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RÉFORME. LES CAUSES EN ACTION
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fical, faire voir sur un plan parallèle la croissance de l’État en face du relâchement intime de l’esprit de chrétienté. Il faut remonter pour cela à la grande lutte entre le Sacerdoce et l’Empire, indiquer le commencement des abus, dans la gestion administrative du Saint-Siège, dès le temps d’Innocent IV, signaler le tournant qu’indique le « souIUet » symbolique d’Anagni, retracer la « captivité babylonienne » de l’Église, en Avignon, décrire le Grand-Schisme et les ébranlements considérables qu’il provoqua dans la constitution catholique, la lutte entre le pape et le concile et enfin cette politique de magnificence, inaugurée dans une excellente intention par Nicolas V et poursuivie de la façon la plus fâcheuse par les papes de la Renaissance.

Q’est évidemment là une des causes les plus importantes et les plus actives de la révolution, d’autant plus que le développement en sens inverse de la politique particulière des États conduisit à ce fait capital : il n’y eut plus assez de numéraire en Europe pour financer deux politiques superposées, celle du Saint-Siège et celle des princes. On fut amené à sacrifier celle qui semblait la moins nécessaire. Ce n’est pas sans raison que l’occasion de la révolution fut une question d’argent : l’affaire des indulgences.

Mais la haine de la papauté n’aurait abouti, par elle-même, qu’à un schisme, si une nouvelle théologie n’était apparue et si, parallèlement à l’insurrection contre l’autorité du Saint-Siège, ne s’était révélée une doctrine opposée à la foi traditionnelle. Une révolution ne se fait pas sur une simple négation. La séparation de l’Église byzantine n’avait pas provoqué, au xie siècle, une scission dogmatique. A deux reprises, cette séparation avait failli être annulée par la réunion des Églises. Si Luther n’avait eu à proposer aux Allemands qu’une rupture avec Rome, il est à peu près sûr que cette rupture n’aurait été qu’un accident passager. Mais, à la différence de ses alliés d’un jour, les humanistes révolutionnaires, qui n’avaient contre Rome que les rancunes d’un nationalisme exaspéré et dont le paganisme élégant n’avait alors que peu de chance de se substituer à la religion traditionnelle, Luther n’était entré en rébellion ouverte avec la papauté que parce qu’il portait au cœur une théologie, ou pour mieux dire une mystique, une découverte, un secret, qui faisait désormais corps avec lui-même, qui tenait aux fibres les plus intimes de son âme et qu’il était résolu à défendre contre toute atteinte, avec une âpreté jalouse. Cette mystique, c’était le dogme de la justification par la foi seule.

Et cette mystique répondait si bien aux besoins d’une certaine partie de la société religieuse d’alors qu’elle allait devenir le centre de cristallisation de la résistance à Rome. Rechercher les antécédents de cette mystique, dire pourquoi elle eut tant de succès, expliquer les divers sens où elle fut prise et pourquoi elle devait plaire à la fois aux âmes les plus grossières, heureuses d’apprendre que les « œuvres » étaient inutiles, voire nuisibles, et aux âmes les plus scrupuleuses, toutes disposées à chercher l’assurance du salut uniquement dans l’infinie miséricorde du Christ, rappeler les conséquences que l’on pouvait tirer de cette mystique, soit contre la liturgie, soit contre le monachisme et la faveur que l’on devait rencontrer en attaquant celui-ci et celle-là, c’est ouvrir de nouvelles avenues vers l’intelligence du grand fait que l’on voulait éclaircir. On sera conduit de la sorte à étudier les diverses doctrines antérieures sur le péché originel, la justification et la prédestination, on s’arrêtera de préférence à l’école augustinienne et on introduira les courants mystiques antérieurs à Luther. On lui trouvera ainsi une parenté dans le passe et des précurseurs. Mais on n’arrivera pas à réduire sa doctrine purement et sim plement à ce qui n’en était que la préparation. Il y a eu un « coup de pouce » de sa part. La psychologie particulière de Luther entre ainsi en ligne de compte dans l’énumération des causes de la révolution. Nul ne s’étonnera que nous puissions conclure que « sans Luther il n’y aurait pas eu de luthéranisme ». Cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas eu de révolution. Mais elle n’aurait pas été la même. Elle aurait pris une autre direction qu’il nous est impossible de dessiner ou de prévoir. C’est en ce sens que l’étude des « causes » conduit nécessairement, en histoire, à la recherche des « responsables ». Les vraies causes sont des individus agissant sur des masses.

Seulement, pour que l’action de l’individu sur la masse soit profonde, il est toujours nécessaire que la puissante personnalité qui donne le branle touche à une fibre essentielle. Cette fibre, au xvie siècle, a été le culte de la Bible. La force de Luther, aux yeux de ses contemporains, ce fut qu’il eut l’air de s’effacer devant la Bible, de ne vouloir connaître qu’elle, de ne s’appuyer que sur la « Parole de Dieu ». La Bible fut le levier, dont il se servit pour soulever les peuples. Il faut donc, pour expliquer la révolution protestante, rendre compte de la prodigieuse autorité qui s’attache alors à la Bible. Il faut rappeler la lassitude causée dans les esprits par la roue scolastique tournant à vide, depuis l’ère des grands maîtres, l’élan causéparla Renaissance vers les « sources », la vogue des études bibliques, au temps où Luther commença d’enseigner. Mais il sera nécessaire, ici également, de faire la distinction entre le biblicisme de Luther et celui d’un Érasme, par exemple, tout comme on aura distingué antérieurement entre l’augustinisme de Luther et celui de ses précurseurs mystiques, Tauler ou l’auteur de la Théologie allemande.

Le biblicisme protestant s’explique par la décadence de la scolastique, par l’éclosion de l’humanisme religieux, par le renouveau des études bibliques dont Ximénès, Lefèvre d’Étaples et Érasme nous sont, à des titres divers, les témoins.

Mais le biblicisme protestant ne se borne pas à continuer le mouvement biblique antérieur. Il n’a rien d’objectif. Il n’utilise la Bible qu’au profit d’une thèse, préconçue. Il a donc reçu des circonstances une empreinte toute particulière et, en un sens, il est tout le contraire du biblicisme qui l’a précédé et dont il s’est servi. La chose est très visible chez un érasmien de marque tel que Zwingli, mais elle est également très facile à constater chez Luther ou Calvin.

Comment les causes entrèrent en action.

Si nous

n’avons pu indiquer que très sommairement les causes de la Révolution protestante et si nous avons dû nous borner à l’exposé de la méthode pour les découvrir et les analyser, il nous appartient toutefois de les montrer dans leur ébranlement, au moment capital, pour engendrer l’événement même. Le professeur Ernesto Buonaiuti a distingué avec assez de bonheur trois étapes, dans la genèse de la Réforme. Il les intitule successivement : le drame dans le cloître ; le drame dans la nation ; le drame dans l’Église. Nous pouvons très bien utiliser cette division, qui est simple, claire et frappante.

1. Il y eut en effet d’abord le drame dans le cloître, drame nullement nécessaire, c’est-à-dire nullement contenu d’une façon fatale dans les antécédents historiques, drame tout intérieur et n’ayant pour origine que les besoins impérieux d’une âme passionnée à la recherche de son équilibre, l’âme de Luther.

En ce sens, la cause la plus prochaine, la plus évidente et la plus profonde de la révolution luthérienne, ce fut Luther lui-même, Luther avec ses scrupules, ses troubles intimes, ses appels anxieux à tout ce qui pouvait le rassurer, le « consoler », en face du redou-