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RELIGION. CRITIQUE DE L’ANIMISME


sans solution bien des problèmes : rapports de la terre et du soleil, hérédité, génération, etc. « Sans doute, aujourd’hui le primitif attribue lui-même ses rêves, ou certains d’entre eux, aux déplacements de son double. Mais ce n’est pas à dire que le rêve ait effectivement fourni les matériaux avec lesquels l’idée de double ou d’âme fut construite ; car elle peut avoir été appliquée, après coup, aux phénomènes du rêve, de l’extase, de la possession, sans pourtant, en être dérivée. » Ibid., p. 82.

Quant à la formation de l’idée d’esprit, Tylor n’est pas plus convaincant que lorsqu’il s’agit de l’âme. C’est la mort qui, consacrant l’âme, en ferait un esprit, mais la mort n’ajoute rien d’essentiel à celle-ci, sinon qu’elle lui donne une plus grande liberté de mouvements. « Pourquoi donc les vivants auraient-ils vu dans ce double déraciné et vagabond de leur compagnon d’hier autre chose qu’un semblable ? C’était un semblable dont le voisinage pouvait être incommode, ce n’était pas une divinité. » Ibid., p. 85. D’ailleurs la mort ne peut, du point de vue du primitif, qu’amoindrir les énergies vitales au lieu de les exalter, l’âme, pour lui, participant étroitement de la vie du corps, se trouvant atteinte, blessée, malade avec lui. « Mais alors, quand la mort résulte de la maladie ou de la vieillesse, il semble que l’âme ne puisse conserver que des forces amoindries, et même, une fois que le corps est définitivement dissous, on ne voit pas comment elle pourrait lui survivre, si elle n’en est que le double. L’idée de survivance devient, de ce point de vue, difficilement intelligible. » Ibid., p. 8b Surtout il y a entre le sacré et le profane une différence essentielle, de nature, et ce n’est pas uniquement du fait que, désincarnée, l’âme aurait plus de puissance, surtout pour nuire, qu’elle deviendrait dans la pensée du primitif, un être sacré, un esprit. « Sans doute, dans le sentiment que le fidèle éprouve pour les choses qu’il adore, il entre toujours quelque réserve et quelque crainte ; mais c’est une crainte sui generis, faite de respect plus que de frayeur, et où domine cette émotion très particulière qu’inspire à l’homme la majesté. L’idée de majesté est essentiellement religieuse. Aussi n’a-t-on, pour ainsi dire, rien expliqué de la religion, tant qu’on n’a pas trouvé cette idée, à quoi elle correspond et ce qui peut l’avoir éveillée dans les consciences. De simples âmes d’hommes ne sauraient être investies de ce caractère par cela seul qu’elles sont désincarnées. » Ibid., p. 87.

En troisième lieu, Tylor ne rend pas compte du passage, qu’il suppose s’être produit, du culte des esprits à celui de la nature. Il l’attribue à un anthropomorphisme instinctif ; « Objets inanimés avez-vous donc une âme ? » Mais c’est en vain que les confusions que fait l’enfant sont invoquées pour attribuer à cet instinct la personnification des forces de la nature. Si l’enfant « s’en prend à une table qui lui a fait du mal, ce n’est pas qu’il la suppose animée et intelligente, mais c’est patee qu’elle lui a fait du mal. La col’re, une fois soulevée par la douleur, a besoin de s’épancher au dehors ; elle cherche donc sur quoi se décharger et se porte naturellement sur la chose même qui l’a provoquée, bien que celle-ci n’en puisse rien. La conduite de l’adulte, en pareil cas, est souvent tout aussi peu raisonnéc. Quand nuis sommes violemment irrités, nous éprouvons le besoin d’invectiver, de détruire, sans que nous prêtions pourtant aux objets sur lesquels nous soulageons notre colère j ? ne sais quelle mauvaise volonté constante. Il y a si peu de confusion que, quand l’émo’.ion de l’enfant est calmée, il sait très bien distinguer une chaise d’une personne : il ne se comporte pas avec l’une comme avec l’autre, Ibid., p. 94. De plus, si les esprits de la nature avaient été COnçilfl a l’image de l’aire, ils habiteraient constam ment, comme celle-ci, l’être qu’ils animent. Or il n’en est pas ainsi. « Le dieu du soleil n’est pas nécessairement dans le soleil, ni l’esprit de telle pierre dans la pierre qui lui tient lieu d’habitat principal. Un esprit sans doute, soutient des rapports étroits avec le corps auquel il est attaché, mais on emploie une expression très inexacte quand on dit qu’il en est l’âme. » Ibid., p. 94-95. « D’un autre côté, si vraiment l’homme avait été nécessité à projeter son image dans les choses, les premiers êtres sacrés auraient été conçus à sa ressemblance. Or, bien loin que l’anthropomorphisme soit primitif, il est plutôt la marque d’une civilisation relativement avancée. A l’origine, les êtres sacrés sont conçus sous une forme animale ou végétale dont la forme humaine ne s’est que lentement dégagée. Ibid., p. 95 (le dernier point paraît douteux).

La plus forte objection qui puisse être faite à l’animisme est, au dire de Durltheim, celle par laquelle il termine sa critique du système. « Si, d’après Tylor, l’homme prie, s’il fait des sacrifices et des offrandes, s’il s’astreint aux privations multiples que lui prescrit le rite, c’est qu’une sorte d’aberration constitutionnelle lui a fait prendre ses songes pour des perceptions, la mort pour un sommeil prolongé, les corps bruts pour des êtres vivants et pensants. » Or il est inadmissible que des systèmes d’idées comme les religions qui ont tenu dans l’histoire une place si considérable, où les peuples sont venus de tout temps puiser l’énergie qui leur était nécessaire pour vivre, ne soient que des tissus d’illusions ». Ibid., p. 97-98. « On doit même se demander, si, dans ces conditions, le mot de science des religions peut être employé sans impropriété. Une science est une discipline qui, de quelque manière qu’on la conçoive, s’applique toujours à une réalité donnée. La physique et la chimie sont des sciences, parce que les phénomènes physico-chimiques sont réels et d’une réalité qui ne dépend pas des vérités qu’elles démontrent. Il y a une science psychologique parce qu’il y a réellement des consciences qui ne tiennent pas du psychologue leur droit à l’existence. Au contraire, la religion ne saurait survivre à la théorie animiste, du jour où celle-ci serait reconnue comme vraie par tous les hommes : car ils ne pourraient pas ne pas se déprendre des erreurs dont la nature et l’origine leur seraient ainsi révélées. Qu’estce qu’une science dont la principale découverte consisterait à faire évanouir l’objet même dont elle traite ? Ibid., p. 99.

3. Critique de l’animisme par le P. W. Schmidt. — Dans sa critique de l’animisme, le P. Schmidt s’inspire d’enquêtes chez les peuples primitifs dont nous parlerons en détail plus loin. De ces enquêtes il tire les conclusions suivantes : a) L’animisme ne règne que dans un domaine assez limité : une partie des Mêla nésiens et des Indonésiens, peuples de la côte occidentale d’Afrique, tribus indiennes du Nord-Est et du Sud-Ouest de l’Amazonie, tribus du Nord-Ouest et du Sud-Kst de l’Amérique du Nord, b) Chez ces peuplades elles-mêmes, on n’attribue pas une âme à tous les êtres : les Indonésiens ne croient pas que les êtres non-vivants en possèdent une, ceux-ci pouvant seulement servir d’habitat temporaire à des esprits indépendants quand l’objet a quelque caractère remarquable : toutes les tribus animistes ne donnent pas une âme aux plantes, c) La pluralité des âmes est une notion courante dans les milieux animistes qui.listinguent l’âme corporelle liée au sang et au souille et l’âme ombre ou image, peut-être souvenir substantifié des défunts, d) Les esprits de la nature peuvent s’expliquer aussi bien par un processus de personnification que par une extension de la notion d’esprit, e) L’idée même d’esprit a une origine au moins aussi vraisemblable dans l’expérience de la vie psychologique en