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2239 RELIGION. MÉTHODE ETHNOGRAPHIQUE, CRITIQUE 2240

Quant à la préhistoire, si nombreux et si intéressants que soient déjà les documents dont elle dispose, ilssont bien loin de nous faire remonter jusqu’au tout premier âge de l’humanité. S’il faut en croire Henri Breuil, entre ce premier Age et l’apparition des races que nous connaissons un peu, il a pu s’écouler des centaines de millénaires. Leçon d’ouverture au Collège de France. Revue des cours et conférences, 20 décembre 1929. Et que savons-nous, par exemple, de l’humanité chelléenne, sinon qu’elle a existé puisqu’elle a taillé des pierres ? Quels renseignements peut bien nous fournir la mâchoire d’Heidelberg sur la mentalité de l’homme à qui clic appartint ?

Quelles que soient les inductions et les hypothèses qu’il est possible de faire, le problème des origines absolues est donc ici insoluble." De la plus ancienne couche humaine qu’il nous soit donné d’atteindre ou de reconstituer par l’ethnologie, nous ne pourrons jamais dire qu’elle équivaut à l’humanité primitive, et, pareillement, les plus anciens témoignages préhistoriques où nous puissions saisir avec quelque certitude les traces de l’activité psychique des anciens hommes laisseront toujours derrière eux un immense passé ténébreux. » H. de Lubac, dans Essai d’une somme catholique contre les sansDieu, Paris, 193C, p. 236-239. Cf. H. Pinard de La Boullaye, L’étude comparée des religions, t. ii, p. 300-3(12.

Dans ces conditions les Primitifs tout relatifs que nous connaissons et dont nous parle le P. Schmidt pourraient avoir une religion beaucoup plus basse que celle qu’il pense constater chez eux, sans que, du point de vue dogmatique, on ait à s’en inquiéter le moins du monde. Nous disons : pourraient, car nous croyons certains résultats des enquêtes du P. Schmidt définitivement acquis, nous le dirons plus loin.

b) Critiques injustifiées. — On doit ensuite écarter comme injustifiées certaines critiques qui lui ont été adressées.

On lui a opposé certaines déclarations d’explorateurs niant l’idée d’un Être suprême chez les peuplades auxquelles il attribue cette croyance. Il a répondu que des explorateurs peuvent très bien ignorer des croyances que les indigènes ne livrent pas facilement, qu’ils gardent même en grand mystère et auxquelles souvent ni les femmes, ni les enfants ne sont initiés. Il faut des mois, des années mêmes pour entrer dans l’intimité de leurs consciences religieuses, des missionnaires y réussiront mieux que des explorateurs, surtout quand ceuxci sont des incroyants ou de médiocres croyants. Nous avons vu que Howitt n’a pu assister aux cérémonies d’initiation des indigènes australiens qu’au bout de vingt ans de séjour parmi eux, que les Pygmées Hambuti passaient pour n’avoir aucune religion parmi les liantous leurs voisins, que les plus arriérés des Fuégiens ont passé longtemps pour des athées, alors qu’en réalité Pygmées et Fuégiens ont une religion assez élevée. C’est un fait significatif que toutes les tribus que Lubbock signalait en 1872 f Primitive culture) comme athées ont livré le secret de leur religion à des observateurs plus attentifs que ceux dont l’ethnologue anglais se réclamait pour affirmer, à la suite de Comte, que l’humanité avait passé par une première phase d’athéisme.

En second lieu on a attribué, surtout autrefois, la croyance à un Être suprême chez les primitifs à l’influence, plus ou moins consciemment subie, des missionnaires. Ceci est d’abord, a priori, peu vraisemblable, étant donné qu’il s’agit de peuplades qui vivent trèsrel Irées et fuient le contact des blancs (voir col. 2232 ce que dit le P. Schebesta des Bambuti). lui fait OU a pu constater la croyance à un Etre suprême chez des primitifs que les missionnaires n’avaient pas encore visités : on peut lire dans {’Origine de l’idée de

Dieu, des témoignages sur cette croyance chez les Australiens, allant de 1829 à 1839, période antérieure aux premiers essais d’évangélisation (p. 145-146 de l’édition française) ; et nous avons vu plus haut que les explorateurs d’après lesquels le P. Schmidt décrit la religion des Samoyèdes sont arrivés avant les missionnaires. De plus la croyance en question n’est pas accompagnée d’autres croyances chrétiennes spécifiques chez les tribus en question, elle est intimement mêlée à l’ensemble de leur vie religieuse où elle ne fait nullement figure de bloc erratique et, dans certains cas, par exemple en des cercles australiens, elle est l’apanage d’initiés, ce qui ne s’expliquerait guère dans le cas d’une influence chrétienne. D’ailleurs l’hypothèse de l’emprunt est de phis en plus abandonnée. Durkheim, contredisant sur ce point Tylor, écrit : Il est aujourd’hui certain que les idées relatives au grand dieu tribal sont d’origine indigène. Elles ont été observées alors que l’influence des missionnaires n’avait pas encore eu le temps de se faire sentir. » Formes élémentaires, ]). 415, avec ren vois ^ note l, où il cite N. -W.Thomas qu’invoque également le P. Schmidt. De nos jours les ethnologues américains, en ce qui concerne les populations primitives de l’Amérique du Nord, qu’ils étudient avec grand soin, se refusent également à l’idée d’une influence chrétienne qui aurait produit chez elles la notion d’un Etre suprême.

c) Réserves à faire. — Ces objections injustifiées écartées nous croyons qu’il y a lieu de faire sur les idées du P. Schmidt les réserves suivantes.

a. — D’abord il nous semble idéaliser beaucoup trop les conceptions et les pratiques de ses chers primitifs, et cette idéalisation est encore plus sensible chez tel de ses disciples que chez lui.

En missionnaire qui a vécu longtemps au milieu de primitifs et a mis une longue patience à pénétrer dans leur intimité peut, évidemment, plus et mieux que tout autre enquêteur ou explorateur de passage, nous renseigner sur leur religion. Mais, du fait même qu’il s’est attaché à ceux qui lui ont donné leur confiance, et aussi parce que les blancs auxquels il peut les comparer ne l’emportent pas toujours pour la foi et les mœurs’sur eux, il est porté à majorer quelque peu et la pureté de leurs croyances et l’excellence de leur conduite. Peut-être, par exemple, le P. Trilles a-t-il inconsciemment mêlé nos pensées et nos sentiments de chrétiens aux prières ou aux proverbes des Pygmées. « Mourir, c’est dire à son père : me voilà ! » Dire à son père, me voilà. Est-il, au fond, un seul de nos proverbes, en est-il un dans tout autre pays, chez n’importe quel peuple, qui atteigne pareille hauteur, pareille confiance ? Quand le petit négrille dira, comme nous : Notre Père ! » il aura atteint la plus haute philosophie qui soit, et aussi la plus haute certitude. » Les Pygmées, Paris. 1932, p. 251. — Il est permis quand on lit ces lignes d’y trouver une sympathie bien compréhensible, mais peut-être trop optimiste, pour les négrilles du Congo. On se dit que le Père de l’Évangile est peut-être supérieur à celui de leur foi naïve. Sans doute le P. Schmidt reconnaît que la notion de l’Être suprême et de l’âme des primitifs avait besoin d’être épurée et que l’animisme lui-même a contribué à cette épuration. Il résume, en les approuvant, les conclusions d’A. Lang sur certains heureux effets de l’animisme de la manière suivante : » Le concept de Dieu, chez l’homme primitif, ne manquai ! pas d’élévation pour ce qui regarde son contenu..Mais pour la forme il était tout spontané, naïf, brut. Il ignorait, en particulier, le problème de la nature spirituelle ou corporelle ou mixte de Dieu. Dès que s’éveillerait la pensée réfléchie, ce problème devait nécessairement se poser sous une forme ou sous une autre, en liaison avec les questions connexes de l’omniprésence et de l’éternité de Dieu. Mais