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REFORME. DOCTRINES, LA JUSTIFICATION
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nous répondrons ceci : Les âmes délicates, Mélanchthon par exemple, y ont cherché une certitude. Pour les autres, le secret de leur enthousiasme est assez éclairci par cette boutade échappée à Luther : « Dès que l’on admet ce principe (de la justification par la foi seule)… tombent la messe, le purgatoire, les vœux du cloître et tout le reste ! Kroker, Luthers Tischreden in der Mathesischen Sammlung, Leipzig, 1903, p. 236.

Moines en rupture de vœux, bourgeois heureux de spolier les fondations des églises et de remettre en circulation des capitaux improductifs, fils de la Renaissance charmés de pouvoir suivre la nature, sans désespérer de leur salut éternel, tels furent les diverses catégories de personnes où Luther recruta d’innombrables partisans.

La justification par la foi chez Zwingli.

On a

déjà vu combien Zwingli différait de Luther et comment. Ce ne fut pas pour des raisons mystiques que le curé de Zurich entra en rébellion contre le dogme traditionnel. Il avait l’esprit indépendant. Il fut poussé par des raisons d’ordre politique et ecclésiastique. La justification par la foi seule demeura toujours adventice dans son système. Parmi les titres de chapitre de son grand ouvrage De vera et falsa religione commentarius (1525), on chercherait en vain les mots foi et justification. C’est au mot Evangelium que se trouve exposée sa doctrine du salut. « L’Évangile, écrit-il, c’est que les péchés sont remis au nom du Christ. » C. R., Opéra Zuinglii, t. iii, p. 691. Il rappelle la prédication de Jean-Baptiste. Cette prédication était un appel à la pénitence. Elle ne pouvait engendrer que le désespoir. Mais Jean la faisait suivre de l’annonce du baptême par l’Esprit-Saint. « Or, qu’est-ce autre chose, conclut audacieusement Zwingli, de baptiser dans l’Esprit-Saint, que de rendre la conscience tranquille et joyeuse de sa venue ? Et comment pourrait-elle être tranquille, si on ne lui donnait des espérances fermes de quelque chose qu’elle sache avec certitude ne pouvoir tromper ? Baptiser dans l’Esprit-Saint n’est donc rien autre chose que ceci : le Christ nous donne son Esprit qui illumine nos cœurs et les entraîne si bien que nous ayons confiance en lui, que nous nous appuyions sur lui, qui est le Fils de Dieu, qui nous a été envoyé, et dont nous sommes devenus les frères, par sa miséricorde et non par nos mérites. » Loc. cit., p. 693 sq.

En somme, le système de Zwingli, fortement apparenté à celui de Luther, se ramène aux éléments suivants : 1. Connaissance de soi-même.

2. Désespoir.

— - 3. Recours à la miséricorde divine. — 4. Terreur causée par sa justice. — 5. Révélation de Jésus comme ayant accompli toute satisfaction à la justice et gage, pour ceux qui se confient en lui, de certitude du salut.

Voici un texte de l’ouvrage cité qui met bien ces éléments en relief : « Dieu nous illumine pour que nous nous connaissions nous-mêmes. Et, lorsque cela s’accomplit, nous sommes jetés dans le désespoir. Nous nous réfugions dans sa miséricorde, mais sa justice nous fait peur. Alors la sagesse éternelle découvre le moyen de satisfaire à sa justice, ce dont nous étions incapables, et de nous faire jouir de lui, appuyés sur sa miséricorde. Il envoie son Fils qui satisfait pour nous à la justice et qui devient le gage indubitable du salut. Mais c’est à condition que nous devenions une nouvelle créature et que nous marchions revêtus du Christ. Toute la vie du chrétien est donc pénitence. Quand est-ce en elïet que nous ne péchons pas ? » Loc. cit., p. 695.

On remarquera dans ce passage moins ce qui y ressemble à la doctrine de Luther que ce qui en ditïère. Zwingli n’est pas seulement un théologien biblique. Il est aussi et peut-être surtout un conducteur d’hommes.

Il légifère pour une république bourgeoise. Il raisonne en homme d’État. Il a donc bien garde d’ébranler la force de la loi, cette garantie nécessaire de l’ordre public. On ne trouve pas chez lui l’opposition chère à Luther entre la loi et la promesse. Il ne laisse jamais entendre que la Loi n’avait qu’un rôle préparatoire qui fait cesser sa force obligatoire au seuil de la Foi. La loi est au contraire pour lui l’expression de la volonté immuable de Dieu. La grâce nous affranchit de sa puissance de damnation et non de sa puissance d’obligation. C’est évidemment là une différence capitale d’avec Luther qui arrive à rendre la loi odieuse à l’homme. Zwingli veut au contraire qu’on adore la loi, tout en sachant bien qu’on ne peut pas l’accomplir. Il est très catégorique sur ce point. Le salut s’accomplit en nous par la confiance en Jésus seul Sauveur. Mais cela ne nous affranchit pas de la loi. Nous devons l’accomplir librement, heureusement, amoureusement, sans croire que nous puissions satisfaire à ses exigences profondes, mais en comptant sur le Christ pour nous arracher à la puissance de damnation qu’elle comporte et qui continue à peser sur les incrédules.

Toutefois, si Zwingli se montre moins brutal, plus nuancé que Luther dans l’intelligence de la loi, il ne diffère pas de lui sur le plan métaphysique, car lui non plus il n’admet pas que l’homme soit libre. Comme Luther, il fait reposer tout le système du salut sur la prédestination. Le sort de tous les hommes est réglé, de toute éternité, sans qu’ils y soient pour rien et sans que leur liberté entre en ligne de compte. Zwingli voit bien tout ce que cette doctrine de la toute-puissance arbitraire de Dieu présente de révoltant pour le sens de justice inné dans l’homme. Il se pose nettement l’objection : pourquoi Dieu, qui fait tout, punit-il les méchants ? Et il ne fait à cette question que la réponse que voici : la loi demeure la loi, bien que Dieu agisse dans tous les êtres. Ceux qui la violent doivent être punis. — En ce cas, dira l’impie, c’est Dieu même qu’il faudrait punir, puisque c’est Lui qui est la cause du péché. — Vous vous trompez grossièrement, réplique Zwingli. Dieu est au-dessus de la loi. C’est lui qui l’a faite. Elle exprime sa volonté. Il n’est donc pas tenu de l’accomplir, mais seules les créatures y sont tenues. Dieu est essentiellement un Esprit et une Pensée libre de toute loi. L’acte qui est coupable pour la créature sujette à la loi n’est que sagesse pour Dieu qui est au-dessus de la loi et qui est seul cause de cet acte ! Le déterminisme de Zwingli ne recule donc aucunement devant cette effroyable conséquence : Dieu est la cause, la source, l’instigateur et l’auteur etfeetif de tous les crimes et l’être humain qui n’est qu’un instrument entre ses mains, n’en mérite pas moins les châtiments éternels, pour la violation « forcée » de la Loi qui lui était imposée. Et Dieu n’en demeure pas moins la bonté, la miséricorde et la sagesse infinies !

C’est que Zwingli ne veut voir que le côté lumineux de l’élection. Il ne songe pas à s’attendrir sur les damnés. Ce sont des gens auxquels il ne faut pas penser. Ne regardons que les élus. La prédestination, selon Zwingli est « la libre constitution établie par la volonté divine au sujet de ceux qui doivent être bienheureux ». C’est cette constitution — terme juridique signifiant décret qui explique tout le processus du salut. « L’élection passe devant, dit Zwingli. La foi suit comme signe de l’élection. »

La foi, selon Zwingli, contient essentiellement trois choses : 1. la certitude que le Fils de Dieu a satisfait pour nous ; 2. la confiance en Dieu seul, en ce qui concerne l’affaire de notre salut ; 3. un tel attachement à Dieu que l’on suit prêt à vivre et mourir pour lui. « Quiconque est couvert du bouclier de la foi sait qu’il est un élu de Dieu, en vertu de sa foi même. Elle