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    1. RELIGION##


RELIGION. ORIGINE DANS L’EXPÉRIENCE RELIGIEUSE 2248

Que l’on considère une sainte Thérèse ou un saint Jean de la Croix, à qui leur passion de pureté et de chasteté donne une clairvoyance toute particulière, habitués par ailleurs à s’analyser, à discuter leurs motifs d’action, à dépister Fégoïsme sous des apparences de vertu, qu’on ait égard aussi aux fruits spirituels de leur expérience ; comment admettre qu’ils aient été les jouets inconscients d’une sensualité même raffinée ? Qui n’a pas posé à priori l’impossibilité d’un amour vrai autre que l’amour sensuel trouvera que l’interprétation spirituelle de ces métaphores fait infiniment plus justice au contexte psychologique et à toutes les vraisemblances que celle qu’on nous propose. Concédons du reste qu’il y a certaines hardiesses de langage — et d’imagination — qui doivent être réservées aux saints, et que telle page de sainte Thérèse écrite par une personne de vie religieuse médiocre deviendrait très suspecte, « Allons plus loin, si nous suivons saint Jean de la Croix, l’auteur qui a peut-être dégagé le mieux l’essence du sentiment religieux dans sa pureté, la vie spirituelle demande le renoncement non seulement aux plaisirs sensibles, mais à toutes les consolations spirituelles, si purifiées qu’elles soient ; elle est une exigence de dépassement constant de soi-même. Chaque fois que le mystique se rend compte qu’il agit par un motif qui peut être représenté ou senti, il doit faire effort pour le dépasser. Le motif de son activité est un effort incessant de purification. Si c’est vraiment là ce qu’il y a de plus profond dans le sentiment religieux, il est impossible qu’il s’alimente secrètement dans ce qu’il cherche à dépasser. Il a sa source, hors de la nature, dans un attrait exercé par Dieu. « Une analogie tirée de la « réflexion » au sens philosophique du mot pourrait être éclairante. La réflexion ne peut être un produit de la « vie », car les tendances vitales nous poussent à l’action immédiate, tandis que le propre de la réflexion est de suspendre l’action, de poser le monde comme un objet à connaître, et peut-être un obstacle à réduire. C’est exactement l’inverse du mouvement vital qui nous lance vers lui. « Le sentiment religieux nous apparaît donc irréductible, non seulement à une sexualité plus ou moins grossièrement entendue, mais à toute activité située dans le plan humain. Aussi, même si on entend par sublimation de la libido, non plus la recherche d’un autre moyen de satisfaction pour une tendance qui demeure identique, mais une véritable transformation et élévation intérieure de cette tendance, l’expression n’est peut-être pas très heureuse. Elle laisserait facilement entendre qu’on cherche à faire sortir le supérieur (sentiment religieux) de l’inférieur (libido, vouloir-vivre, élan vital). Mais, de même que Bergson, au-dessous de l'élan vital par lequel se constitue l’espèce humaine, a découvert un courant plus profond qui explique le premier, c’est à un niveau plus profond que celui de la libido qu’apparaît le sentiment religieux. Poursuivons la comparaison, qui est suggestive. Lorsqu’il est parvenu à la religion dynamique, l’homme n’a plus besoin de la religion slalique pour obtenir ce qu’elle lui assurait : confiance en la vie, cohésion de la société. Ne peut-on pas admettre que le sentiment religieux va pour ainsi dire absorber, aspirer les forces vives de la libido, si bien que ce sera dans l’amour de Dieu et dans l’amour des autres en Dieu que l’homme religieux trouvera l'épanouissement, la libération, la satisfaction que d’autres ne trouvent qu’en cédant aux impulsions de la libido ? Cette absorption sera en même temps purification, car en l’homme l’instinct sexuel est partiellement corrompu par suite du péché originel ; mais, on le sait, cette corruption n’est point totale ; a fortiori, elle ne constitue pas l’instinct. Cet amour spiritualisé rendra possible la chasteté religieuse ou la chasteté dans le mariage, suivant

les vocations individuelles, sans que soient à craindre les dangers du « refoulement ». L'état limite vers lequel on tend ainsi ne serait-il pas celui où tout ce qui est « tyrannie » dans l’instinct sexuel aurait disparu, cl où, en ce qu’il a de physiologique comme en ce qu’il a de psychique, la tentation n’existerait même plus de l’exercer au-delà de ce que permet ou de ce qu’exige l’amour spirituel ? Notons que pour Freud « la sublimation ne peut supprimer qu’une partie de la libido » (Introduction à la psychanalyse, p. 372). La psychologie qui constate d’abord l’existence d’une libido impérieuse, puis voit s’en atténuer les exigences dans l’ordre sensible à mesure que se développe le sentiment religieux, parle volontiers de sublimation : nous avons vu pourquoi il vaut peut-être mieux renverser les perspectives pour mettre en relief l’intervention originale qui opère la transformation. » R. P. de Montcïieuil, S. J., Les attaches biologiques et sociales des formes de la vie religieuse dans Formes, vie et pensée. Groupe lyonnais d'études médicales, philosophiques et biologiques. Lyon, 1932, p. 396-399..

II. LE SUBCONSCIENT A VALEUR OBJECTIVE.

Les

théories psychologiques que nous venons d’examiner s’efforcent de réduire le sentiment religieux à un autre sentiment dont il serait sorti par une transfiguration illusoire. Elles sont le pendant des théories ethnologiques qui expliquent la religion par tout autre chose qu’elle-même. Voici maintenant des doctrines qui, tout en faisant encore intervenir le subconscient comme les précédentes, y voient le moyen d’atteindre une réalité objective, un au-delà véritable qui légitimerait l’attitude religieuse.

Exposé.

Dans une lettre de 1901, William

James avait précisé le dessein des conférences Gifford où se trouvent la première esquisse de ses articles, puis de son livre sur l’expérience religieuse : The varieties of religious expérience, NewYork, 1902 (trad. française : L’expérience religieuse, 1905). « Dans mes conférences je me place sur le terrain suivant : Le réservoir et la source de toutes les religions, je les vois dans l’expérience mystique individuelle. Toutes les théologies et règles ecclésiastiques ne sont que des excroissances secondaires venues s’y greffer et l’expérience se combine avec tant de souplesse aux préventions intellectuelles du sujet, qu’on pourrait presque dire qu’elle n’a pas d’expression intellectuelle propre, mais appartient à une région plus profonde, plus vitale et plus agissante que le domaine de l’intelligence. Elle est donc également invulnérable aux arguments et critiques intellectuels. Selon moi la conscience mystique ou religieuse est inséparable d’un moi subliminal qui laisserait filtrer des messages au travers de sa mince cloison… Nous sommes ainsi dûment avertis de la présence d’une sphère de vie plus grande et plus puissante que notre conscience ordinaire, dont elle n’est pourtant qu’un prolongement. Les impressions, émotions et excitations qui nous en parviennent nous aident à vivre, elles apportent l’insensible confirmation d’un inonde au-delà des sens, elles nous attendrissent, donnent à tout un sens et un prix qui nous rendent heureux, voilà ce qu’elles procurent à qui les ressent et il n’est bientôt plus seul. Ainsi comprise, la religion est strictement indestructible. La philosophie et la théologie donnent leur interprétation conceptionnelle de cette expérience vitale. Comme nous ignorons tout des limites extérieures du domaine subliminal, libre à l’idéalisme transcendant al de le considérer comme un esprit absolu dont une partie ferait corps avec nousmême, ou libre à la théologie chrétienne d’y voir une divinité distincte agissant sur nous. Il y a quelque chose qui n’est pas noire moi immédiat et qui influe sur notre vie. » Cité par Gilbert.Maire, William James cl le pragmatisme religieux, Paris, 1933, p. 178-179.