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    1. RELIGION##


RELIGION. THÉORIE SOCIOLOGIQUE, CRITIQUE

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indigènes d’Australie. L’obsession du primitif peut être un manque d’intelligence… et un manque de tact et de goût.

5. Quant à la définition de la religion donnée par Durkheim, elle est construite pour satisfaire au système qu’elle est censée éclairer. « Il commence, écrivait M. Loisy en 1913, par donner une définition de la religion qui a son fondement dans le domaine des abstractions et non dans celui de la réalité : « Une religion, « nous dit-il (p. 65), est un système solidaire de « croyances et de pratiques relatives à des choses « sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et « pratiques qui unissent dans une même communauté « morale, appelée Église ('? cela signifie sans doute que « l’auteur trouve ce nom convenable pour cet objet), « tous ceux qui y adhèrent. » Ainsi la religion consiste en un ensemble de croyances et de rites, croyances admises, rites pratiqués dans un groupe et qui concernent le sacré. « Notons d’abord que le sacré, puisque sacré il y a, n’est pas seulement objet de croyance et de rites, mais de sentiments, et que le traitement du sacré ne comporte pas seulement des rites, qui eux-mêmes sont sacrés, mais des règles de conduite, une attitude morale. M. Durkheim dit que la notion d’esprit et de dieu n’est pas indispensable à la religion, puisque le bouddhisme est une religion. Mais le bouddhisme n’est pas une façon de traiter le sacré par des rites religieux, c’est essentiellement un régime d’ascèse, une méthode pour échapper au mal de l’existence, méthode que le moine s’applique pour ainsi dire à lui-même : il ne rentre pas mieux dans la définition de M. Durkheim que dans toute définition de la religion impliquant comme élément essentiel la croyance à des dieux personnels. « C’est surtout la notion du sacré qui est ici arbitrairement construite et affirmée. On l’a conçue tout exprès pour se passer des esprits et des dieux, de toute métaphysique religieuse, de celle qui est, par exemple, impliquée dans le bouddhisme lui-même ; ce que les religions considèrent comme leur objet est représenté simplement par le sacré. Cette notion, qu’il a fallu créer, identifie le sacré à l’interdit (ici nous rejoignons Orphcus, avec cette différence que l’on fait de l’interdit un absolu, d’ailleurs sans réalité objective, tandis que M. Salomon Heinach s’est contenté de poser le tabou à l’origine de la religion, sans l’orner d’un commentaire philosophique), mais elle ne le considère pas comme une simple défense, une limite..M. Durkheim excelle à faire de certains mots le symbole de l’absolu : le sacré et le social, qui, du reste, rentrent pour lui l’un dans l’autre, sont de ces vocables magiques. Le sacré serait un monde essentiellement distinct du profane, incompatible avec lui, et c’est pour cela qu’on le dit séparé, interdit, la religion divisant l’univers comme en deux genres qui s’excluent radicalement, le sacré et le profane. « Telle est la base du système, et cette base est fragile, car le sacré et le profane ne sont séparés que dans le système et pour l’avantage de ce système. Dans la réalité, les religions ne connaissent pas ce dualisme rigoureux ; ni le sacré, ni le profane ne sont des mondes indépendants l’un de l’autre, pas plus qu’ils ne sont eux-mêmes quelque chose d’immuable. Le profane et le sacré sont des qualités des choses, qualités variables dans leur manifestation et dans leur intensité ; ce ne sont pas des entités substantielles constituant dis économies séparées. Les religions conçoivent une seule économie de l’univers, ou le Bacré ri le profane occupent respectivement leurs places, mais dans un rapport constant de coordination. Les choses sacrées seraient profanes sans la qualité qui les fait ce qu’elles sont, et conséquemment le sacré n’est pas un monde à part. Le prêtre est personne sacrée, niais

d’abord personne, et comme tel appartenant à la société humaine ; c’est par sa qualité seulement qu’il appartient à la religion. Le sacré est une modalité des choses religieuses, de certaines choses religieuses, mais il n’est pas la religion, et il n’en atteint pas le fond. La prière individuelle, intérieure, est chose religieuse : est-elle chose sacrée, interdite, séparée ? Ces épithètes n’auraient ici aucun sens. En ont-elles davantage appliquées à la conception religieuse des prophètes, à celle de l'Évangile, qui pourtant sont de la religion ? En ont-elles par rapport aux principes constitutifs du bouddhisme ? Elles n’ont leur véritable application qu’aux manifestations extérieures de la religion, et surtout pour les degrés inférieurs de l'évolution religieuse. « Donc M. Durkheim a défini la religion comme il le fallait pour l'équilibre de son système, mais non comme il convenait eu égard au fait. Le mot de sacré ne représente pas l’idée de religion dans tous ses éléments essentiels et pour toutes les formes que peut affecter l'évolution de ces éléments. Le phénomène religieux ne peut se définir dans une simple distinction logique, si radicale qu’on veuille la poser. Et si l’on veut trouver une expression générale pour figurer le caractère auguste, transcendant que, sous une forme ou sous une autre, affectent les religions, le mot « sacré » devient équivoque et insuffisant pour un tel objet. » A. Loisy, Revue d’histoire et de littérature religieuse, 1913, p. 46-49. « De plus, la définition (de Durkheim) a l’inconvénient d’unir si intimement les idées de religion et d'Église, qu’un individu ne puisse être religieux, s’il ne fait partie d’une Église, et que toute tendance à se faire en son for intérieur « sa religion à soi » apparaisse comme areligieuse, voire même (si l’on considère la logique du système) comme irréligieuse : areligieuse, puisque l’individu n’est pas encore incorporé à une Église ou même ne veut pas d'Église, irréligieuse puisqu’il va à rencontre de la fin de toute religion qui, d’après cette école, est la société elle-même. L’existence de cultes individuels, même dans les sociétés de culture inférieure, et la tendance marquée de l’esprit moderne, spécialement au sein du protestantisme, à présenter l’individualisme religieux comme la forme la plus pure de la religiosité, constituent à cet égard une objection considérable. L'école sociologique ne pouvait l’ignorer ; mais elle estime que les cultes individuels sont dérivés du culte social par voie d’appropriation et de dégénérescence (Formes élémentaires, p. 37, 346, 607) — ce qui est difficile à prouver par l’histoire, plus encore par la psychologie — et elle déclare que l’individualisme « méconnaît les conditions fondamentales de « la vie religieuse » (Formes élémentaires, p. 607) — ce qui peut être exact, sans légitimer en rien la définition proposée — une religion inconséquente, en effet, n’en est pas moins une religion ; pour lui refuser ce nom, il faudrait prouver que la forme sociale n’est pas seulement connaturelle ou normale, en ce sens que toute religion tend à s’organiser en communauté ou Église, ce que l’on admet communément, mais essentielle, en ce sens que toute idée religieuse et toute Église dérivent de la société. » 1 1. Pinard de La Boullaye, op. cit., t. ii, p. 184.

6. Quand ou passe de ces considérations générales à l'étude particulière de la religion des Australiens par Durkheim. on constate, en plus de l’arbitraire de la méthode, l’insuffisance de la documentation ethnologique.

Tout d’abord les indigènes de l’Australie, du moins pris dans leur ensemble, se rangent-ils parmi les populations les plus primitives que nous connaissions ? Il ne le semble pas. Les tribus sauvages de l’Australie ne forment pas un groupe homogène. Leur caractère composite résultant d’une superposition de races et