Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/367

Cette page n’a pas encore été corrigée

214 7

RELATIONS DIVINES ET ESSENCE DIVINE

2148

logiens font valoir contre la thèse de Scot que la distinction formelle ex natura rei aboutirait logiquement à placer entre la relation et la substance divines une distinction réelle et qu’en somme l’opinion scotiste rejoint fatalement l’erreur de Gilbert de La Porrée. Voir toutes les raisons accumulées contre Scot, dans Gonet, op. cit., §3 ; cf. §4.

3. Opinions receuables.

a) Principes communs. — Toutes opinions recevables doivent affirmer une double vérité : d’une part, l’identité des relations avec la substance divine ; d’autre part, la distinction de « raison raisonnée » entre les relations et la substance.

Sur ce dernier point, quelques éclaircissements sont nécessaires :

On appelle distinction de raison ou distinction virtuelle, celle qui est introduite par noire esprit, distinguant dans un objet de connaissance des formalités diverses : ainsi, dans tel homme, je puis distinguer l’animal, le Français, le musicien, le père de Jacques ou le fils de Pierre. De telles distinctions peuvent amener, certes, composition de concepts divers, mais non composition réelle dans l’objet connu lui-même. Mais cette distinction de raison entre divers aspects du même objet peut elle-même revêtir diverses formalités. Nous laissons de côté la distinction purement logique et sans fondement vrai que les théologiens scolastiques appellent " de raison raisonnante » : elle existe, quand les divers concepts que forme l’esprit d’un même objet ne sont pas vraiment différents. A la distinction opérée par l’esprit ne correspond rien qui soit vraiment, même d’une façon simplement virtuelle, différent dans l’objet : ainsi la distinction entre homme et animal raisonnable. C’est, à peu de chose près, la distinction purement verbale des nominalistes.

Il faut, au contraire, considérer avec attention la distinction virtuelle et vraiment fondée dans la réalité, celle que l’école appelle distinction « de raison raisonnée » : elle existe quand les divers concepts que l’esprit forme d’un même objet sont, en vérité, formellement différents et trouvent dans les virtualités mêmes de l’objet un point d’appui solide à leur diversité. Ce n’est plus alors un jeu d’esprit, comme dans la distinction purement verbale ; c’est « un procédé justifié de la raison qui, pour prendre possession intellectuelle d’un objet complexe, le détaille selon les richesses qj’elle y aperçoit. Ainsi l’âme humaine offre réellement, à qui considère la diversité de ses actions, un fondement sérieux pour qu’on distingue en elle trois puissances de vie : végétative, sensitive, intellectuelle. Ainsi l’Être divin offre dans la richesse infinie de son essence un fondement vrai à qui y distingue ses innombrables perfections ». A. -A. Goupil, Dieu, t. i, p. 25.

De plus, cette distinction virtuelle fondée dans la réalité peut être adéquate ou inadéquate, soit parfaite ou imparfaite, soit encore majeure ou mineure. Tous ces termes sont synonymes et s’emploient indifféremment. Parfaite, adéquate ou majeure, quand les divers concepts formés par l’esprit ne s’impliquent pas les uns les autres, quand, entre eux, ils sont adéquatement distincts. L’être vivant peut très bien être conçu sans former le concept d’homme ; l’idée d’un Français n’implique pas celle d’un musicien, etc. Imparfaite, inadéquate ou mineure, quand les aspects divers d’un même objet, s’impliquent et s’enchevêtrent. On peut distinguer en un être l’essence et la nature ; mais on ne saurait les penser totalement séparées : l’essence est toujours active et donc nature ; le principe de l’activité est toujours une essence. Chacun des deux concepts dit explicitement un aspect de l’objet, implicitement l’autre ; ils sont inadéqiudement distincts. Cela dit, nous pouvons affirmer :

b) La doctrine communément reçue : En Dieu, relations et substance se distinguent d’une distinction de

raison raisonnée, c’est-à-dire ayant en Dieu un fondement objectif.

Le fondement de cette distinction de raison raisonnée est double : d’un côté, c’est la disproportion de notre intelligence à saisir par un concept unique les richesses transcendantes de la divinité ; de l’autre, c’est, en Dieu lui-même, la distinction réelle qui existe entre les relations elles-mêmes. Ici, il y a un fondement plus objectif encore, si l’on peut dire, que pour la distinction des attributs divins, car les attributs sont simplement conçus comme différents les uns des autres, voir t. i, col. 2233-2234, tandis que les relations sont réellement distinctes entre elles.

L’assertion commune rapportée dans l’énoncé qui précède est une doctrine théologiquement certaine, démontrée et par l’histoire du dogme trinitaire, et par le raisonnement théologique.

Les hérésies trinitaires partent de ce principe — qui, selon l’expresssion de saint Grégoire de Nazianze, est comme leur citadelle, Oral., xxxi, n. 23, P. G., t. xxxvi, col. 157 — qu’en Dieu il est impossible d’introduire une distinction même virtuelle entre la substance et les personnes. Les ariens déclarent qu’il est contradictoire d’attribuer la même substance divine au Père et au Fils, parce que la paternité qui s’identifie avec la substance ne peut être attribuée au Fils. A l’opposé, les sabelliens ne distinguent en Dieu aucune personne, parce que paternité et filiation ne sont que des dénominations extrinsèques à Dieu, mais qu’en Dieu elles s’identifient pleinement avec la substance.

Contre ces assertions, les Pères de l’Église rappellent qu’en Dieu, paternité et filiation indiquent des modes substantiels, qui, tout en s’opposant, se distinguent de la substance à l’instar des attributs. Ainsi la doctrine de la distinction virtuelle est ébauchée. Cf. S. Basile, Adv. Eunomium, t. II, c. xxviii, P. G., t. xxix, col. 637 ; cf. c. xxix, col. 640-641 ; Epist., ccx, n. 5, P. G., t. xxxii, col. 776 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xxix, n. 16, P. G., t. xxxvi, col. 96 ; l’auteur du Dialogue contre les macédoniens, i, P. G., t. xxviii, col. 1292 ; Amphiloque d’Iconium, fragm. 15, P. G., t. xxxix, col. 112 ; S. Jean Damascène, De fide orthodoxa, t. I, c. viii, x, P. G., t. xciv, col. 828, 838 ; S. Ajgustin, De Trinitate, t. V, n. 3-6, P. L., t. xlii, col. 913-914. Voir les textes dans Galtier, op. cit., p. 194-195.

Mais le raisonnement théologique lui-même suffit à prouver qu’il faut admettre entre substance et relations divines une distinction simplement virtuelle, avec un fondement objectif en Dieu. En effet, d’une part, sans l’identification des relations et de la substance, nous devrions logiquement admettre, sinon les hérésies arienne ou sabellienne, tout au moins les erreurs de Gilbert ou de Joachim. D’autre part, sans la distinction virtuelle, nous devrions émettre au sujet de Dieu des assertions contradictoires, nos concepts des réalités divines nous amenant logiquement à conclure qje le Père étant Dieu, le Fils étant Dieu, le Père est identique au Fils. La transcendance divine est d’ailleurs infinie ; et, par conséquent, il n’apparaît pas contradictoire qu’elle puisse fonder simultanément un double concept de réalité absolue et de réalité relative, à condition toutefois que ce concept de réalité relative se réfère à une relation subsistante, c’est-à-dire s’identifiant, dans ce qui fait sa réalité, avec la substance elle-même. Cf. Galtier, op. cit., p. 195-199.

c) Opinions librement disculées. — Les discussions libres portent sur la question, fort subtile d’ailleurs, de savoir si la distinction entre relations et substance est majeure ou mineure. Qui aime les longues et subtiles analyses scolastiques pourra, sur ce point, se reporter à Gonet, op. cit., disp. III, a. 2, n. 48-122. En bref, il suffira ici d’indiquer les tendances des théologiens.