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RÉFORME. DOCTRINES, LA JUSTIFICATION


spirituelle » et que les quelques « gouttes de vérité » que l’on trouve chez eux ne font que mieux ressortir leur responsabilité et la profondeur des ténèbres qui les enveloppaient. — 6. Calvin maintient en effet la pleine responsabilité de l’homme, en dépit de son impuissance. II ne voit pas qu’il fait de Dieu un monstre qui punit des créatures pour des fautes qu’elles n’avaient pas le pouvoir d’éviter. Voici comment il explique cette responsabilité : l’homme est tellement corrompu qu’il prend plaisir au mal. Il pèche avec délectation, sans contrainte, avec empressement. « Il pèche volontairement et non pas malgré son cœur, ni par contrainte, il pèche, dis-je, par une affection très encline et non pas étant contraint par violence. » Cotte complaisance dans le mal apparaît à C ilviii, ainsi qu’à Luther, commj constituant essentiellement la responsabilité. Ici encore le juriste l’emporte sur le théologien. Car le juriste ne veut savoir qu’une chose : si le délinquant n’a pas été contraint, s’il n’a pas été entraîné par la crainte ou quelque sentiment imposé du dehors. S’il apparaît qu’il a agi avec joie, de lui-même, il est tenu pour responsable devant la loi.

4° Le péché originel dans les « 39 Articles ». — L’article 9 de la confession anglicane traite du péché originel en ces termes : « Le péché originel ne consiste pas dans l’imitation d’Adam (comme le prétendent vainement les Pélagiens) ; mais c’est la faute et la corruption de la nature de chaque homme qui, d’une façon naturelle, tire son origine d’Adam. Et c’est par là que l’homme s’est éloigné de sa droiture originelle et se trouve de sa propre nature incliné au mal, de sorte que les convoitises de la chair sont toujours contraires à celles de l’esprit. Et c’est pourquoi le péché originel mérite la colère de Dieu sur tout homme qui vient en ce monde. Et cette infection de la nature demeure même en ceux qui sont régénérés. C’est pourquoi la convoitise de la chair, appelée par les Grecs « phronêma sarkos », que l’on traduit sagesse, ou sensualité ou affection ou désir de la chair, n’est pas soumise à la loi de Dieu. Et, quoique cette sensualité n’entraîne pas de condamnation pour ceux qui croient et sont baptisés, cependant l’Apôtre confesse que la convoitise impure ou concupiscence a en elle-même la nature du péché. »

Cette doctrine diffère très peu de celle de Luther et de Cilvin. Elle identifie la concupiscence et le péché originel. Elle pose en principe que la concupiscence est un véritable péché et que ce péché entraîne la condamnation des non-régénérés. Cependant, la confession anglicane évite toute expression trop âpre et elle corrige par la modération du Tangage ce qu’il reste de radicalisme dans la doctrine.

Au sujet du libre arbitre, l’art. 10 se rapproche nettement de la doctrine catholique : « La condition de l’homme, après la chute d’Adam, est telle qu’il ne peut s’appliquer et se préparer, par ses forces naturelles et ses bonnes œuvres, à acquérir la foi et à invoquer Dieu. C’est pourquoi nous n’avons pas le pouvoir d’accomplir de bonnes œuvres agréables à Dieu et acceptées de Lui, sans la grâce prévenante de Dieu, par l’intermédiaire du Christ, grâce qui peut nous donner un bon vouloir, et la grâce coopérante qui coopère avec nous après que nous avons acquis ce bon vouloir ».

On verra cependant, à l’article suivant que la conception anglicane de la coopération entre le vouloir humain et la grâce reste en deçà de l’enseignement catholique.

/II. la JUSTIFICATION. 1° Chez Lullicr. - L’article de la justification est le plus important de tous ceux qui oui été touchés parles « réformateurs ». Nous avons vu que la mystique de la Justification est l’un des trois traits communs, avec des nuances toutefois,

à toutes les branches de la prétendue réforme. Luther avait coutume d’appeler ce point « le point capital et le résumé » de toute la doctrine chrétienne, summa et caput. Mélanchthon, dans les Loci communes de décembre 1521, disait aussi : « Si quelqu’un ignore ces trois choses : la puissance du péché, la Loi, la Grâce, je ne vois pas comment je pourrais l’appeler chrétien I » Kidd, op. cit., p. 91. De fait, c’est dans la mystique de la justification que s’est trouvé le point de départ de la révolution luthérienne. C’est l’attrait de cette mystique commode et plus encore les conséquences matérielles, économiques, politiques et sociales, liturgiques même, qu’elle a engendrées, qui ont entraîné hors de l’Église romaine tant de cités, de principautés, de royaumes et de peuples divers.

On doit distinguer, dans l’évolution de Luther, plusieurs étapes avant son arrivée à une conception définitive sur la justification. On a vii, à l’article précédent, comment, à la suite de son voyage à Rome, peut-être sous l’influence de Gilles de Viterbe et de son jeune et brillant élève, Seripandi, qu’il y avait sûrement rencontré, il avait d’abord admis une théorie analogue à celle de la double justice. Vers 1515, il a déjà abandonné l’une de ces justices. Il ne croit plus qu’à la justice du Christ. Sa théorie du péché originel ne lui permet plus d’en admettre une autre. Sur ce point, il ne variera plus. Mais il n’est pas encore fixé sur la manière dont la justice du Christ est appréhendée par nous, sur le processus qui nous en assure l’imputation.

Après sa découverte de la concupiscence « invincible », qu’il identifie au péché originel, il flotte encore deux ou trois ans, à la recherche d’une doctrine qui lui donne pleine satisfaction. Sans doute, il parle déjà de « justification par la foi ». Les luthérologues protestants s’y sont trompés en général et ont cru que ses idées étaient définitivement arrêtées. Il n’en est rien. Ce qu’il entendait par le mot (oi, en 1515, était quelque chose de bien différent de ce qu’il nommera de la sorte après 1518. Entre ces deux dates, 1515-1518, Luther cherche le salut dans l’anéantissement, dans l’abjection humaine, dans le désespoir de soi, dans la condamnation de soi-même et même dans l’acceptation de l’enfer. Il croit imiter sous ce rapport la mystique de Tauler et de la Théologie allemande, qu’il comprend de travers. Il entend donc par le mot « foi » ce sentiment de terreur qui le hante, cette honte intime de ses fautes, cette évidence de la damnation méritée, par laquelle il lui semble qu’il « justifie Dieu » et obtient ainsi d’être « justifié par lui ». Il combat surtout la « sécurité ». C’est pour cela qu’il condamne alors la doctrine des œuvres et qu’il s’élève contre les indulgences. Il maintient énergiquement la nécessité de l’ascétisme, de l’obéissance aux supérieurs. Il place l’humilité au-dessus de tout. Mais il fait consister l’humilité dans le sentiment de sa propre réprobation.

Soudain, en 1518, au sortir d’épreuves effrayantes, où il a ressenti, racontc-t-il, les tortures de l’enfer, il est illuminé d’une intuition prodigieuse : il s’avise que, puisque le salut ne dépend aucunement de nous, puisqu’il vient de Dieu seul, puisque c’est la foi qui nous l’apporte, puisque, en un mot, le salut est inconditionnel, douter du salut, c’est faire injure à Dieu qui nous l’a promis, c’est encore compter un peu sur nous-mêmes, sur nos efforts, sur la valeur de notre humilité ou de notre soumission au décret de damnation suspendu sur notre Iront. La foi lui apparaît dès lors comme ayant pour unique objet la certitude du salut. Jusque-là il condamnait la « sécurité ». Par un revirement qui n’a pas été assez remarqué des historiens, il en fera désormais son unique article de foi et la condition exclusive du salut. La coupure est si nette entre ses idées antérieures et celles qu’il professe depuis cette