Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/388

Cette page n’a pas encore été corrigée

2 L80

    1. RELIGION##


RELIGION. CRITIQUE DE L’ANIMISME

2190

7. « Pour pouvoir circonscrire avec plus de précision les idées propres des races inférieures, peut-être sied-il de proposer une définition plus stricte du monothéisme qui serait la conception réservant les attributs divins essentiels au seul Créateur tout-puissant. Si on l’entend en ce sens, nulle tribu sauvage n’a encore été découverte qui soit monothéiste. Ni, non plus, qui soit panthéiste au sens précis de ce mot. Leur conception propre, qui peut d’ailleurs être orientée, vers l’une ou l’autre de ces deux doctrines, est plutôt un polythéisme dont la souveraineté d’un dieu suprême marque le sommet. » Ibid., t. ii, p. 322.

8. Plusieurs voies ont conduit au monothéisme. Tantôt on a attribué la suprématie à l’un des dieux polythéistes, soit à l’ancêtre tribal, soit à une divinité de îa nature. Tantôt une sorte de Panthéon s’est constitué « à l’image de la société politique terrestre. Le peuple y est représenté par la masse des âmes humaines et des autres esprits dont le monde est plein. Les grands dieux polythéistiques y figurent l’aristocratie. Quant au roi, c’est le dieu suprême. » Tantôt l’on en est venu à concevoir l’univers comme animé par une divinité qui le pénètre en toutes ses parties : l'âme du monde. Dans ce dernier cas, la tendance se constate « à unifier les fonctions et attributs des grands dieux du polythéisme en une personnalité plus ou moins composite, ou bien à les volatiliser au profit d’une réalité divine sans forme ni détermination, qui, perdue dans son nébuleux éloignement et engourdie dans son repos, flotte au-delà et au-dessus du monde, trop bienveillante et trop transcendante pour se soucier de l’adoration des hommes, trop éloignée, trop indifférente, trop élevée pour s’occuper de la minuscule humanité ». Ibid., t. ii, p. 303 sq.

9. « D’où il suit manifestement que la théologie des races inférieures atteint son plus haut point dans la conception d’une divinité suprême, et que cette idée, chez les peuples sauvages et barbares, n’est pas la copie multiple d’un dieu unique, qu’elle est originale, au contraire, et extrêmement différente suivant les races. Considérées comme le produit de la religion naturelle, ces conceptions ne paraissent aucunement surpasser ni la capacité de penser de l’intelligence demeurée au plus bas degré de la culture, ni l’aptitude Imaginative, chez les populations du niveau culturel le plus inférieur, à la traduire en termes de mythologie. Chez ces races, la doctrine d’une suprême divinité n’est que l’aboutissement précis et logique de l’animisme et l’achèvement attendu et naturel de la religion polythéiste. » Ibid., t. ii, p. 305 sq. Ensemble du passage dans P. W. Schmidt, Origine et évolution de la religion, Paris, 1931, p. f07-110.

Critique.

1. Critique d’Andrew Lung. — Andrew Lang avait été pendant longtemps un des champions les plus ardents et un des propagateurs les plus

influents de l’animisme, surtout contre Max Millier, plaçant la croyance aux dieux au terme d’un long développement partant de la simple notion de l'âme, sorte de double du corps. Or un jour il lut une relation des missions bénédictines de la Nouvelle-Nursie en Australie occidentale, où étaient signalées des conceptions religieuses relativement élevées chez des populations très arriérées. Ébranlé dans sa foi animiste, il étendit ses investigations et dut se rendre à l'évidence que chez les Andamènes (des îles Andamans dans l’Océan Indien), chez les Fidjiens de la Polynésie, chez les Zoulous, chez les Yaos de l’Afrique centrale, chez des Indiens de l’Amérique du Nord, peuplades parvenues sans doute à des degrés divers de culture, mais toutes assez proches d’un état primitif de civilisation matérielle et intellectuelle, existait l’idée d’un « Être suprême » à la fois législateur de l’ordre moral et auteur du monde. Il appella cet Être suprême l’Ail Fa tlier, parce que les indigènes en question lui donnent souvent le nom de Père de tous, et constata que, plus cette croyance en un Père de tous avait d’influence, moins l’animisme, le culte des esprits étaient développés. Il se garda de trancher la question de l’origine première de la religion et de l’idée de Dieu. Quand, en 1898, il publia The Making of Religion (Comment s’est faite la religion), ouvrage où il donnait le résultat des recherches qui l’avait fait renoncer à l’animisme, au moins comme à la première forme connue de la religion, on accueillit avec scepticisme ses conclusions dans le monde des ethnologues, sans même se donner la peine d’examiner de près ses assertions. « On devrait pourtant savoir, écrivait Breysig, de quelles bizarreries cet Écossais, aussi parfaitement capricieux que spirituel, s’est déjà constitué l’avocat par le passé. > Geschichte der Menschheit, i. Die Volker der Urzeit, t. i. p. 362, n. 2.

Lang ne se laissa pas déconcerter par l’accueil ironique fait à sa critique de l’animisme. Dans la seconde édition de son ouvrage, The Making of Religion, parue en 1901, il disait : « Comme d’autres martyrs de la science, je dois m' attendre à être traité de fâcheux, de mal élevé, d’homme qui n’a qu’une idée et qui pardessus le marché est fausse. Si je m’en formalisais, je prouverais simplement que je manque tout à fait d’humour et que je ne connais pas la nature humaine, (p. 14.) Lang a continué ses investigations jusqu'à sa mort survenue en 1912, ajoutant de nombreux témoignages à ceux qu’il avait recueillis dès 1898 et laissant une étude sur Dieu chez les primitifs, God (Primitive and Savage), qui parut en 1913 dans le 6e volume de l’Encyclopwdia of Religion and Ethics de Hastings, p. 243-247, où il maintient et accentue ses conclusions de 1898.

2. Critique de l’animisme par É. Durkheim. — Dans son désir de déblayer le terrain afin de pouvoir construire son propre système, É. Durkheim a soumis l’animisme de Tylor à une critique serrée dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, 1912, p. 78-99. Il étudie, à cet effet : a) la genèse de l’idée d'âme ; b) la formation de l’idée d’esprit ; c) la transformation du culte des esprits en culte de la nature chez Tylor.

Il faut noter tout d’abord que le primitif n’a pas la notion d’une âme entièrement distincte du corps. « Pour lui, l'âme, tout en étant, sous certains rapports, indépendante de l’organisme qu’elle anime, se confond pourtant, en partie, avec ce dernier, au point de n’en pouvoir être radicalement séparée : il y a des organes qui en sont, non seulement le siège attitré, mais la forme extérieure et la manifestation matérielle. > Op. cit., p. 78-79. Puis l’expérience du rêve n’explique pas vraiment l’idée d’une âme qui serait ramenée à l’idée d’un double. Pour le primitif, les voyages faits en rêve n’impliquent pas nécessairement une telle hypothèse : au lieu de se croire comme formé de deux êtres, conception complexe, il peut, par exemple, se croire capable de voir à distance. Puis, s’il s’agit d’un rêve où l’on revit le passé, comment croire que le double puisse remonter le cours du temps ? De plus, les rencontres et dialogues du rêve ne peuvent pas être imaginés comme rendez-vous de doubles, car dans ce cas il est facile d’interroger les personnages vus et entendus en songe pour savoir que leur expérience ne coïncide pas avec celle du questionneur. « Pendant le même temps, eux aussi ont eu des rêves, mais tout différents. Ils ne se sont pas vus participant à la même scène ; ils croient avoir visité de tout autres lieux. » Ibid., p. 80. Enfin le primitif cherche-t-il vraiment à s’expliquer ses rêves ? Il a une grande paresse d’esprit et, à des époques et en des lieux où l’intelligence humaine était plus éveillée que la sienne, on a laissé