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RELIGION. L’EXPÉRIENCE RELIGIEUSE, CRITIOUK


tion différente de l’univers. » L’expérience religieuse, p. 105. Ces expressions assez énigmatiques s'éclairent dans une certaine mesure quand on les rapproche de ce que James nous a dit du Pluralistic Universe (trad. française, sous le titre de Philosophie de l’expérience, Paris, 1010, l’année même de la mort de W. James). Voici d’après M. G. Miehelet les idées principales de cet ouvrage : « Le théisme (philosophie catholique) représente Dieu et la création comme deux entités distinctes, et fait de nous « des êtres étrangers à Dieu et « lui restant étrangers ». L’homme étant ainsi un simple sujet, Dieu n’est plus le cœur de notre cœur, mais un souverain. Ce dualisme s’est toujours trouvé en lutte avec le monisme, plus simple, plus logique, plus rationnel, plus radical : et avec les expériences mystiques des âmes religieuses sur un Dieu intime. Cette intimité du divin et de l’humain écarte tout autant le panthéisme, système spéculatif issu du besoin d’unité. Le pluralisme nous fait découvrir des zones multiples d’existences, dans le monde, des régions nouvelles et inexplorées, l’expérience naturelle n’est qu’un fragment de l’expérience totale, et le monde du pluralisme ressemble à une république fédérale plutôt qu'à un empire. Il y a, non un univers, mais un muttivers. Cet empirisme pluraliste établit pour nous la relation la moins lointaine avec Dieu ; avec Dieu conçu comme fini, qui n’a plus à expliquer le mystère de la chute, le mystère du mal, le mystère du déterminisme universel : notre conscience humaine, par l’expérience religieuse, s’unit donc à cette « conscience surhumaine », elle-même finie dans l’univers ». Art. Religion dans Diclionn. apol., t. iv, Paris, 1022, col. 904. Nous renvoyons sur cette question philosophique à l’article Dieu de ce dictionnaire où l’on verra que la conception d’un Dieu fini est une contradiction dans les termes et on constatera plus loin que l’expérience religieuse est orientée vers un absolu. Quant à la science moderne, elle postule l’unité de l’Univers.

Mérites du système.

 Ces réserves capitales ne

doivent pas empêcher de reconnaître non seulement le succès persistant (dont nous avons une preuve dans l’abondante bibliographie qui termine l’ouvrage de M. G. Maire sur V. James paru en 1933), la riche documentation, les fines analyses, l’humour, l’entrain de V Expérience religieuse mais ses mérites positifs. Nous en empruntons rémunération à G..Miehelet, loc. cit., col. 900 à 902. « 1. La théorie de W. James reconnaît la réalité des faits de conscience et l’expérience religieuse. — Ainsi s’oppose-t-elle au système sociologique, pour qui seul l’extérieur, l’objectif, le collectif a une réalité véritable, et seule susceptible de connaissance scientifique, elle réagit tout autant contre les tendances de la psychologie inspirée de l’empirisme anglais, pour qui le fait de conscience est secondaire, sorte d'épiphénomène, sans efficacité, pure réplique ou ombre du phénomène physiologique. Suivant l'école expérimentale anglaise et la psychologie de Ribot, qui a importé en France ces théories, en opposition si nette avec la tradition philosophique française, toute explication psychologique, pour être scientifique, doit s’interpréter en termes de biologie. W. James, et avec lui Bergson, réagissent vigoureusement contre une telle suppression de la psychologie. M. Bergson a préfacé la traduction française du Pragmatisme de W..lames, parue à Paris en 1911, l’original anglais étant de 1907. « Les faits de conscience sont réels, constituent des données immédiates. De même, l’expérience religieuse demande à être analysée, avanl « l’en venir à l'étude des institutions ; ni la sociologie, ni l’histoire des religions ne peuvent suppléer à la psychologie religieuse. Sans celle-ci, elles demeureront inintelligibles. « 2. Elle affirme l' irréductibilité <tes faits de conscience

et de l’expérience religieuse. — Même si les faits de conscience sont conditionnés par des données biologiques et des antécédents nerveux, théorie de chevet acceptée par James, et qui est, on le sait, la donnée du composé humain de la scolastique, ces faits ne peuvent se ramener à ces antécédents. Même si l’expérience religieuse s’accompagne de phénomènes de névrose, ou de manifestations pathologiques, en son fond elle garde sa réalité et sa valeur. W. James a énergiquement repoussé et ridiculisé les théories du matérialisme médical, qui ramène la conversion, dans l’adolescence, à une crise de l’instinct sexuel, la conversion de saint Paul « à une décharge épileptiforme dans l'écorce occipitale », et la mélancolie de Carlyle à un « catarrhe gastroduodénal ». Contre ces fantaisies matérialistes la réfutation pleine de verve de W. James gardera toute sa valeur. « 3. Elle reconnaît les variétés de l’expérience religieuse.

— Dans les théories sociologiques, l’individu n’est que le résultat du milieu social ; son individualité n’existe pas, ou demeure inexplicable, ou du moins ne peut s’expliquer que par l’entrecroisement des facteurs sociaux, qui nient cette illusion de personnalité, toute factice on le voit ; ici James insiste sur ces variétés (d’où le titre anglais : The varieties…), sur ces aspects strictement individuels, sur cette coloration personnelle des idées, des sentiments religieux. Cette expérience se réalise dans la personne, et elle partage son inimitable originalité ; les expériences ne se révèlent jamais entièrement les mêmes. Pas de conformisme religieux, ni de pure imitation, ni d'écho inerte, mais la vie, la vie individuelle, avec les marques de cette individualité. « 4. Elle s’attache surtout aux expériences religieuses originales, plus complètes, plus élevées. — Par là, cette méthode nous débarrasse de ce privilège ridicule, de cet engouement des thèses évolutionnistes pour le primitif. Elle rappelle la science des religions au respect des méthodes scientifiques : étudier d’abord ce qui est le mieux connu, le plus directement observable, le plus près de nous ; expérience qui, scientifiquement, est plus accessible à la fois et plus significative. Elle renverse donc et d’abord tout l'échafaudage évolutionniste, pour se mettre immédiatement en face des faits religieux, sans théorie interposée, comme James se préoccupe d’entrer dans la psychologie, en oubliant toute explication préconçue. Cf. V. James, Précis de psychologie, traduction française, préf., p. vu et p. 19. « 5. Elle met sur le même pied V expérience religieuse et l’expérience scientifique. — Elle n’entend pas supprimer la religion au nom de la science : la méthode scientifique lui impose de reconnaître des faits religieux d’un autre ordre que les faits matériels, observables du dehors, mais tout aussi réels, qui s’imposent à l’observation, et que la science doit, non pas nier arbitrairement, ou dédaigner de parti pris, mais s’efforcer d’expliquer. D’ailleurs, cette expérience nous apporte l’affirmation de nouvelles réalités, plus hautes, plus larges, que les étroites limites où la science prétend nous enfermer. « 6. Elle proclame la valeur éminente de laide religieuse.

— Et ceci, par application du pragmatisme. Les formules significatives abondent dans l'œuvre de James : » la religion est un rouage essentiel » de la vie, une fonction biologique des plus importantes ; la sainteté est un facteur essentiel du bien-être social : les saints comptent parmi les grands bienfaiteurs de l’humanité. En face du scientisme orgueilleux et du scepticisme qui paralyse les âmes, l'œuvre de.lames exaile la valeur de la vie religieuse, source de force, de paix, de joie et d’héroïsme. » Diclionn. apol., art. Religion col. 900 et 902.

Nota.- -H. Delacroix a émis des idées assez, voisines de celles de W..lames. Comme lui il fait appel au sub-