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RELIGION. ORIGINE DANS LA CONSCIENCE CLAIRE


conscient et comme lui il croit que le subconscient nous met en rapports avec une réalité supérieure. Son analyse a été exposée et critiquée à l’art. Mystique, t. x, col. 2654 sq. L’auteur de cet article avait surtout en vue l’ouvrage de H. Delacroix, intitulé Les grands mystiques chrétiens (de 1908). Depuis, ce même philosophe a donné des indications sur l’orientation générale de sa pensée : « Les dieux sont l’incarnation, l’individualisation de la force religieuse, élémentaire, anonyme, impersonnelle, qui les déborde, laissant flotter autour d’eux un monde d’infinité. » La religion et la foi, Paris, 1922, p. 428.

L’intelligence « est l’aptitude à construire des systèmes d’abstractions les uns par dessus les autres ; a pousser plus avant dans la voie où elle s’est engagée ; à compléter par une diversité concurrente ce qu’elle commence par établir, comme en font foi ces univers complémentaires de la science que sont la religion, l’art, la morale et le droit, la philosophie dont l’essence est bien de construire des mondes différents et complémentaires et non point de constituer des essais provisoires qui tôt ou tard s'évanouiront devant la science ». Les grandes formes de la vie mentale, Paris, 1934, p. 148. En somme, du panthéisme que nous n’avons pas à réfuter ici.

III. LA RELIGION ET LA CONSCIENCE CLAIRE : EMILE

BOUTROUX. — Ce philosophe met l’essence de la religion — pour légitimer l’attitude religieuse — dans le besoin de dépassement qui caractérise la société et l’individu. « Chose étrange, chaque groupe d’hommes, chaque individu ne tient pas seulement à ses coutumes, parce qu’elles sont siennes, mais parce qu’il les croit supérieures à celles de tous les autres. Et chaque événement humain n’est pas seulement déterminé par un besoin insatiable de changement : il doit, en outre, dans la pensée de ceux qui y sont mêlés, réaliser une forme d’existence plus belle et plus haute que toutes les précédentes. Nulle génération ne croit sérieusement être inférieure à ses devancières. Quand nous nous complaisons à analyser les biens dont jouissaient les générations antérieures et qui nous manquent, les éloges mêmes que nous décernons à nos devanciers signifient, au fond, qu’il ne tient qu'à nous, en nous appropriant ce qu’ils ont pu trouver d’utile et de bon, non seulement de les égaler, mais de les dépasser. « Or quelle est la valeur de tels jugements ? Sont-ils entièrement absurdes ? L’histoire humaine n’est-elle, en réalité, qu’une vaine succession de formes inutilement diverses, ou a-t-elle, en effet, un sens ? « Si l’on considère, non plus les sociétés et leur histoire, mais l’individu dans le sentiment qu’il a de sa vie intérieure, le même problème se pose. Par toutes ses facultés, l’homme, constamment, cherche autre chose et mieux que ce qu’il possède. Une sensation donnée lui est une excitation à poursuivre une sensation nouvelle. Une idée qui lui est offerte lui en suggère d’autres, et l’induit à questionner, à comparer, à philosopher. Le but qu’atteint sa volonté n’est déjà plus, à ses yeux, qu’un point de départ pour une nouvelle entreprise. « Soit dans l’histoire de son espèce, soit dans sa vie individuelle, l’homme est un être qui aspire à se dépasser. Que signifie, que vaut cette bizarre prétention ? « A cette question l’on peut, notamment en s’appuyant sur certains aspects de la science moderne, répondre que l’homme est dupe d’une illusion, que nulle part, dans la nature, ne saurait jamais se produire aucun phénomène qui ne soit un simple équivalent des antécédents dont il dérive. L’univers est préformé, totalement, de toute éternité, dans ses éléments et ses lois. Si l’homme a le sentiment d’un manque, d’une possibilité de se grandir, s’il croit qu'à son aide vien DICT. DE THÉOL. CATHOL.

nent des puissances surnaturelles, ces impressions sont uniquement le fait de son ignorance et de sa vanité. Son pouvoir est une quantité donnée, résultante mécanique des forces naturelles dont il est la synthèse accidentelle et temporaire. Sa destinée est enfermée dans les limites de ce pouvoir. Cette appréciation des choses est très concevable, et, à certains égards, plausible ; mais elle n’est pas nécessaire. « En fait, la réflexion humaine en a, de tout temps, professé une toute différente. Selon cette autre interprétation, l’homme a, bien réellement, la capacité de concevoir des fins supérieures à ses forces naturelles ; et vers ces fins il lui est possible de s'élever, parce qu'à son action peut s’unir celle de quelque être plus grand que lui, et plus puissant que la nature. Collaborateur de cet être supérieur, l’homme peut, véritablement, dépasser et la nature, et lui-même. « Il semble que ce soit dans cet ordre d’idées qu’il convienne de chercher l’essence de la religion. « L’homme est sur le chemin de la religion dès que, sérieusement, il cherche à se dépasser, non seulement quantitativement, mais qualitativement. Un accroissement de forces purement quantitatif pourrait s’expliquer par un simple emprunt fait au réservoir, peutêtre infini, des énergies physiques de l’univers. Mais un accroissement de valeur et de perfection, s’il est autre chose qu’un mot, surpasse les forces de la nature comme telle. « Déjà la science et l’art visent un tel accroissement, mais s' appuyant sur la nature et le donné, ils vont audevant du vrai et de l’idéal, ils le cherchent : ils ne savent s’ils y peuvent atteindre. « L’originalité de la religion, c’est d’aller, non du pouvoir au devoir, mais du devoir au pouvoir : c’est de procéder résolument en supposant le problème résolu, et de partir de Dieu. Ab aclu ad posse, telle est sa devise. Dieu est l'être, le principe, la source débordante de la perfection et de la puissance. Qui participe à la vie de Dieu est en possession de dépasser véritablement la nature, de créer. Religion c’est création, belle et bienfaisante, en Dieu et par Dieu. « Remontant à la source même de l'être, la religion intéresse l’homme tout entier. Il est vain de se demander si elle est plutôt affaire de sentiment ou d’intelligence ou de volonté. Elle a son siège en ce fond de l'âme où l’un et le multiple se pénètrent, caractère qui déjà paraît dans ce que nous appelons la vie. La volonté y est foi, confiance, résolution invincible, comme il convient à ce qui se sent un avec la puissance créatrice. L’intelligence travaille pour se créer des formes capables de représenter l’irreprésentable d’une manière à la fois digne de l’objet et saisissable pour l’humanité. Et le sentiment, tour à tour terreur en face de l’insondable, et enthousiasme au contact du divin, trouve sa pleine satisfaction dans cet amour suprême, en même temps don de soi et possession, qui est, par excellence, la fécondité et la joie. « Et toutes ces manifestations, au fond, se commandent et se pénètrent les unes les autres, comme, dans la lumière, sont unies les couleurs qui, réfléchies par des corps divers, se distingueront. » L’essence de la religion, dans Revue bleue, 25 mai 1912, et La nature et l’esprit, Paris, 192C, p. 224-227,

Dans une autre étude intitulée L’au-delà intérieur, Routroux a esquissé une démonstration de la vérité de la religion ainsi comprise. Il part de l’expérience religieuse et il se pose la question suivante : « Dans l’expérience religieuse d’un saint Paul, d’un saint Augustin, d’un Luther, d’une sainte Thérèse, d’un Pascal, l’homme ne perçoit-il pas, au-dedans de soi, un contact avec un être plus grand et plus parfait que lui, c’est-àdire un au-delà véritable ? » Morale et religion, Paris, 1925, recueil de conférences données de 1907 à 1918,

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