Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/306

Cette page n’a pas encore été corrigée
2025
2026
RÉFORME. CAUSES, THÈSE CATHOLIQUE


On comprend dès lors la gravité de la lutte religieuse qui remplit le xvie siècle. La révolte de Luther, de Zwingli, de Calvin, de Knox et de tous leurs partisans se donne comme une révolte des consciences, un appel à la liberté de Jésus-Christ contre l’oppression d’une Église tyrannique, dominée par l’Antéchrist.

Et pourtant l’ancienne Église continue. Elle résiste aux assauts des « novateurs », elle réfute leurs accusations, elle repousse leurs griefs, elle opère, elle, la véritable » Réforme », au moyen du concile de Trente. Elle retrouve force, jeunesse et prestige. La sainteté, la charité, l’apostolat évangélique en pays infidèle, ces grandes marques de la vie surnaturelle, refleurissent dans son sein avec un incomparable éclat. L’historien le plus prévenu ne peut plus dire que la suite de son histoire, après la « réforme protestante » n’est plus que la force d’inertie des abus que maintient la routine et qui reste inaccessible à la raison et à l'évidence même. Une Église qui produit, au xvie siècle, des personnalités aussi vigoureuses que Gaétan de Tienne, Angèle Merici, Ignace de Loyola, François-Xavier, Pierre Canisius, François de Borgia, Philippe de Néri, Thérèse d’Avila, Baronius, Bellarmin, et au siècle suivant, sans parler des saints, des génies tels que Pascal et Bossuet, ne peut pas être considérée comme une simple survivance d’un passé périmé.

A la thèse protestante, sur les causes de la « soidisant Réforme », s’opposera donc la thèse catholique. Quelle sera cette thèse ?

II. thèse catholique.

1° Pour les théologiens catholiques, il y a d’abord une chose bien certaine, c’est que la thèse protestante est radicalement fausse et complètement irrecevable. — A cette thèse, ils ont un triple reproche à faire ou, si l’on veut, ils découvrent chez ses auteurs une triple illusion :

Première illusion : de dire que l'Église pouvait errer, qu’il appartenait aux hommes de détruire l'œuvre du Christ, de faire oublier son message sur la terre et que ceux-là même qui en avaient reçu le dépôt fussent laissés libres par la Providence de trahir odieusement leur mandat. — A cela, les théologiens catholiques opposent les dogmes de l’infaillibilité et de l’indéfcctibilité de l'Église. Ils consacreront une bonne part de leurs efforts à démontrer que l'Église en droit ne peut errer, et qu’en fait elle n’a pas trahi le dépôt sacré qu’elle avait reçu du Christ.

Deuxième illusion : de s’imaginer qu’il appartenait à un homme ou à plusieurs hommes de retrouver la « Parole de Dieu », si réellement elle s'était perdue, et de la restituer dans sa pureté primitive, comme on retrouve un chef-d'œuvre littéraire enseveli dans la poudre d’une bibliothèque ou comme on restaure un édifice lézardé ou abandonné. Et les théologiens s’appliqueront, surtout au concile de Trente, à montrer que les doctrines des « novateurs » ne sont conformes ni au sens des Écritures ni aux interprétations autorisées des Pères.

Troisième illusion enfin : de croire que l’on allait arrêter la marche du temps et soustraire désormais le message du Christ, censé retrouvé et rendu aux hommes, à toutes les déformations, à toutes les superfétations, à toutes les aventures dont l’on osait affirmer qu’il avait souffert dans le passé. Ou bien Dieu a gardé la foi dans son Église avant Luther, ou bien rien ne prouve qu’il la gardera mieux après lui. Et il suffira pour réfuter les prétentions des réformateurs de les regarder se combattre, s’opposer les uns aux autres, invoquer le Saint-Esprit avec la même audace sacrilège pour des dogmes différents : ce sera le grand argument des Variations, qui apparaît non pas seulement avec Bossuet, mais dès les premiers jours de la « prétendue réforme », par exemple au concile de Sens, en 1528.

Toute l’apologétique catholique roulera sur l’un ou l’autre de ces trois points.

Il est très curieux de noter que, de part et d’autre, au fond, c'était toujours à l’argument des Variations que l’on avait coutume de recourir. Mais cet argument était compris en des sens différents d’un camp à l’autre. Les protestants reprochaient aux catholiques d’avoir quitté la doctrine du Christ, d’avoir constamment « varié » à travers les siècles, pour en venir au degré de décadence qui les avait contraints de procéder à leur « réforme ». Les catholiques répliquaient en leur reprochant de n'être pas d’accord entre eux, et de « varier » dans leurs prétendues restaurations du christianisme pur. De part et d’autre, une notion manquait, la notion d'évolution. Ce sera le travail de Newman de faire la distinction entre une variation qui est une évolution vitale et une variation qui est une évolution de corruption. Il apportera ainsi à Bossuet un appoint décisif et inattendu. Bossuet veut que le Credo de Pie IV soit le même que celui des apôtres. Et il a raison. Newman observe toutefois qu’entre le Credo de Pie IV et celui des apôtres, il y a, au moins en apparence, une distance considérable. Mais il observe aussi que tout ce que l’on pourrait objecter au Credo de Pie IV pourrait aussi bien être opposé aux 39 Articles, et davantage encore aux diverses confessions protestantes. Et cette remarque va loin, car elle explique les changements de position continuels du protestantisme, dans la suite de son histoire, à la recherche du christianisme pur. Au nom de quelle archéologie Luther avait-il donc fixé les traits de ce christianisme pur ? Quelle science du passé chrétien avait présidé à la confection des 39 Articles ou des diverses confessions calvinistes ? Quelle date avait-on pu assigner à la corruption initiale du dogme ? A mesure que la science catholique faisait voir la continuité de sa doctrine avec celle des siècles antérieurs, les protestants s’acharnaient à remonter plus haut encore, pour redire avec le même accent de triomphe : vous voyez bien que votre théologie est une invention humaine. Tel ou tel dogme n’apparaît pas avant le second siècle ou ne se trouve pas dans les écrits apostoliques, ou en tout cas ne vient pas de Jésus-Christ en personne, car entre les écrits apostoliques et la doctrine véritable du Christ, il reste un fossé que nul ne pourra jamais combler.

La controverse entre protestants et catholiques aboutissait donc logiquement à la poursuite de 1' « essence du christianisme », cette essence étant censée bien différente du dogme catholique. Le protestantisme moderne se piquait ainsi d'être fidèle à la pensée de Luther sinon à son enseignement littéral. Il se réservait pour lui-même « l’essence » et ne nous accordait que les « apports humains ».

Newman avait répondu d’avance. Sa thèse est qu’il ne faut pas croire qu’une doctrine est nécessairement plus pure en ses débuts. La lutte est indispensable pour l'éprouver. On ne sait ce qu’elle est et ce qu’elle vaut que si elle présente des signes de vitalité. Le temps est la grande épreuve des institutions. Un chêne de cent ans est davantage un chêne que le gland d’où il est sorti. Ce n’est pas en vain que Jésus a comparé sa doctrine au grain de sénevé. « Ici-bas, conclut Newman, vivre c’est changer et être parfait c’est avoir changé souvent. »

Seulement, entendons-nous bien, il y a deux sortes de développements : il y a l'évolution de la vie et l'évo lution de la mort. La première est celle qui se rencontre en tout être vivant, c’est l'évolution du germe qui devient arbrisseau ou plante, de l’enfant qui devient homme. Est-on plus purement un homme à trois ans qu'à trente ? La doctrine du Christ est-elle davantage elle-même au concile de Trente qu'à celui de Nicée ?