuel qu’il peut y avoir à affir mer l’existence de Celui pour lequel nous avons été créés, quoique réelles, sont moindres, dans la majorité des cas où on doit se libérer de l’athéisme, que les difficultés de l’ordre moral [difficultés qui peuvent venir autant de l’orgueil que de la sensualité]. C’est dans cet esprit qu’elle maintient et sans doute maintiendra toujours les preuves classiques de l’existence de Dieu, d’ordre cosmologique et d’ordre moral. Cette fidélité à une tradition antérieure même au christianisme n’empêche pas d’ailleurs que ces preuves ne peuvent avoir d’efficacité pratique que chez les âmes de bonne volonté. Elle ne signifie pas non plus que la pensée philosiphique n’ait pas à les perfectionner sans cesse, car il n’est aucune tradition, si vénérable qu’elle se trouve, qui puisse nous accorder dispense de penser. Il reste enfin certain qu’on doit toujours — même dans l’enseignement élémentaire — parler de Dieu, en évitant les matérialisations épaisses et les anthropomorphismes grossiers et ne jamais présenter Celui qui est au-dessusde tout nom comme un artisan ou un législateur humain. « Peut-être M. Bergson estime-t-il qu’on trouverait l’équivalent de ces preuves classiques dans son exposé, que, par exemple, le Dieu-Créateur qu’il affirme et le Dieu Cause-première ne diffèrent pas radicalement entre eux. Dans ce cas, on lui aurait été reconnaissant d’indiquer les transpositions possibles, ne serait-ce que par l’effet d’une « vulgarisation noble ». Les deux sources, p. 255. « De plus, notre philosophe paraît croire que la certitude ne peut venir, en ce qui concerne Dieu, que du rapprochement de l’expérience sensible et de l’expérience mystique. Mais lui-même n’a-t-il pas écrit que son Évolution créatrice, muette cependant sur le mysticisme, « pose la création comme un fait », donnant ainsi raison au concile du Vatican, qui, s’inspirant de saint Paul, enseigne que la lumière de la raison humaine nous permet de connaître Dieu certainement au moven des choses qui ont été faites ? » Op.cit., p. 78-79.

Quant au problème du mal et à la survie, nous écrivions dans le même article que, sur le premier point, M. Bergson aurait été plus loin, « s’il avait manifesté une foi plus ferme et plus précise aux destinées d’outretombe, et s’il avait tenu compte de la chute originelle, qui sans doute n’explique pas tout le mal et reste elle-même un grand mystère, mais néanmoins donne des conflits extérieurs et intérieurs où se débat l’humanité une explication plus satisfaisante que la simple constatation des obstacles que la matière oppose à la vie de l’esprit ». Ibid., p. 79. Quant à la survie nous pensions que M. Bergson aurait été plus loin, s’il « avait tiré la conclusion (qui semble naturelle) de son idée d’une création qui nous rend créateurs, c’est-à-dire, la valeur infinie de la personne humaine, et si, parlant de l’Amour qui nous donne l’être, il avait ajouté qu’un véritable amour se donne sans repentance. Insistant sur l’insuffisance des sanctions terrestres du bien et du mal, dont il ne peut pas ne pas être convaincu [d’autant qu’il est assez pessimiste sur l’état actuel de l’humanité 1, bien qu’il n’en parle pas, il aurait aussi, sans doute pénétré plus avant dans l’ombre lumineuse de l’au-delà ». Ibid., p. 79-80.

Dans l’interview citée plus haut, M. Bergson nous a donné quelques précisions, qui ne paraissent pas, de son propre aveu, dirimer entièrement le débat.

En somme, .M. Bergson a eu grandement raison d’établir qu’il y a deux types de religion, l’un inférieur et l’autre supérieur, et qu’expliquer celui-ci par celui-là est une méprise et une duperie. Mais, poussant plus loin ses propres idées, il aurait pu marquer plus nettement que la différence de ces deux types tient moins au temps et à leur forme extérieure, individuelle ou