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RÉGINALD (ANTONIN]


P. Réginald de son crime (non prouvé) contre la thèse de l’immaculée conception, c'était, directement et à coup sûr, atteindre, mécontenter les jésuites. Ces derniers, en effet, le P. Poussines, en 1650, dans son Vincenlia uictus, plus tard le P. Ferrier, en 1662, dans sa Défense de la conception immaculée, s’attaquèrent au livre qu’on imputait à crime au P. Réginald. A. Auguste, op. cil., p. 144-145. Celui-ci se garda bien de répondre, et c'était en effet la meilleure manière de laisser ses adversaires dans l’incertitude touchant ses droits et responsabilités d’auteur ou d'éditeur.

A-t-on voulu tenir compte à Réginald de cette sagesse qui lui venait avec les années, ou bien a-t-on voulu simplement utiliser ses talents reconnus de théologien ? Toujours est-il qu’en 1653 on fit appel à ses lumières dans l’affaire si discutée des cinq propositions extraites de l’Augustinus de Jansénius. Lorsque le pape Innocent X voulut alors condamner ces propositions, il ne le fit certes pas pour blâmer cette doctrine thomiste que l’on considérait trop souvent en certains milieux comme une ascendance du jansénisme. L’hérésie de Jansénius était originairement très différente du thomisme. Ce n’est que par la suite que « les disciples de saint Augustin », comme ils s’appelaient, abandonnèrent une partie de leurs positions insoutenables vis-à-vis de l’orthodoxie et se rapprochèrent du thomisme. Donc, peu de temps après l’apparition de l’Augustinus, au milieu du xviie siècle, les dominicains thomistes étaient nettement hostiles aux cinq propositions. Avant que le pape songeât, en 1653, à les condamner, le dominicain parisien Jean Nicolaï, dès 1649, avait été membre de la commission des huit docteurs de Sorbonne qui avait déjà proscrit les cinq propositions. A cette date de 1653, Nicolaï travaillait à ce que Rome condamnât à son tour le jansénisme comme l’université de Paris l’avait fait (voir l’art. Nicolaï, t. xi, col. 490-491). Le maître général des dominicains, qui était maintenant JeanBaptiste Marinis, faisait venir à Rome, sur les instances du pape, ses meilleurs théologiens pour s’occuper de l’affaire. Antonin Réginald en fut. Il se montra catégoriquement favorable à la condamnation ; ce qui n’empêcha pas un jésuite, le P. Théophile Raynaud, de déclarer qu’Antonin Réginald était si suspect d’hérésie qu’il dut se sauver de Rome en grande hâte pour éviter le bûcher ou au moins le cachot qu’on aurait réservé à son impénitence janséniste. (Voir làdessus Vincent Baron, Duo postremi apologiiv libri…, Paris, 1666). La vérité fut tout le contraire. Antonin Réginald, longtemps retenu à Rome, ne quitta la ville qu’après que le cardinal deValencey, ambassadeur de France, lui eut donné, de la part du pape, le plus vif encouragement à persévérer dans ses positions rigoureusement thomistes et augustiniennes. Il quitta la ville honoré de la plus haute charge que le maître général pouvait lui accorder ; laissant de côté tout procédé d'élection, J.-B. de Marinis le nommait prieur provincial de la province dominicaine de Toulouse où il retournait. Quétif-Échard, Scriptores, t. ii, p. 667. Quand il se trouvait encore à Rome pour cette affaire des cinq propositions, Réginald avait composé à l’intention du Saint-Office des Tractatuli XI in de/ensionem doctrines thomistteee seu poli us Ecclesiæ catlwlicæ de gralia Christi, plus tard insérés dans le Journal de Saint-Amour, 2e partie, p. 59-79. Ces pages, qui semblent expliciter certaines des idées qu’oïl se faisait au Saint-Office à propos des affaires en cours, suffiraient peut-être à révéler dans quelle intention de simple et droite orthodoxie fut faite la condamnation des cinq propositions. On aurait tort d’y voir une manifestation de la prétendue haine des jésuites contre les jansénistes ou contre le thomisme. La rumeur Infâme n’en accusa pas moins Réginald de s'être opposé à la

condamnation des cinq propositions. On allait jusqu'à mettre dans sa bouche les propos les plus frondeurs : « Le pape, aurait-il dit, ayant besoin d’argent pour la guerre qu’il avait contre les princes ligués d’Italie, avait écouté la proposition que lui firent les jésuites qu’ils donneroient une notable somme d’argent s’il vouloit faire expédier une bulle contre cet adversaire de leur doctrine. » A. Auguste, op. cit., p. 37. On l’accusait aussi d’avoir prétendu que le pape se rétracterait, ou encore d’avoir mis en doute l’authenticité de la bulle contre les cinq propositions.

Le 7 décembre 1656, le P. Réginald reçut un camouflet. Quatre professeurs de sa faculté de théologie de Toulouse, mais dont aucun naturellement n'était dominicain, donnèrent leur approbation à la Scientia média du P. Annat et, le 27 du même mois, le recteur de l’université, Dadin de Hauteserre, faisait de même. Au nouveau jugement officiel de la faculté de Toulouse, qui en somme se déjugeait, l’ouvrage du P. Annat était déclaré parfaitement conforme à l'Écriture sainte et à la doctrine des Pères de l'Église. Il y avait que l’archevêque de Toulouse avait changé et ne s’appelait plus Montchal, mais Marca. Il y avait surtout que, depuis deux ans, l’adversaire du combattit Antonin Réginald, le non moins combattit P. Annat, était devenu confesseur de Louis XIV.

Le P. Réginald songea donc à se rendre imbattable sur le terrain des principes, au-dessus des controverses où peuvent intervenir des considérations étrangères à la métaphysique. C’est certainement en cette intention qu’il rédigea, avec une précision mûrement calculée, l’ouvrage principal de sa vie, et dont une notable partie du moins vit le jour sous le titre de Doclrinæ D. Thomas Aquinatis tria principia cum suis consequentiis, in-12, 1. 1, 507 p., t. ii, 476 p., t. iii, 1044 p., Toulouse, chez Raimond Bosc, 1670. Deux autres volumes prévus ne purent aboutir, parce que la rédaction d’un travail aussi dense était forcément lente, et que l’auteur avait vieilli et mourrait d’ailleurs six ans après la parution des trois premiers volumes. Ces trois volumes ont été réédités en un seul, au xixe siècle, sous le titre : Doctrinse divi Thomas Aquinatis tria principia cum suis consequentiis ubi totius doctrinse compendium et connexio continetur, auctore R. P. Ant. Reginaldo, ord. prsed… editio nova diligenler emendata, utilissima synopsi ditata et percommodis distincla divisionibus a P. Fr. X. ejusdem ordinis, Paris, 1878, in-8°, 582 p.

Pour un lecteur du xx° siècle, les Tria principia d’Antonin Réginald sont d’un abord quelque peu affligeant. L’auteur y rend, avec un grand souci de liaison logique, 1713 sentences métaphysiques ou théologiques, fondées chacune, d’une part sur des textes de saint Thomas, d’autre part sur un petit raisonnement de forme strictement scolastique. On dirait que l’on a affaire à un monstrueux sorite articulé de 1713 syllogismes. Mais, à y regarder de plus près, on ne reste pas seulement impressionné par la précision de cette machine théologique, on est frappé de la netteté et de l’exactitude des termes avec lesquels sont frappées les 1713 sentences et aussi de leur apparentement par voie de conséquences avec les trois irréductibles principes dont l’auteur fait découler tout son énorme système, ou plutôt avec les deux principes dont il s’est servi pour gouverner les parties traitées de sa grande œuvre, demeurée inachevée. Ces deux principes sont d’ailleurs solidaires l’un de l’autre et concourent en effet à assurer partout la manière de voir de saint Thomas : Ens est transcendens, Dcus est aclus punis : c’est tout le problème de la répartition de l’agir.

Antonin Réginald laissera en mourant bien d’autres choses dans ses papiers. On y trouvera, par exemple, un ouvrage tout composé sur la doctrine du