Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/425

Cette page n’a pas encore été corrigée
2263
2264
RELIGION. THÉORIE DE H. BERGSON, EXPOSÉ


p. 86. Mais l’expérience est un fait complexe qui comprend deux éléments : 1° une émotion, un état d’âme ; 2° une interprétation ; l’audition d’une parole intérieure et son attribution à Dieu, une intuition et un concept. Or la valeur de l’expérience dépend de celle du concept. Il y a, il est vrai, le moi subliminal, mais ce moi c’est une possibilité d’au-delà, ce n’en est pas un immédiatement. Mais « il semble bien que les génies de tout ordre, scientifiques, artistiques, religieux aient véritablement agrandi, ennobli la conscience humaine et, par conséquent, aient communiqué intérieurement avec un au-delà, dont ils ont contribué à faire pénétrer quelque chose dans notre monde ». IbUI., p. 89.

Recourons donc à la philosophie, la simple analyse psychologique ne suffisant pas. Il faut, pour le faire comprendre, deux précautions : ne pas définir a priori l’objet de notre recherche puisqu’il s’agit de quelque chose de plus que nous ne voyons et croyons qui serait en nous ; puis se servir de concepts, on ne philosophe pas autrement, mais « pour analyser, comprendre et approfondir la vie elle-même, dans toute sa compréhension, tant pratique que spéculative ».

Ces précautions prises, constatons dans toute la vie de l’homme l’effort pour se dépasser. « L’action humaine, si humble soit-ellc, tend à produire quelque chose que les seules forces mécaniques n’auraient pas réalisé, c’est-à-dire à créer en quelque manière. Déjà l’enfant se plaît à contrarier la nature, à imposer aux choses ses fantaisies, à les détruire pour constater sa puissance, à les mettre sens dessus dessous, à leur donner des formes grotesques pour se persuader qu’il crée. Il n’est pas jusqu’aux noms, aux mots du langage, qu’il ne s’amuse à déformer. L’homme médiocre comme l’homme de génie, le méchant comme le bon veulent changer les choses, leur imposer des formes que celles-ci ne se donneraient pas d’elles-mêmes, et qu’ils estiment neuves et belles. De la nature ils font la matière de quelque chose qu’ils rêvent supérieur : l’art.

t II en est de même du désir humain. Il va, d’instinct, à l’infini, à l’irréalisable, à l’impossible. La preuve c’est que son contentement même éphémère ne fait que lui donner un nouvel élan et le lancer vers des fins plus hautes. Les enfants demandent la lune, les hommes l’amour, le bonheur, la justice. Et, au fond, cet instinct n’est nullement absurde car, en désirant fortement l’impossible, on le rend possible en quelque mesure. Ce sont ceux qui ont pour maxime ab actu ad posse, qui peuvent. Ceux qui se règlent sur la maxime contraire, celle qui prescrit de borner l’agir au pouvoir, peuvent de moins en moins. » Ibid., p. 91.

Mais l’intelligence dont l’œuvre, la science, tend à l’identification universelle ne supprime-t-elle pas l’aude la ? Non, car l’analyse de la perception décèle dans l’esprit « sa puissance de dépasser la réalité donnée ». Dans la perception il y a d’abord une intuition, une impression subie par l’esprit au contact de l’objet donné. Il y a ensuite un concept, forme où l’on doit faire entrer l’objet pour le percevoir ; « connaître c’est reconnaître ». Voilà pourquoi on ne saisit dans une langue étrangère qu’on ignore qu’un bruit confus, lui liii, comme le concept n’a pas été fait pour l’intuition particulière cpii s’y moule, il faudra ajuster celle-ci à celui-là, et cet ajustement sera une véritable création, travail qui i transforme, assouplit, diversifie, multiplie lis concepts » et du même coup les possibilités d’intuition. L’intelligence vise donc un au-delà, l’idée faisant naître d’autres idées.

Reste la question fondamentale : les créations de l’homme comportent-elles une valeur objective ? Il faut ici distinguer deux sortes d’objectivité : la conception dualiste ou le sujet est comme le miroir de l’objet, nuis qui ne tient pas devant ce fait que l’objet.la chose, est sans cesse recréé par l’esprit, d’où il suit que le dualisme

même est l’œuvre de l’esprit, et l’objectivité première, dont le principe se trouve « dans la raison elle-même, en tant qu’elle est, par essence, en communion avec l’être ». C’est parce qu’il est construit sous la direction de cette raison, que l’objet a une valeur objective. « Or le fond de l’esprit, c’est la puissance et la volonté de créer dans l’harmonie. Se répandre de toutes les manières possibles, et se réaliser en des êtres qui s’aiment, s’accordent, et produisent des mondes beaux et ordonnés, c’est la tâche qu’il se donne.

a Déjà le monde donné, ce que nous appelons le réel, est le fruit de l’au-delà intérieur, qui tend à se réaliser, mais cette réalisation même fait ressortir la supériorité de l’harmonie invisible sur l’harmonie visible : l’harmonie invisible est meilleure que la visible, disait Heraclite. « C’est pourquoi l’esprit cherche à réaliser le surplus qui est en lui par des voies autres que celles de l’expérience objective et de la science positive : par la métaphysique, par l’art, par la religion. « La métaphysique concerne la connaissance : c’est l’effort pour considérer les êtres, non seulement au point de vue de leur nature et de leurs rapports actuels, mais au point de vue de leur création et de leur raison d’être. « L’art, c’est l’effort vers l’au-delà dans l’ordre de la production. Il consiste dans la tentative de créer avec quelques matériaux empruntés à notre monde, à ce monde matériel où notre être se perd, un autre monde où nous soyons chez nous, un monde humain. « La religion, enfin, est l’effort pour accroître, agrandir et transfigurer le fond même de notre être, grâce à cette puissance qui nous fait participer d’un être autre que le nôtre, et qui veut embrasser l’infini même : l’amour. Le principe de la religion, c’est ce qu’on appelle l’argument ontologique. Dieu, que ton règne soit ! Que le parfait se réalise ! Tandis que la nature dit : nemo ultra posse lenetur : le pouvoir est la mesure du devoir, la maxime de la religion est : tu dois, donc tu peux. Ht, en effet, la religion confère à la nature la force de réaliser ce qui, à ses yeux, était irréalisable ! « La religion, est, au sein de l’âme, le gage de l’unité foncière du donné et de l’au-delà, et la promesse de l’avènement croissant de celui-ci dans le domaine de celui-là. » Ibid., p. 96-97.

Emile Routroux devait aller plus loin dans la voie des affirmations religieuses. Le 8 mai 1919, à la fin de son discours de réception de François de Curel, il disait : « Demain comme hier soyons vraiment des hommes, c’est-à-dire osons être les collaborateurs de Dieu, de ce Dieu, exempt d’envie, qui, en revêtant l’humanité pour nous unir à lui, nous a appelés àfaire, avec lui, descendre sur la terre la justice et la paix. »

IV. LA RELIGION ET LA CONSCIENCE CLAIRE : HENRI

beroson. — 1° Exposé. — Trop souvent, nous l’avons vu, ethnologues et psychologues, même ceux qui ont une vive sympathie pour la religion, comme W. James, mettent sur le même pied des phénomènes de valeur très inégale, du moins accordent aux plus bas d’entre eux la même signification essentielle qu’aux plus élevés : les corroboris australiens expliqueraient plus simplement et plus clairement le phénomène religieux, que tout autre fait, nous dit Durkheim, la mind-cure nous met eu relations avec l’au-delà comme l’extase mystique véritable, nous affirme W. James. On comprend qn’en présence d’assimilations aussi peu justifiées, M. Dergsou ait distingué deux sources de la religion et deux religions. Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, 1932,

1. L’obligation morale.

Le premier chapitre des Deux sonnes n’rsl pas consacré à la religion mais à l’obligation morale. Nous le résumerons brièvement. Il y a une pression « le la société sur l’individu pour le