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RELATIONS DIVINES. CONCLUSION


objection de principe on pourrait faire à la manière de s’exprimer adoptée par les disciples de Cajélan. Cf. Diekamp, De Deo trino, p. 384.

Au fond de toutes ces discussions, il est à craindre que les divergences soient surtout dans la façon de s’exprimer. Aussi convient-il de se montrer bienveillant à l'égard de tous.

Conclusion. — La grande difficulté pour la raison humaine d’accepter le mystère de la Trinité est la contradiction même qu’elle semble trouver dans la trinité des relations, distinctes entre elles et cependant identiques à la substance divine. Sans doute, la raison se reconnaît incapable de scruter le mystère divin et d’en exprimer la convenance intrinsèque. Elle demande toutefois à comprendre ou tout au moins entrevoir comment sa conception n’est pas contradictoire.

Voici, en somme, la difficulté. Nous allons l’exprimer en forme syllogistique : « Des réalités identiques à une troisième réalité, sont identiques entre elles. Or, les relations réelles en Dieu sont parfaitement identiques à la substance divine. Donc, elles sont entre elles parfaitement identiques. » En ce cas il n’est plus possible de concevoir la trinité des personnes sinon à la façon de Sabellius.

Les théologiens qui nient que, dans la relation, le titre à la réalité soit distinct de l’esse ad, et qui, par conséquent, considèrent comme sans utilité la distinction de Verse ad et de l’esse iii, se trouvent ici dans un certain embarras. Suarez, par exemple, avoue que le principe de contradiction ne vaut que pour les êtres créés. De Trinitate, t. IV, c. iii, n. 7. Molina présente une réponse aussi décevante : le principe de contradiction vaut s’il s’agit de l’identité de plusieurs réalités avec une réalité incommunicable, mais non s’il s’agit de les comparer avec une réalité communicable. In 7 am part. Sum. S. Thomæ, q. xxviii, a. 3, disp. II. Dans la doctrine thomiste, qui distingue la relation réelle créée de son fondement, qui fait de l’esse ad l’essence même de la relation, qui trouve dans l’esse in le titre à la réalité pour la relation, même subsistante, la difficulté paraît moins insoluble. En effet, c’est par nos concepts de relation subsistante et de substance que nous atteignons la vie intime de Dieu. Donc, le principe de contradiction ne peut nous permettre de conclure que si, dans nos raisonnements, tous les termes sont employés en un sens formellement identique. Mais, dans le cas présent, en identifiant relations et ersence, ces deux termes ne sont pas identiquement formels et c’est donc une identité purement matérielle qui est affirmée. Logiquement, l’argument ne conclut pas.

C’est donc sur le terrain de la logique que no js transportons la difficulté ; et ce terrain est le seul qui nous soit abordable, la métaphysique divine ne nous étant accessible que par voie de raisonnement logique. Or, il faut ici rappeler un point essentiel de logique, déjà exposé par Aristote. Les règles du syllogisme ne peuvent s’appliquer qu’aux propositions dans lesquelles la prédication est formelle, c’est-à-dire dans lesquelles le prédicat est contenu dans la définition du sujet. Voici un exemple de prédication formelle : l’homme est un animal raisonnable. La prédication matérielle aurait lieu si le prédicat, bien qu’identique en réalité au sujet, était cependant en dehors de sa raison formelle. Exemple : l’humanité est l’individualité de Pierre ; c’est vrai matériellement, mais cette individualité propre à Pierre n’est pas formellement dans le concept de l’humanité.

Or nos raisonnements ne portent sur les choses que par l’intermédiaire des concepts qui représentent ces choses. Donc, pour conclure dans un raisonnement à l’identité de deux choses, il faut que ces deux choses

s Tient considérées suivant la même raison^foimelie ; autrement on ne serait plus en droit de conclure, parce qu’on manque à cette première règle élémentaire du syllogisme :

Terminuse ; to triplex, merlius, majorque, minorque,

puisqu’il y a autant de termes différents que de raisons formelles différentes.

Cela posé, nous concédons volontiers que le Père et le Fils soient la même réalité que l’essence divine. Mais dans cette proposition : le Père et le Fils sont identiques à l’essence divine, la prédication est purement matérielle ; car, de leur propre raison formelle, Père et Fils n’impliquent que des relations d’origine, paternité et filiation, et nullement l’essence divine. On ne peut donc rien conclure du raisonnement objecté et c’est pourquoi saint Thomas se contente de répondre en quelques mots : « L’axiome allégué dans l’objection : deux choses identiques à une troisième sont identiques ent : e elles, est vrai quand il y a identité réelle et rationnelle fre et ratione) entre les choses comparées, mais il est faux quand l’identité n’est que réelle et non rationnelle. » I a, q. xxviii, a. 3, ad l am.

Il faudrait donc ainsi rectifier l’objection : Il est nécessaire que deux choses se distinguent entre elles de la même façon qu’elles se distinguent d’une troisième ; de telle sorte que, si elles ne diffèrent de cette autre chose que par une simple distinction de raison, eiles ne doivent pareillement se distinguer entre elles que par une simple distinction de raison. — Mais encore cette conclusion n’est légitime qu'à la condition d’admettre qu’il n’y a pas plus d’opposition entre les deux choses en question qu’entre chacune d’elles et la troisième avec laquelle on les compare. Or, en Dieu, les relations, dans leur raison formelle de rapports, sont irréductiblement opposées entre elles, tandis qu’elles n’ont aucune opposition avec l’essence, comme on l’a expliqué plus haut.

Cette réponse, dira-t-on. n’est-elle pas absurde ? Ne revient-elle pas à dire qu’une seule et même réalité peut constituer plusieurs réalités opposées entre elles ? Ce qui est pure contradiction. — Contradiction, soit, s’il s’agissait d’absolu* opposés entre eux ; mais lorsqu’il s’agit de relatifs, l’essence même de leur relativité s’oppose à ce que se vérifie cette contradiction. Les relations, en effet, ne s’opposent entre elles que suivant leurs rapports : il y a donc en Dieu une réelle multipTicité de rapports d’origine ; mais la réalité absolue, l’essence, qui, par identification avec les relations subsistantes, devient leur titre à la réalité, ne s’oppose pas à elle-même ; elle reste en soi toujours une et identique. Il n’y a donc réellement aucune contradiction dans le mystère de la Trinité, tel que la doctrine catholique des relations subsistantes nous le fait atteindre.

S. Thomas, Summa theologica, la, q. xxviii ; q. xxix, a. 2 et I ; Summa contra Génies, t. IV, c. xiv ; De potentia, q, iii, a. 1-6 ; q. ix, a. 1, 4 ; Compendinm theologim, c. liiiî vu ; In /um Sent, dist. XXVI, q. ii, a. 2 ; dist. XXXIII, a. 1 ; Cf. dist. XXIII, n. 1, 3. Et les commentateurs, notamment : Suarez, lie SS. Trinilalis mgsterio, 1. III et IV ; Gonet, (typais theologiie thomistica ;, tract, vi. De sancta ; l’rinitatis mgsterio, disp. m ; Billuart, Cursus thcologiæ, Tractatus de SS. Trinilalis mgsterio, dissertatio III ; Salmanticenses, Cursus Iheologiæ dogmalicee, De Trinitate, disp. IV-IX.

POUI la théologie positive : Petau, Dogmala theologica. De Trinitate, surtout t. IV, c. x-xii ; T. de Rc « non, Éludes de théologie positive sur la sainte Trinité, Pari*, 18 !)2, surtout t. I.

Ajoutez aux manuels cités nu cours de l’article : A. llorvâth, Metaplujsik der Relalionen, Graz, 1914 ; E. Commer, Slrelflichtcr auj die Welt der Relationen, dans rivus Thomas, 1916, p. 120 sri. ; P. Descoqs, Thomisme et scolaslique (Nouvelle édition, Paris, 1935), appendice ii, Sur la relation dans l'être crée, p. 218-226.

A. Michel.