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RELIGION. THÉORIE DE H. BERGSON, EXPOSÉ


gence. » P. 127. D’ailleurs, à cause de l’indistinction des notions aux premiers âges, de l’absence de barrières conceptuelles entre la loi et la coutume, la responsabilité individuelle et la responsabilité sociale, la chose et la personne, il n’y eut d’abord dans le réducteur de l'égoïsme que des éléments de personnalité, ce fut un tabou, un interdit avant d'être une vraie personne.

Un autre rôle de la fonction fabulatrice et de la religion est de réagir contre la dépression qui résulte du caractère inévitable de la mort. « La certitude de mourir, surgissant avec la réflexion dans un monde d'êtres vivants qui était fait pour ne penser qu'à vivre, contrarie l’intention de la nature. Celle-ci va trébucher sur l’obstacle qu’elle se trouve avoir placé sur son propre chemin. Mais elle se redresse aussitôt. A l’idée que la mort est inévitable elle oppose l’image d’une continuation de la vie après la mort : cette image, lancée par elle dans le champ de l’intelligence où vient de s’installer l’idée, remet les choses en ordre : la neutralisation de l’idée par l’image manifeste alors l'équilibre même de la nature, se retenant de glisser. Nous nous retrouvons donc devant le jeu tout particulier d’images et d’idées qui nous a paru caractériser la religion à ses origines. Envisagée de ce second point de vue, la religion est une réaction défensive de la nature contre la représentation, par l’intelligence de V inévitabilité de la mort. » P. 137.' De là découlent un certain nombre de « thèmes généraux de fabulation utile ». La société avait intérêt à une telle réaction surtout à l'époque où, pauvre en institutions, elle n'était bâtie qu’en hommes, les chefs n’ayant pleine autorité que grâce à leur survie. La croyance à « la survie fut dictée par l’idée du corps visuel détachable du corps tactile, idée antérieure à celle de l'âme. La conception du mana, « provision de forces » où viennent puiser tous les vivants, donna aux fantômes ainsi créés des possibilités d’action. Puis l’idée d'âme est rejointe par celle d’esprits et on peuple la nature d’esprits. Devenues esprits, les âmes des morts peuvent nuire ou aider, on les apaise, on se les concilie. De là des puérilités, des monstruosités dans une société qui, changeant en vase clos, ne progresse pas vraiment, « une prolifération du déraisonnable », le temps exaspérant « ce qu’il pouvait y avoir d’irrationnel dans des tendances élémentaires assez naturelles ». P. 143.

c. Formes générales que prend la religion. — Les deux fonctions essentielles de la religion ainsi déterminées, on peut alors dégager les tendances élémentaires qui expliquent les formes générales qu’elle a prises.

En dehors même de la mort, la vie est un risque à cause de l’intervalle que l’intelligence crée entre l’initiative et son effet. De là le recours à une assurance contre l’imprévisibilité par l’intervention de puissances favorables et l’explication de l'échec par des puissances hostiles. Actuellement encore, quand nous suivons nos tendances spontanées, dans le jeu par exemple, nous obéissons à des croyances du même genre quoique plus voilées : on encourage la bille de la roulette par une tension de tout l'être vers elle, on croit superstitieusement à la veine. Ceji n’implique pas l’indifférence aux causes naturelles chez le primitif, qui ne fait pas intervenir les causes mystiques quand l’homme n’est pas en jeu. Tout événement grave et non seulement l’incertitude de l’avenir produit une transposition Imaginative du même genre, parce que sous le choc notre conscience, « débarrassée de l’acquis », se trouve « rendue à sa simplicité originelle ». P. 161.

a) Parmi les /ormes élémentaires qu’expliquent les tendances que nous venons de décrire il y a d’abord la magie. Celle-ci n’est pas issue de la croyance à une force occulte répandue dans toute la nature, mana, orenda, etc., au contraire cette croyance fut le résultat de la pratique magique exercée dès l’origine ; l’homme

chargeant la nature de continuer l’action qu’il ne pouvait pas poursuivre… L’homme a agi ainsi, parce que d’instinct il humanisait les choses, les faisait sympathiser avec lui et que sans cela l'élan vital aurait été brisé. Une technique pratiquée à froid n’est venue qu’ensuite. Manipulant la matière, la magie peut servir accidentellement la science, mais en soi elle est l’inverse de la science qui implique effort d’invention et d’accueil, tandis que la magie favorise la paresse en substituant le désir au vouloir. C’est pourquoi cette dernière recule dans la mesure même des progrès scientifiques, bien que nous y ayons encore tendance. La magie fait partie de la religion inférieure, étant comme elle une précaution prise contre les dangers de l’intelligence. Mais, dans la région moyenne des phénomènes religieux, celle des dieux, il y a opposition entre elles : égoïsme, contrainte, objet impersonnel du côté de la magie, désintéressement, prière, rapports avec des personnalités du côté de la religion. Toutes deux divergent à partir d’une origine commune tout en continuant à se heurter réciproquement.

P) La croyance aux esprits ne fut pas la première forme de la spéculation. L’humanité n’a pas commencé, en fait de religion, par des vues théoriques : animisme où chaque être a son âme, préanimisme où règne une forme impersonnelle répandue dans le tout. Il y a d’abord eu les exigences de la vie : « la religion étant coextensive à notre espèce doit tenir à notre structure. » P. 187. L’animal ne regarde que ce qui concerne ses besoins et se comporte comme si tout était combiné en vue de son bien… L’homme qui réfléchit se sentirait perdu dans l’immensité de l’univers, si l’instinct ne suscitait pas chez lui l’image antagoniste d’une « conversion » des choses et des événements vers lui. Ensuite l’intention de la nature ou bien sera de plus en plus matérialisée et la magie tentera de la conquérir par force, ou bien elle sera abordée par le côté moral et personnalisée pour devenir objet de prière. Il y aune donnée des sens immédiate, l’action bienfaisante ou malfaisante vue tout d’abord et se suffisant à elle-même. Ce sera l’esprit à l'état premier. L’esprit diffère du dieu parce qu’il est strictement localisé et sans personnalité nette. Les âmes des morts viennent rejoindre les esprits et les préparent à devenir des personnes. La croyance aux esprits est universelle, elle n’est pas loin des origines, sans être tout à fait originelle et « l’esprit humain passe naturellement par elle avant d’arriver à l’adoration des dieux ». P. 192.

y) Avant d’arriver aux dieux, il faut ouvrir une parenthèse sur la zoolntrie et le totémisme. A une époque où l’intelligence n’avait pas encore fait ses preuves, l’animal en imposait par son absence d’hésitation et son silence qui paraissait fait de mystère et de dédain. Puis on voit en lui une qualité dominante et simple qu’on cherche à capter comme on avait capté les actions. Ainsi, au sortir de la religion primitive, on avait le choix entre le culte des esprits et celui des animaux. Dans l’animal, ce qui importe c’est le genre, tandis que chez l’homme c’est l’individu qui intéresse. Cela peut faire comprendre le totémisme qui consiste àvénérer une espèce animale ou végétale ou même une simple chose, comme le patron, le « totem » d’un clan. Chaque membre du clan est le totem, ce qui n’est pas une identification : « notre verbe être a des significations que nous avons peine à définir. » P. 194. Il s’agit là, en somme, d’un moyen de se différencier d’autres groupes, ce qui correspond à un intérêt vital, car on évite ainsi par l’exogamie la dégénérescence qui résulte de l’union entre proches. L’exogamie a pu d’ailleurs tomber en cours de route.

S) Le dieu, à la différence de l’esprit est une personne avec qualités, défauts, caractère, nom, relations définies avec d’autres dieux, fonctions importantes et