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RÉFORME. CAUSES, THÈSE HISTORIQUE


l’exécration de ses partisans l’institution même de la papauté. Ce premier caractère est le plus général et le plus frappant de tous. Il appartient sans conteste à toutes les fractions du protestantisme. Il établit entre elles toutes une parenté indiscutable. Elles peuvent différer par bien des traits, elles ne diffèrent pas sous ce rapport. La haine du pape et de la papauté est égale chez Luther, chez Zwingli, chez Calvin ou chez Cranîner et ses successeurs.

2. La Réforme a été en général étatiste et nationaliste. Ce second caractère est cependant moins marqué que le précédent. Il est propre aux grandes sectes qui ont voulu vivre et s’appuyer sur un pouvoir fort. Dans le luthéranisme, en particulier, il n’est apparu qu’en seconde ligne et comme un pis aller. De fait, cependant. qu’ils l’aient voulu ou non, tous les grands réformateurs ont fini par conférer au pouvoir civil, au prince. au conseil de ville, au bras séculier en un mot, une notable partie des pouvoirs qu’ils refusaient désormais au pape. Les sectes mineures, en se mettant en opposition avec l’État, se sont vouées à l’insuccès. Elles ont végété. Elles se sont réfugiées dans les parties souterraines des peuples. Elles ont été réduites à ce rôle de sectes dissidentes que les catholiques durent subir dans les régions où la Réforme triompha. Avec des nuances importantes, on doit donc dire que la révolution opérée par Luther, Zwingli, Calvin, Henri VIII surtout, profita à l’État et porta le caractère de l’étatisme.

3. Cette même révolution a été, en troisième lieu, mystique, en ce sens qu’elle a voulu ramener la religion à un sentiment irrationnel, individuel, mystérieux dans son origine et son action. Toutes les sectes protestantes ont en effet en commun le dogme de la justification par la foi seule. Sans doute, là aussi, il y a des nuances appréciables entre les grands réformateurs. Ils ne comprennent pas le principe de la foi justifiante de la même manière. Mais tous ils l’adoptent et s’en font gloire contre la foi catholique.

4. Un trait commun également à toutes les sectes est d’avoir été antimonasliques, car toutes elles ont réprouvé l’idéal monastique, toutes elles ont fait du pillage et de la suppression des couvents et du transfert de leurs biens à l’État ou à la collectivité laïque, l’un des premiers devoirs de la « Réforme ».

5. Toutes les sectes ont été de même antiliturgiques ; toutes elles ont bouleversé les rites anciens, lesont supprimés ou modifiés de la façon la plus radicale et la plus fantaisiste. Toutes notamment ont détruit chez elles le sacrifice de la messe, le culte des saints et des reliques, le sens profond des sacrements et des sacramentaux.

6. On n’hésitera pas davantage à reconnaître à toutes les sectes du protestantisme ce trait commun : elles ont été antiscolastiques, en ce sens qu’elles ont rejeté unanimement et en bloc l’œuvre des philosophes et des théologiens du Moyen Age. Elles ont alTecté de traiter toute cette œuvre comme si l’on ne devait y voir qu’un empiétement insolent de la raison humaine sur les institutions divines. Les scolastiques ont pris figure de profanateurs. On a rayé d’un trait tout l’effort de pensée de plusieurs siècles chrétiens. Un fossé a été creusé entre le Moyen Age et la Réforme.

7. Enfin, la révolution protestante a été biblique. Elle a professé pour la Bible un culte exclusif, intolérant, enthousiaste, comme d’autres temps l’ont fait ou voulu faire pour la Science. Elle a érigé la Bible en autorité suprême et lui a conféré, parmi les pouvoirs arrachés à la papauté, tous ceux qu’elle n’avait pas remis à l’État, notamment celui de juge suprême de la foi. Les sectes protestantes ont du reste brandi inlassablement la Bible les unes contre les autres. Jamais on ne s’est autant battu autour des textes. Jamais on n’a fait de la Bible un emploi plus intensif et aussi plus abusif.

Il semble bien que ces sept caractères suffisent à tracer la ressemblance parfaite, le visage vrai de la révolution protestante. Cependant, si l’on s’en tenait là, l’on n’aurait qu’une énumération passablement désordonnée. Il est nécessaire de reprendre ces traits, de les classer, d’établir, s’il se peut, entre eux, une hiérarchie.

De fait, si l’on soumet ces sept caractères à un examen approfondi, on voit bien vite qu’ils peuvent et doivent se réduire à trois principaux.

Par exemple que la réforme ait été à la fois antipapale et étatiste, ce ne sont, à vrai dire, que les deux aspects complémentaires du même fait. Le sentiment religieux ne peut échapper à l’emprise de l’État qu’en revêtant un caractère strictement privé, ce qui est contraire à sa nature éminement sociale, ou en prenant un caractère organisé, hiérarchisé, social en dehors et au-dessus de l’État, comme dans l’Église catholique. Le protestantisme, en renonçant à se mouvoir dans les cadres anciens, devait opter entre deux hypothèses : ou recourir à l’État, ou s’enfoncr dans le mystère des sectes illégales. Les grandes Églises « réformées » ont choisi le premier parti. Les petites sectes, composées en général d’illuministes, ont opté pour le second.

D’autre part, c’est la mystique particulière de la « Réforme » qui a déterminé la chute de l’idéal monastique et ouvert la porte aux convoitises des pouvoirs civils à l’égard de biens importants, constituant une main-morte considérable, que l’orientation économique nouvelle désirait secrètement remettre en circulation, ou que les princes voulaient utiliser pour secourir des finances trop souvent obérées par des besoins nouveaux.

Le caractère antimonastique de la Réforme est donc un caractère dérivé et secondaire. Les moines devaient disparaître, soit parce qu’on les considérait comme les suppôts du Siège romain, soit parce que leur vie était en contradiction avec le principe de la justification par la foi seule, sans les œuvres, soit parce que leurs propriétés étaient le point de mire d’ambitions d’ordre politique, financier et économique, suivant les cas.

On peut raisonner d’une façon analogue, en ce qui concerne la lutte contre la scolastique, ou contre l’antique liturgie. La scolastique avait établi sur des bases extrêmement fortes les dogmes traditionnels. Elle avait élevé très haut le pouvoir du pape. Elle avait consacré l’idéal monastique. Elle avait confirmé le culte de la messe et l’usage des sacrements. L’humanisme l’avait tournée en ridicule en raison de sa forme barbare. La Réforme la condamna pour le fond, et lui opposa la Bible. L’antiscolaslicisme des réformés est donc une sorte de conséquence de leur biblicisme, de leur antiromanisme et de leur mysticisme concernant la justification.

Nous avons opéré de la sorte une réduction importante : nationalisme étatiste, antimonachisme, antiscolasticisme, antiliturgisme sont pour nous désormais des traits dérivés et secondaires, encore qu’ils aient exercé une action très importante sur le développement des trois caractères que nous conservons comme fondamentaux et primitifs : la haine de la papauté, la mystique de la justification par la foi seule, le biblicisme intégral.

Il ne restera donc plus qu’à décrire la genèse de ces trois choses pour avoir donné l’explication la plus logique et la plus complète du grand fait de la « Réforme protestante >. Mais il sera indispensable de faire intervenir, à leur place et à leur rang, les facteurs dérivés indiqués plus haut.

La recherche des causes de la révolution du xvie siècle se réduit donc à une triple enquête II faut d’abord remonter à l’origine de la décadence du prestige ponti-