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RÉFORME. DOCTRINES, SOURCES DE LA FOI


rien concevoir sans un texte, que la vie ne soit pas admissible pour lui en dehors des formules écrites, et qu’en particulier le magistère vivant d’une Église, la tradition vivante du catholicisme lui soient insupportables, comme un chaos d’usurpations humaines sur le droit divin. Exemple : il parle de l’adoration du Christ dans l’hostie consacrée, en usage dans l’Église catholique. Il condamne cette adoration avec violence et comme une vraie idolâtrie. Puis, il s’écrie : « Quant à nous, pour ne pas tomber dans une telle fosse, fixons nos oreilles, nos yeux, nos cœurs, nos esprits, nos langues totalement dans la doctrine sacrée de Dieu

— il veut dire dans la Bible — car c’est l’école de l’Esprit-Saint, le plus parfait des maîtres, dans laquelle on fait tant de progrès que l’on ne doit rien apprendre d’ailleurs et que l’on renonce volontiers à savoir tout ce qui n’y est pas enseigné ! » Institutio christiana, édition de 1536, C. R., Opéra Caloini, t. i, p. 125 ; éd. Barth, t. i, p. 144.

Les derniers mots de cette phrase sont surtout à retenir. On pourrait dire qu’ils sont la charte du puritanisme, en tant que le puritanisme est le plus intransigeant des biblicismes et que le puritain ne veut plus être que l’homme d’un livre, du Livre par excellence, et ignorer tout le reste. Calvin avait pourtant été humaniste comme Zwingli. Mais, en se convertissant, il a dit adieu aux études profanes. Il ne veut plus connaître que la Bible. Il ne veut plus penser que bibliquement. La Bible est son code, sa loi, son tout. Elle contient les normes de la vie publique et privée, les lois éternelles et immuables de toute croyance, de toute morale, de toute politique, de toute vérité. Ignorandum libenter quidquid in ea non docetur, ces mots de Calvin le traduisent merveilleusement bien.

Toutefois ce n’est pas là que se trouve l’originalité principale de Calvin. La Bible suffit et la Bible se suffit. Ces deux principes étaient admis par ses deux devanciers. Mais en dehors de ces deux axiomes fondamentaux, Calvin a découvert deux autres idées, par quoi son biblicisrne est quelque chose de nouveau et d’inédit.

En premier lieu, tandis que Luther et Zwingli tenaient pour accordé que l’Écriture est de droit divin, sans se demander par qui a été établi le canon des Écritures et de qui, par suite, l’Écriture tient son autorité en tenant sa canonicité, Calvin aborde résolument cette question épineuse. Pour Luther et Zwingli, l’Esprit-Saint n’est donné au croyant que pour interpréter l’Écriture. Pour Calvin, il fonde en outre, dans la foi du croyant, la canonicité des textes scripturaires. Pour Luther, la clé des Écritures est le dogme de la justification. Pour Calvin, il n’est pas question d’une clé de ce genre. Du moins, Calvin ne donne pas de précisions aussi limitées sur la nature des raisons qu’il a de croire que telle Écriture est canonique ou non. Mais il exclut en tout cas plus rigoureusement que Luther toute intervention de l’Église, même dans la détermination des Écritures canoniques. Il s’indigne à la seule pensée qu’une autorité humaine puisse intervenir en cette affaire et l’injure vient sous sa plume : « Quant à ce que ces canailles demandent d’où et comment nous serons persuadés que l’Écriture est procédée de Dieu, si nous n’avons refuge au décret de l’Église, c’est autant comme si aucun s’enquérait d’où nous apprendrons à discerner la clarté des ténèbres, le blanc du noir, le doux de l’amer. »

C’est qu’en effet, pour Calvin, « l’Écriture a de quoi se faire connaître, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible comme ont les choses blanches et noires de montrer leur couleur et les choses douces et amères de montrer leur saveur. »

Calvin connaît cependant le mot célèbre de saint Augustin : « Je ne croirais pas à l’Évangile, si je n’y

étais mû par l’autorité de l’Église catholique ». (Contra Epistolam Manichxi, § 6). Il le cite et se l’objecte à lui-même. Mais à quoi servirait-il d’être avocat, si l’on n’était pas capable d’amortir la force d’un texte de jurisprudence ? Calvin explique le mot de saint Augustin en disant que, sans doute, l’autorité de l’Église attire l’attention sur la sainte Écriture, mais que seule l’Écriture, par son caractère propre, par une vertu que Dieu lui communique, a le pouvoir d’engendrer la foi. Elle est donc érigée par Calvin à la hauteur d’un principe premier. Elle possède une évidence qui lui est propre. On ne peut pas la confondre avec un autre écrit. Il suffit de la lire pour faire la différence entre un livre sacré et un livre profane, à condition toutefois que l’on soit prédestiné. La canonicité et l’authenticité des saints Livres, selon Calvin, « se voit à l’œil ». Vous lisez Démosthène ou Cicéron, Platon ou Aristote. Vous êtes enchaîné, remué, ravi. Mais si vous passez de là à la Bible, le charme des auteurs profanes s’évanouit. Leur éloquence n’est plus rien. « C’est d’un autre ordre », eût dit Pascal. On perçoit donc directement l’origine divine des textes bibliques. Ils portent la trace de la main de Dieul De plus, chaque croyant reçoit directement, de l’Esprit-Saint, la certitude que les Écritures sont inspirées de Dieu. Institution chrétienne, édition française de 1562, t. I, c. vii-ix : Sur quoi se fonde l’autorité de l’Écriture. Calvin a donc été jusqu’au bout du biblicisrne. On ne pouvait pas aller plus loin dans cette voie.

Mais ce théologien-juriste a encore innové sur un autre point très important. Il ne se contente pas de voir dans l’Écriture la source du droit divin. Il veut y trouver le droit tout court. Pour Luther, l’Ancien Testament ne contenait que la Loi qui menace et effraie, tandis que l’Évangile nous apporte la Promesse qui console et apaise. Il s’ensuivait que la Loi n’était pas faite pour être observée, puisque précisément c’est notre impuissance à l’observer qui est à la base de notre foi en Jésus-Christ. Luther et Zwingli après lui étaient djuc tout disposés à abandonner la législation politique et sociale au pouvoir civil. Luther avait utilisé la Bible pour créer une religion adaptée à ses besoins d’âme et à son goût de l’ordre monarchique. Zwingli avait plié la Bible à la fondation d’une Église dominée par l’aristocratie bourgeoise et républicaine d’un ; ville libre. Mais Calvin prend les choses infiniment plus au sérieux. Ce juriste a la révérence des textes. Du moment que Dieu commande, il commande pour l’éternité. Les lois qu’il pose sont valables pour tous les pays et tous les temps. Ces lois sont la règle même de la cité. Calvin n’admet donc pas que le pouvoir civil puisse faire des lois, qui ne soient pas, d’une façon ou d’une autre, tirées de la Bible. Le seul régime q l’il admette, dans un pays, une ville, un empire, c’est la « Bibliocratie ». Il fera de Genève une « Ville-Église ». Il comprend la société sous forme de « couvent laïque ». Tout le puritanisme est en germe dans sa doctrine de la Bible. En 1535, quand il écrivait son Institution, il n’avait pas encore mis la main à la pâte. Il ne voyait dans l’Église que la société invisible des prédestinés. En 1539, dans une nouvelle édition de son livre, il a déjà évolué. Mais, en 1513, alors qu’il est revenu en vainqueur à Genève, il conçoit l’idée d’une Église, qu’il croit calquée sur l’Église primitive. Cette Église doit être la société même. Elle a ses lois propres. Loin de les recevoir de l’État, elle les lui impose. L’État doit obéir à la Bible, et par suite au théologien qui seul en fait est capable de la lire et de la bien comprendre, mais Calvin ne tire pas cette conséquence de fait.

Le biblicisrne a atteint de la sorte son apogée. Il n’ira jamais plus haut ni plus loin, même au temps des « Saints » de Cromwell.