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    1. RELIGION##


RELIGION. THÉORIE DE H. BERGSON, CRITIQUE

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qu’avait voulu la nature. Plus tard, et par un effort qui aurait pu ne pas se produire, l’homme s’est arraché à son t ournoiement sur place : il s’est inséré de nouveau, en le prolongeant dans le courant évolutif. Ce fut la religion dynamique, jointe sans doute à une intellectualité supérieure, mais distincte d’elle. La première forme de la religion avait été infra-intellectuelle : nous en savons la raison. La seconde, pour des raisons que nous indiquerons, fut supra-intellectuelle. C’est en les opposant tout de suile l’une à l’autre qu’on les comprendrait le mieux. Seules, en effet, sont essentielles et pures ces deux religions extrêmes. Les formes intermédiaires qui se développèrent dans les civilisations antiques, ne pourraient qu’induire en erreur la philosophie de la religion, si elles faisaient croire qu’on a passé d’une extrémité à l’autre par voie de perfectionnement graduel : erreur sans doute naturelle, qui s’explique par le fait que la religion statique s’est survécue en partie à elle-même dans la religion dynamique. » P. 197-198. Notons aussi que, dans l’interview citée plus haut, M. Bergson affirme la nécessité d’un temps de maturation pour que notre « médiocre » humanité accède à la religion dynamique. Il y aurait donc eu une période religieuse de « statisme » pur, ce qui implique, qu’on le remarque bien, que pendant longtemps la religion a été purement utilitaire, ne visant qu'à se servir des forces invisibles supposées en œuvre dans la nature et nullement à entrer en rapport d’intimité quelque peu cordiale avec elles, et qu’aussi elle a été, pendant aussi longtemps, un produit de l’hallucination fabulatrice, et uniquement un tel produit.

Nous avons peine à le croire, car, alors même, il y avait la poussée de l'élan vital qui devait aboutir à tout autre chose, c’est-à-dire à une religion d’amour et à l’expérience même du Dieu véritable et il y avait aussi ce Dieu, auquel croit M. Bergson. Et l’homme poussé par cet élan et le Père céleste n’ont-ils donc jamais pu se rencontrer dans la confiance et la miséricorde, dans la foi et la vérité pendant d’interminables millénaires. Quand M. Loisy était encore dans l'Église, il écrivait la belle page que voici : « Il est certain que, dans les premiers temps, d’affreuses ténèbres que les siècles n’ont fait que rendre plus épaisses ont recouvert a peu près toute l’humanité. Mais qui oserait soutenir et qui pourrait prouver que cette nuit sombre a également enveloppé durant les siècles sans histoire tous les représentants de l’humanité sur tous les points du globe où ils étaient répandus ? Les géologues essaient d'évaluer approximativement ic temps qu’il a fallu à une couche de terrain pour se former : quel philosophe se vantera de déterminer le temps qu’il a fallu à l’homme pour trouver Dieu ? La nature ne tient pas le même langage a tous les hommes, et tous ne la regardent pas de la même façon. On veut nous montrer l’humanité primitive dans un état d’effarement perpétuel en face des éléments, comme si les cléments, toujours et partout n’avaient pu que l’effrayer. ( [ci M. l.oisy a en vue Renan, If. Bergson a une théorie plus nuancée que la renanienne sur l’origine de la religion, même statique.) N’y eut-il donc jamais un seul être humain qui, dans le silence' d’une nuit sans nuages, leva tranquillement son

regard vers le ciel, sentit la pais universelle des choses entrer

dans sou âme, et, sous l’harmonieuse unité du monde visible, devina son invisible auteur ? Fallait-il donc pour cela beaucoup de syllogismes ou une connaissance approfondie de la nature ? [Il fallait même peut-être un moindre effort

d’imagination « pie pour croire aux fantômes créés par la

fonction fabulatrice.] El que savons-nous si, pendant que quelques individus mieux doués in ! ellecl uciuent et moralement, placés dans des conditions d’existence relativement supportables, observaient curieusement le monde et cherchaient Dieu, Dieu de son côté n’avait pas un regard de préférence et ne les cherchait pas ? En pareille conjoncture il y a chance pour qu’on se trouve. Ernesi Renan historien

il' I -n II, dans Revue anglo-romaine, I. iii, 1896, p. 260.

Curiosité de l’esprit, ou peut-être aussi cri d’appel instinctif vers une Bonté suprême, au moins vague ment devinée ou pressentie, fait psychologique qui lui aussi ne sciait pas plus compliqué que la création subconsciente d’un fantôme sauveur.

Puis, si nous passons des conjectures aux faits, rappelons tout d’abord que le caractère primitif de l’idée de Dieu a été démontré plus haut [au sens relatif que nous avons dit), et qu'à lui seul il suffit à renverser l'édifice si ingénieusement construit par M. Bergson, traitant de la religion statique pure. De plus les primitifs actuels, les seuls que nous connaissions, prient et dans toute prière, même intéressée, il y a au moins une ébauche d’intimité avec un être divin personnel. D’ailleurs l'être suprême des primitifs est assez généralement un Père, et traiter Dieu comme un Père, c’est avoir envers lui un élan de confiance qui fait sortir du « statique » pur. Voici, par exemple, une touchante prière de Pygmées de l’Afrique équatoriale et une prière désintéressée, de pur hommage, lors de la consécration de l’enfant mâle nouveau-né : « A toi le Créateur, à toi le.Puissant, j’ofïre cette plante nouvelle, fruit nouveau de l’arbre ancien. Tu es le Maître, nous sommes tes enfants, à toi, le Créateur, à toi le Puissant. » G. Babeau, Dieu, Paris, 1933, p. 50. LIciler, qui, dans son livre sur La prière, trad. fr., Paris, 1931, traite longuement de la prière primitive, la définit comme la fréquentation d’un dieu vivant et présent où l’homme « vide son cœur » et il estime que « toute prière naïve — non pas seulement celle des multitudes populaires, mais aussi celle des grands génies, des prophètes et des saints, des poètes et des artistes — n’est au fond que de la prière primitive ». P. 163.

M. Bergson reconnaît d’ailleurs qu'à partir de l’introduction de la notion de dieu — supposée à tort tardive — il n’y a plus statisme pur, surtout quand le mysticisme grec ou hindou s’efforce de dépasser le cercle des intérêts sociaux ou individuels. Qu’est-ce à dire, sinon que la religion close ne l’est pas tout à fait, et qu’avant même le saut en avant, la mutation brusque, la phase créatrice d'évolution créatrice qui devait fonder la vraie religion dynamique, c’est-à-dire le christianisme (ou du moins le mysticisme chrétien), les religions antiques se montraient perméables à des éléments étrangers à la forme primitive de la religion, qui y produisaient inquiétude, aspiration vers un audelà, mouvement profond des âmes et donc une sorte de prédynamisme.

c) Il n’y a donc pas eu de religion statique absolument pure, il n’y a pas eu davantage de religion dynamique pure, au moins au sens où l’entend M. Bergson.

D’ailleurs celui-ci constate le fait et en donne même une explication et une certaine justification. Quand le mystique « parle, il y a au fond de la plupart des hommes, quelque chose qui lui fait imperceptiblement écho », ainsi « la religion statique a beau subsister, elle n’est déjà plus entièrement ce qu’elle était ». P. 228. Une religion mixte se crée, où il arrive que des formules presque vides font « surgir ici ou là l’esprit capable de les remplir ». P. 229. Des éléments statiques subsistent « mais magnétisés et tournés dans un autre sens par cette aimantation mystique ». P. 230. Dans le christianisme cette aimantation [et au fait il ne s’agit que du christianisme ou de l’influence du christianisme sur d’autres religions] est d’autant plus puissante que le mysticisme n’est pas venu s’insérer, original et ineffable, dans une religion préexistante, formulée en termes d’intelligence, car d’une doctrinequi n’est que doctrine sortira difficilement l’enthousiasme mystique, mais a fourni l'élément incandescent qui par un refroidissement savant s’est cristallisé en une doctrine et une religion. De cette façon « tous peuvent obtenir un peu de ce que possédèrent pleinement quelques privilégiés. Sans doute cela suppose qu’on a dû s’assimilei et ce que la philosophie grecque avait construit et ce