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RELIGION. L’EXPÉRIENCE RELIGIEUSE, EXPOSÉ


Le subconscient fut pour William James une véritable révélation :

La psychologie courante d’ilyavingt ans, tout en admettant qu’il est bien difficile de tracer cette limite, prenait néanmoins pour accordé : 1° que toute l’activité consciente, obscure ou claire, centrale ou périphérique, qui est présente a un moment donné, constitue un champ unique, bien qu’il soit impossible d’en assigner les limites ; et 2° que ce qui est tout à fait en dehors de l’extrême périphérie n’existe absolument pas comme lait psychologique. Le progrés le plus considérable qu’on ait fait en psychologie depuis que j'étudie cette science, c’est, à mon avis, une découverte qui date de 1886 et qu’on peut résumer ainsi : Il existe, au moins chez certains sujets, des souvenirs, des idées et des sentiments tout a fait en dehors de la conscience ordinaire, et même de sa périphérie, qui, cependant doivent être comptés comme des faits conscients, et qui se manifestent au dehors par des signes irrécusables. Cette découverte me paraît d’une Importance capitale, parce qu’elle nous a révélé une particularité de la nature humaine qu’on n’avait jamais soupçonnée auparavant. L’on ne saurait en dire autant d’aucun autre progrés accompli en psychologie.

Jusqu'à présent, les individus chez qui l’on a pu observer de prés ces faits curieux sont relativement peu nombreux, et plus ou moins excentriques ; ce sont bien des sujets particulièrement sensibles à la suggestion hypnotique ou bien des hystériques. Cependant, le mécanisme élémentaire de la vie mentale étant le même partout, ee qui apparaît d’une manière frappante chez plusieurs personnes, et se realise chez quelques-unes avec une extraordinaire intensité, doit être vrai pour tout le monde.

Quand la conscience subliminale, comme l’a baptisée Myers, est fortement développée, il en résulte pour le sujet une conséquence très importante : certains éléments de cette conscience peuvent subitement faire irruption dans le champ de la conscience ordinaire. Comme le sujet ne saurait en deviner l’origine, ils revêtent à ses yeux la [orme d’impulsions mystérieuses, d’inhibitions, d’idées obsédantes, et même d’hallucinations de la vue ou de l’ouïe. Le sujet peut être conduit à prononcer ou écrire des mots, des phrases, dont il ignore le sens. Myers, généralisant ce phénomène, appelle automatisme, sensoriel ou moteur, émotif OU intellectuel, tout ce qui résulte des incursions de la conscience subliminale dans le champ de la conscience ordinaire. Expérience religieuse, p. 198-199.

Le recours au « subliminal » permet d’expliquer les phénomènes religieux sans les réduire à des faits organiques et de maintenir la valeur de la religion.

1. Les faits (l re partie de l’Expérience religieuse). — Il arrive aux mystiques comme aux hallucinés de sentir présent un objet — pour les mystiques c’est l'être divin — sans en avoir aucune représentation. Or le rationalisme n’a jamais donné une explication satisfaisante de ce sentiment de présence qui survit à toutes les raisons qu’on donne à ceux qui l'éprouvent de le tenir pour illusoire, il est aussi indestructible que la croyance à la réalité des objets des sens. Il est donc permis de croire que l’homme perçoit une réalité autre que celle que lui donne l’expérience sensible ordinaire. C. ii r, La réalité de l’invisible.

Au point de vue de la vie spirituelle, il y a deux sortes d’hommes : ceux qui, pour être heureux, n’ont qu'à naître une fois, once boni churacters, les optimistes, et ceux qui, nés malheureux ou se sentant tels, ont besoin de renaître, twice boni chnracters, les pessimistes. Or l’optimisme religieux peut fort bien tenir à ce qu’on renonce comme d’instinct à son petit moi pour s’abandonner avec confiance à l’action d’un moi supérieur. C. iv. Quant aux âmes douloureuses, obsédées par le sentiment d’une misère irrémédiable, le scrupule, l’inquiétude, si leur guérison est possible, elle ne peut venir que d’une intervention surnaturelle, et le surnaturel n’est peut-être pas fort différent du subliminal ; du moins par coïncidence partielle. C. v. Mais il est un état d'âme qui participe à la fois de l’optimisme et du pessimisme, la volonté se trouvant partagée entre celui-ci et celui-là. C. vi. Le retour à l’unité des êtres

déchirés, quand il a lieu, de même que toute conversion, surtout la conversion soudaine, les brusques revivais des foules, s’explique au mieux par l’intrusion et, dans les cas d’action rapide, par l’irruption du subliminal dans la conscience claire et ordinaire. C. vu. D’une façon générale la vie religieuse, du moins dans ses états intenses, implique le déplacement du centre d'énergie personnelle et la conscience de l’agrandissement de l'être par la fusion avec un plus grand que soi. (Emile Boutroux, Science et religion, Paris, 1908, p. 306. Analyse de W. James.)

2. Les fruits.

C’est à ses fruits seulement, à son efficacité pratique uniquement que W. James veut reconnaître la valeur et la vérité de la religion. I ! commence la seconde partie par une hymne véritable à la sainteté. C. vin. Grâce à la dévotion, il y a des heures oii la beauté de l’existence nous pénètre comme une chaude atmosphère. La charité épanouit l'âme et renverse toutes les barrières. La force d'âme crée la résignation, la sérénité, le mépris du danger, la concentralion de la conscience sur le moment présent. La pureté crée l’harmonie et grâce à elle l'âme rejette d’instinct tout ce qui risque de la ternir. Si l’ascétisme n’est plus guère en faveur, il faut néanmoins reconnaître que la plupart des hommes ont besoin, pour goûter la vie. qu’il s’y mêle un peu d’austérité. L’obéissance est pour beaucoup d'âmes un besoin profond que nous devons nous efforcer de comprendre. Quant à la pauvreté elle est souvent synonyme, même dans la vie laïque, d’indépendance spirituelle. Notre auteur reconnaît que l’enthousiasme moral n’est pas le monopole exclusif des âmes religieuses et cite (p. 277), à ce sujet, une belle page de Jules Lagneau. Mais il ajoute : « A ceux qui seraient tentés d’opposer ce grave enthousiasme, cette charité si raisonnable et cet ascétisme philosophique aux extravagances des âmes religieuses, je rappellerai seulement qu’on ne comprend pas tout à fait clairement un sentiment qu’on n’a pas éprouvé soi-même. Un citoyen des États-Unis n’arrivera jamais à comprendre le loyalisme d’un Anglais pour son roi ou d’un Allemand pour son empereur. Ht de même un bourgeois de Londres ou de Merlin ne comprendra jamais le bonheur intime qu'éprouve un Américain à n’avoir ni monarque, ni kaiser, ni aucun vain étalage de sottise humaine, entre lui et son Dieu. Mais, si des sentiments aussi simples sont impénétrables pour quiconque ne les a pas respires dès sa naissance dans l’atmosphère morale de son pays, combien plus doivent rester énigmatiques au spectateur indifférent les émotions religieuses, si subtiles et si complexes. Un tel état d'âme ne se laisse pas sonder du dehors. Pour celui-là seul qui en est illuminé, son rayonnement dissipe les ténèbres, éclaire les mystérieuses profondeurs où nous ne voyons que d’incompréhensibles divagations. On peut dire que chaque émotion a sa logique propre, d’où elle tire des conséquences qu’aucune autre logique ne pourrait lui fournir. La piété, la charité, l’ascétisme ((instituent un foyer d'énergie personnelle qui n’a rien de commun avec les craintes et les convoitises vulgaires. C’est un esprit tout différent et par suite un tout autre univers, lue extrême affliction peut changer en consolations certaines douleurs, transformer en joies bien des sacrifices, de même la confiance absolue en Dieu supprime les craintes et les préoccupations terrestres. Dans la ferveur d’une émotion d’où l'égoïsme a disparu, les précautions mesquines et les ressources matérielles sont indignes d’une âme qui se repose en Dieu. » P. 278-279. Expertus solus potest credere quid sil Jesum diligere.

Au chapitre suivant W. James institue une critique de la sainteté. Sans doute l’ascétisme a ses excès, la dévotion, ses extravagances. Mais l’ascétisme maintient l’héroïsme à l’ordre du jour et l’héroïsme reste.