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RÉFORME. DOCTRINES, L’EUCHARISTIE


sence réelle. 1. Très souvent, dans la Bible, le mot est est employé pour significat, par exemple, au sujet de Jean-Baptiste : Ipse est Helias ; au sujet de Jean l’Évangéliste : Ecce fdius luus ; au sujet du Christ : Petra erat Christus — 2. Mais par-dessus tout, l’eucharistie est essentiellement une commémoraison. Or, on ne commémore qu’un absent. Donc Jésus n’est pas réellement présent dans la cène. Voir cette lettre dans Lulhers Briefwechsel, éd. Enders, t. iii, p. 412, ou dans C. R., Opéra Zuinglii, t. iv, p. 512 sq.

Zwingli ne demandait sans doute qu’à être convaincu. Il le fut sans retard. Mais un encouragement à laisser connaître sa nouvelle opinion dut lui venir de la publication, coup sur coup, au cours de 1524, de cinq traités de Karlstadt, relatifs à l’eucharistie. Ce fut ce personnage qui mit le feu aux poudres. Ses traités parurent à Bâle. Tout le sud de l’Allemagne et la Suisse furent mis en émoi. Les anabaptistes surtout exultaient et leur enthousiasme provoquait dans l’opinion des remous dangereux. Zwingli eut à ce sujet un entretien avec Œcolampade, le réformateur de Bâle. Ils tombèrent d’accord pour adopter une explication symbolique de l’eucharistie. Ils furent d’avis d’autre part que Karlstadt, bien que partant d’une idée juste, ne pouvait être pris au sérieux, quand il prétendait que Jésus en disant : Hoc n’avait pas désigné le pain, mais son propre corps. Ni Zwingli, ni Œcolampade ne pouvaient douter qu’en se ralliant à une interprétation symbolique de l’eucharistie, ils allaient entrer en conflit avec Luther, car ce dernier, cessant de s’acharner contre la doctrine catholique, portait tout son effort vers la réfutation et l’extirpation des erreurs de Karlstadt. Mais précisément, cette attitude de Luther ne pouvait que pousser un caractère indépendant, tel que Zwingli, à prendre le contre-pied de l’impérieuse théologie du réformateur wittenbergeois. Enfin, les relations entre Zwingli et Érasme, très cordiales jusqu’à 1522, se gâtèrent tout à fait lorsque Zwingli témoigna de la sympathie à Hutten, ennemi mortel d’Érasme. Libéré de tout lien avec l’humanisme de sa jeunesse, Zwingli n’hésita donc plus à propager son opinion nouvelle sur l’eucharistie. C’est surtout dans son Commentarius de vera et falsa religione (mars 1525) et dans le Subsidiutn sioe coronis de eucharistia (17 août 1525), tous deux antérieurs à la querelle sacramentaire proprement dite, qu’il faut chercher les idées et les arguments du docteur zurichois.

Le Christ siège à la droite du Père, dit-il. Il ne quittera plus ce trône jusqu’au jugement dernier. Il ne peut donc pas descendre dans l’eucharistie. On ne peut dès lors voir dans l’institution eucharistique qu’un « trope ». C’est le Christ lui-même qui a dit de l’eucharistie, après l’avoir instituée : « Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour, etc. » S’il l’appelle « fruit de la vigne », c’est que le vin n’était pas son sang, autrement qu’en figure. De même quand il dit : « Ceci est mon sang, qui est versé… » il ne peut parler de son vrai sang, puisqu’il n’est pas encore versé. Il parle donc symboliquement. Zwingli faisait aussi appel à un songe qu’il avait eu, dans la nuit du 12 au 13 avril 1525, à la suite d’une discussion très vive avec un catholique de Zurich, Joachim ani Crut. II avait été poursuivi, jusque dans son sommeil, par le souci de la discussion. Et, en rêve, un argument nouveau lui apparut : Est enim Phase, hoc est transitus Domini, Ex., xii, 11. Sautant du lit, il avait pris note immédiatement de cette preuve. L’eucharistie, écrit Zwingli, est la reproduction lointaine de l’action de grâces célébrée dans l’agneau pascal. C’est donc là qu’il faut rechercher le sens des mots employés par le Christ. Or, dans l’agneau pascal, les mots : Est enim Phase, doivent être pris au sens de Hoc significat

Phase : mangez promptement l’agneau, car cet agneau est le symbole du passage du Seigneur. Donc, il faut interpréter de même, au sens symbolique, les mots du Christ : Hoc est corpus meum.

Enfin, Zwingli considérait comme absolument décisif l’argument tiré des paroles de Jésus, dans la synagogue de Capharnaum : « La chair ne sert de rien, c’est l’Esprit qui vivifie. » Joa., vi, 63. Les Juifs, disait-il, avaient compris que Jésus voulait donner sa chair à manger. C’est donc cela même que Jésus déclare repousser à son tour, en disant que la chair ne sert de rien. Et que l’on ne fasse pas appel à la toute-puissance de Dieu. Il ne s’agit pas de ce que Dieu peut faire, mais de ce qu’il a fait. Dieu peut épuiser la mer. Mais la mer est toujours là. Il est absurde de croire qu’il y a deux substances ensemble dans le pain consacré. Tels sont les arguments de Zwingli, qui expédie ensuite sans façon les témoignages de la tradition patristique et tourne en dérision les inventions de la scolastique. Subsidium sive coronis de eucharistia, C. R., Opéra Zuinglii, t. iv, p.440-504 ; voir aussi Comment, de vera et falsa religione, ibid., t. iii, p. 773 sq.

En septembre 1525, son ami Œcolampade publiait, par les soins du réfugié français, Guillaume Farel, un grand ouvrage sur l’eucharistie, principalement dans la tradition patristique. Le titre du livre était : De genuina verborum Domini : « Hoc est corpus meum », juxta veluslissimos authores expositione liber. Il y avait là un grand étalage d’érudition, mais l’auteur ne montrait pas le moindre sens de l’histoire. Pas un instant il n’essayait d’esquisser l’évolution du dogme eucharistique. Et pourtant la prétention de faire voir comment le réalisme s’était substitué, au cours des siècles, au symbolisme censé primitif aurait dû conduire à l’idée d’une évolution qu’il s’agissait de décrire. Œcolampade ne cherchait dans les Pères qu’une chose : des témoignages en sa faveur. Et il osait conclure : « En somme, vers quelque auteur que vous vous tourniez, vous trouverez que tous expliquent le corps du Christ en disant que c’est un sacrement ou sainte figure de corps du Christ ou un mystère, ce qui est la même chose. » Puis il exposait sa propre opinion sur l’eucharistie, en accentuant encore le rationalisme contenu dans celle de Zwingli. « Si le corps du Christ, dit-il, était sur l’autel, comme on le prétend, il faudrait admettre plus de miracles dans ce seul pain que dans toutes les autres œuvres de Dieu. Et ces miracles ne seraient pas accomplis seulement une fois, comme la création du monde ou la résurrection des morts, mais très souvent et dans un nombre incalculable de lieux à la fois. »

De plus l’ubiquité n’appartient qu’à Dieu. Un corps omniprésent est une contradiction dans les termes. Il n’y a donc ici qu’un « trope ». Mais comme en hébreu, Jésus n’a pas employé de copule, ce n’est pas le mot est qu’il faut traduire par significat, c’est le mot corpus qu’il faut interpréter au sens de figura corporis. La nuance entre Zwingli et Œcolampade est minime et provient uniquement d’une raison philologique. Par contre, Œcolampade explique d’une façon originale les efïets de la communion. Il en vient à admettre une sorte de présence réelle non pas du corps du Christ dans l’eucharistie, mais de Jésus lui-même dans nos cœurs. Nous sommes transformés par la foi en Jésus-Christ. Or, l’eucharistie est surtout une profession de foi. Nous sommes donc par elle transsubstantiés mystiquement en Jésus-Christ. C’est pourquoi Œcolampade qui, lui aussi, comme Luther, était mystique et avait été religieux, appelle volontiers l’eucharistie : panis mijslicus. Pour lui, l’acte de foi, proféré par le rite eucharistique, est une véritable « manducation spirituelle de la chair du Christ. » Œcolampade dépasse donc Zwingli, pour qui le sacrement n’est qu’une corn-