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RÉFORME. DOCTRINES, LE PÉCHÉ ORIGINEL


actes, qu’elle est présente en tous et les corrompt, par une sorte de freudisme avant la lettre.

4. L’homme n’a donc plus aucune liberté. Cependant, il est à noter sur ce dernier point que Luther a présenté son déterminisme sous deux formes bien différentes. Avant d'écrire son De servo arbitrio, qui est de 1525, il parle toujours comme si la perte du libre arbitre était une conséquence du péché originel. C’est ce qui explique que, parmi les propositiens de Luther condamnées par la bulle Exsurge Dcminc, du 15 juin 1520, on trouve la suivante : Liberum arbitrium post peccatum est res de solo tilulo, et dum jacit qued in se est peccat mortaliter. Dans le langage de Luther alors la liberté n’est pas un pouvoir d’option, mais seulement le pouvoir de faire le bien. Ce pouvoir exis1f.it donc avant le péché, mais il a été perdu par le péché. Dans le De servo arbitrio, Luther parle du pouvoir d’option. Les raisons pour lesquelles il le refuse à l’hemme sont aussi bien valables pour l’ange. Il ne fait au péché originel que de lointaines allusions. Son grand argument est que la liberté est un nom divin, un attribut divin, une propriété réservée à Dieu. Ce qui détruit la possibilité même de la liberté dans la créature, c’est la volonté omnisciente et toute-puissante de Dieu : « Par sa volonté immuable et éternelle, autant qu’infaillible, Dieu prévoit et fait toutes choses. Cette proposition, semblable à un éclair, terrasse et détruit radicalement le libre arbitre… Il suit de là nécessairement que tout ce que nous faisons, que tout ce qui arrive, même lorsqu’il paraît contingent et accidentel, se produit effectivement d’une façon immuable et nécessaire, quand on fixe le regard sur la volonté divine… La liberté est en définitive un nom divin et ne peut être attribuée à personne qu'à Dieu ». W., t. xviii, p. 615 sq. ; éd. Schwetschke (notes d’Otto Scheel), Ergdnzungsbânde, t. ii, p. 235 sq. Mais comme, avant le péché, l’homme faisait le bien naturellement, on pouvait dire qu’il était libre, c’est-à-dire non enchaîné au péché, tandis que maintenant il n’a même plus cette liberté au sens large, il est enchaîné au mal, il est esclave du péché, de Satan et de la mort.

Zwingli et le péché originel.

Il y a entre la

doctrine de Zwingli et celle de Luther, sur le péché originel, à la fois de frappantes ressemblances et des différences profondes. Ce fut là un des points de friction entre les deux réformateurs. Comme Luther. Zwingli admet ce paradoxe : l’homme est à la fois impuissant et responsable, tout arrive nécessairement. et Dieu est aussi bien l’auteur de la trahison de Judas que de la pénitence de saint Pierre. Il écrit à Bruiner, le 25 janvier 1527 : « Accordons que c’est bien par l’ordre de Dieu que celui-ci est parricide et celui-là adultère… Que l’on dise donc que c’est en vertu de la Providence divine qu’il existe des traîtres et des homicides, nous le permettons. Nous aussi nous le disons, mais nous ajoutons que ceux qui font ces crimes sans se corriger ni se repentir sont destinés par la Providence aux supplices éternels, pour servir d’exemples de sa justice. Voilà notre canon ! » C. R., Op. Zuinglii, t. ix, p. 30 sq.

Mais, en ce qui concerne le péché originel lui-même, Zwingli est presque aux antipodes de Luther. Dans son Explication des 67 articles, il distingue trois sortes de péché : 1. le péché d’incrédulité qui seul entraîne la damnation ; — 2. le Bresten, c’est-à-dire la « contagion » ou infirmité originelle, la faiblesse de notre nature déchue, en Adam ; — 3. les œuvres qui découlent de ce « Bresten », comme les branches sortent d’un tronc.

Il est aisé de voir que le « Bresten » de Zwingli n’est autre que le péché originel. Il l’identifie à la concupiscence. Mais contrairement à Luther, il n’admet

pas que cette « maladie » soit un vrai péché et qu’elle entraîne la damnation. Il la décrit comme une sorte d’amour-propre, qu’il nemme epi/ffi/ria. Zwingli conservait de son humanisme une profonde sympathie pour les sages de l’antiquité. Il ne pouvait se résoudre à les condamner à l’enfer. Il absout de même les enfants morts sans baptême. On comprend dès lors ce passage de la Fidei ratio, qu’il adressa, le 8 juillet 1530, à l’empereur au cours de la Diète d’Augsbourg : « Le péché originel, tel qu’il existe dans les fils d’Adam, n’est pas proprement un péché… Il n’est pas en effet une violation de la loi. Il est donc une maladie et un état : une maladie, car, de même qu’Adam est tombé par amour de soi, nous tombons ; un état, car de même qu’il est devenu esclave et sujet de la mort, ainsi nous naissons esclaves et fils de la colère et sommes sujets

à la mort Il résulte de là, si nous sommes rendus à

la vie par le Christ, second Adam, comme nous avons été livrés à la mort par le premier Adam, que c’est à tort que nous damnons les enfants des parents chrétiens (morts sans bf ptême) et même ceux des païens… Kidd, op. cit., p. 472 sq.

Déjà sur ce premier point, le biblicisme de Zwingli rendait un son tout autre que celui de Luther et ce dernier trépignait d’indignation au sujet des doctrines de son rival.

Calvin et le péché originel.

Avec Calvin, nous

revenons à la doctrine luthérienne pure. Sans insister sur les étapes de la pensée ele Calvin, nous dirons que l’on peut résumer sa doctrine du péché originel, telle qu’elle est contenue dans l'édition définitive de V Institution (1559), dans les six propositions suivantes : 1. Dieu avait créé l’homme dans un état de nature parfaite, en possession ele la liberté ele bien faire et de rester « conjoint à son Créateur ». — 2. Par suite du décret éternel de Dieu, Adam a péché. « L’infidélité a été à la base de sa révolte. De là est procédé l’ambition et orgueil, auxejuels deux vices l’ingratitude a été conjointe ». - 3. Par cette faute, Adam « a ruiné tout son lignage… ayant perverti tout ordre ele nature au ciel et en la terre ». — 4. le péché originel est une corruption et perversité héréditaire de notre nature, laquelle étant répandue en toutes les parties ele l'âme nous fait coupables premièrement de l’ire de Dieu, puis après produit en nous les œuvres que l'Écriture appelle œuvres de la chair ». C’est bien le péché d’Adam qui réside en nous et non point seulement la peine de ce péché. « La nature est une semence de péché, en sorte qu’elle ne peut être que déplaisante et abominable à Dieu. » Ce n’est pas assez dire que ele déclarer que le péché originel est la privation de la justice originelle. Il faut y voir cette source fertile ele tout mal que nous nommons la concupiscence. « L’homme n’est autre chose de soi-même que concupiscence ». — 5. C’est en ce sens qu’il faut dire que l’homme a perdu le franc arbitre. C’est à tort que les philosophes prétendent que la raison suffit à bien conduire l'être humain et que la volonté a la libre élection pour suivre en tout la raison. Calvin reconnaît que la plupart eles Pères « ont suivi les philosophes », plus qu’il ne convenait. Saint Augustin seul a bien compris les Écritures. Pour Calvin, son sentiment est très net : « C’est une chose résolue, dit-il, que l’homme n’a point le libéral arbitre à bien faire, sinon qu’il soit aidé de la grâce de Dieu et de grâce spéciale qui est donnée aux élus seulement par régénération, car je laisse là ces frénétiques qui babillent qu’elle est indifféremment exposée à tous. » A vrai dire, Calvin n’oublie pas qu’il a été humaniste. Il ne peut se tenir d’exprimer son admiration en passant pour les sages de l’antiquité, surtout les jurisconsultes, les philosophes, les dialecticiens, les médecins du paganisme. Mais il reconnaît qu’ils n’ont pas eu la « sagesse