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RELIGION. L’EXPÉRIENCE RELIGIEUSE, EXPOSÉ


pour l’humanité une nécessité vitale, car celle-ci ne subsiste qu’en se créant et se recréant continuellement. Le saint peut être mal adapté à la société au milieu de laquelle il vit. c’est qu’il est adapté à une société plus parfaite qu’il annonce et prépare. Avec son idéal d’amour et de paix il est préférable à l’homme de proie. « En somme, sans faire appel à des considérations théologiques, en ne nous fondant que sur le bon sens et notre critère empirique, nous laissons à la religion sa place éminente dans l’histoire de l’humanité. La sainteté est un facteur essentiel du bien-être social. Les grands saints sont des vainqueurs, les petits sont au moins des avant-coureurs, des hérauts, s’ils ne sont pas eux-mêmes des initiateurs. Soyons donc nous-mêmes des saints, si nous le pouvons, sans nous inquiéter du succès visible. » P. 322-323.

3. La religion est utile, est-elle vraie ? P. 233. Deux voies ont été tentées pour démontrer sa vérité : le mysticisme et la spéculation. G. xi. « On peut dire que la vie religieuse a sa racine dans des étals de conscience mystiques. Notre sujet étant proprement l’expérience religieuse intime, l’étude du mysticisme devrait l’éclairer d’une vive lumière. Je ne sais si j’obtiendrai ce résultat, car mon tempérament m’interdit presque toute expérience mystique, et je n’en puis parler que d’après les autres. Ne pouvant observer que du dehors, j’observerai du moins avec impartialité, avec sympathie ; j’espère convaincre mes lecteurs de la réalité des états mystiques, et de leur importance capitale dans la vie religieuse. » P. 324. Les expériences mystiques révèlent quatre aspects caractéristiques : 1° Inefjabilité : les mots ne peuvent les exprimer, elles sont incommunicables et, pour les comprendre, il faut être mystique, comme il faut être musicien pour comprendre la musique et amoureux pour comprendre l’amour. 2° Intuition : « Si les états mystiques sont des sentiments. ils apparaissent aussi au sujet comme une forme de connaissance. Ils lui révèlent dos profondeurs de vie insondables à la raison discursive. C’est une illumination, d’une richesse inexprimable, dont on sent qu’elle aura sur toute la vie un immense retentissement. » P. 325. 3° Instabilité : Les états mystiques durent une demiheure, une ou deux heures tout au plus. Après on se les rappelle difficilement, mais revenant on les reconnaît, et l’âme par eux s’enrichit et s’épanouit. 4° Passivité : On peut favoriser leur apparition par la fixation de la pensée, des mouvements rythmiques, etc. ; mais une fois réalisés « le sujet sent sa volonté paralysée ; parfois même il se sent comme dompté par une puissance supérieure ». Il en est ainsi en d’autres états : glossolalie, écriture automatique, extase médianimique, etc. « Il y a cependant une différence : dans les cas morbides, les phénomènes ne laissent d’ordinaire aucune trace, dans la mémoire et n’influent pas sur la conscience normale, qu’ils interrompent brusquement. Les états mystiques proprement dits n’interrompent jamais entièrement le courant de la pensée : il en reste toujours quelque souvenir et le sentiment de leur importance, ils modifient toute la vie intérieure du sujet. La distinction n’est au reste qu’approximative entre lis états mystiques et les phénomènes d’automatisme. » P. 325. De ces caractères W. James donne de nombreux exemples et il conclut comme il suil : « .Malgré tout, la seule existence des élats de conscience mysl iques ruine la prétention des élats non mystiques à décider souverainement de toutes nos croyances. En général, les états mystiques ne font qu’ajouter une valeur ineffable aux objets ordinaires de la conscience. Vasonl des Stimulants, comme l’amour ou l’ambition ; c’est une pure grâce qui transligure de sa lumière ce que nous connaissons déjà et renouvelle notre activité. Ils ne suppriment pas les données Immédiates de notre sensibilité ; c’est bien plutôt le rationaliste

qui est le négateur ; et ses négations n’ont pas de force, car il ne saurait exister un fait à qui l’on n’ait le droit d’attribuer un nouveau sens, pourvu que l’esprit s’élève à quelque point de vue plus compréhensif. La question doit toujours rester ouverte de savoir si les états mystiques ne seraient pas de tels points de vue, des fenêtres donnant sur un monde plus étendu et plus complet. Quand même chaque mystique verrait par sa fenêtre un monde différent, cette diversité n’infirmerait en rien notre hypothèse. Le monde plus grand qu’ils aperçoivent serait aussi complexe qu’est le nôtre, voilà tout. Il aurait ses régions célestes et ses régions infernales, ses tentations et ses délivrances, ses expériences vraies et ses illusions ; il ressemblerait à notre monde, tout en étant plus grand que lui. Pour mettre à profit les données qu’il nous fournirait, nous devrions user des mêmes procédés que dans le monde naturel, choix, subordination, substitution. Nous y serions sujets à l’erreur autant que dans notre vie de chaque jour. Et cependant, pour atteindre à la plénitude de la vérité, ce pourrait être une condition indispensable de tenir le plus grand compte, dans chacune de nos actions, de ce monde plus compréhensif. » Hypothèses, sans doute, « mais que nos raisonnements ne sauraient renverser. Le surnaturalisme optimiste auquel elles nous amènent pourrait bien être après tout la formule la plus juste du sens de la vie. » P. 362.

Quant à la spéculation, son rôle est très réduit dans la pensée de W. James. Sans doute il reconnaît que si le cœur est la source de la vie religieuse, l’intelligence entre en jeu dans chacune de nos fonctions. Mais il se rallie au pragmatisme de Charles Sanders Peirce, tel qu’il l’exposa dans un article du Popular science monthlg, (janvier 1878, t.xii, p. 286 sq.) : « La pensée en mouvement ne saurait avoir d’autre but que la croyance, c’est-à-dire la pensée en repos. C’est seulement quand notre pensée a trouvé son équilibre que notre action peut être ferme et sûre. Les croyances sont des règles d’action : la fonction première de l’intelligence est de permettre à l’homme l’acquisition d’habitudes actives. S’il y a dans une pensée quelque élément qui ne puisse rien changer aux conséquences pratiques de cette pensée, c’est un élément négligeable. Pour en développer tout le sens, il suffit donc de déterminer tous les actes qu’elle est apte à faire naître : de ses effets pratiques, elle tire toute sa valeur. A la base de toutes nos distinctions théoriques, si subtiles qu’elles soient, on ne trouvera rien d’autre que des différences d’efficacité pratique. Pour atteindre à la parfaite clarté d’une idée nous n’avons qu’à nous demander quelles sensations pourrait nous donner son objet, et quelle devrait être notre conduite s’il était une réalité. Tout le sens que peut avoir la conception d’un objet se réduit à la représentât ion de ses conséquences pratiques. » P. 374-375. Œ ce point de vue, les attributs métaphysiques de Dieu n’ont pas de valeur. Ses attributs moraux en ont une grande, mais ce n’est pas la théologie dogmatique qui peut les démontrer. P. 375-376. La philosophie de la religion doil devenir la science des religions, mais une science qui traite vraiment la religion comme un l’ail et un l’ait étudié dans sa réalité vivante. P. 381382. Le c. xii de [’Expérience religieuse est consacré à la religion pratique : sacrifice, confession, prière surtout, c’est-à-dire effort pour s’aider de l’énergie divine elle-même.

W. James conclut que, par la religion, « l’homme voit clairement que son moi supérieur et potentiel est son véritable moi. Il arrive à se rendre compte que ce moi supérieur fait partie de quelque chose de plus grand que lui, mais de même nature ; quelque chose qui agit dans l’univers en dehors de lui, qui peut lui venir en aide, et s’offre à lui comme un refuge suprême quand son être inférieur a fait naufrage. » P. 12 1 (c’est W. James qui