Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/305

Cette page n’a pas encore été corrigée
2023
2024
RÉFORME. CAUSES, THÈSE PROTESTANTE


foi en Christ elles appréhendent la grâce et la rémission des péchés et la justification. »

Nous avons souligné trois fois le mot essentiel de ce passage. Ce qui nous semble le plus contestable dans la doctrine de Luther : la justification par la foi sans les œuvres, c’est cela qui a séduit une âme aussi délicate et scrupuleuse que celle de Mélanchthon. Il a trouvé flans la doctrine de Luther la consolation. Ce mot reviendra comme un leit-motiv dans tous les écrits des réformateurs. Il nous conduit au centre même de l’esprit de la réforme au moins chez les meilleurs des réformés. Il y a eu à cette époque comme une sorte de « romantisme de la consolation ». Et, pour se bien persuader que la doctrine qui leur apportait cette « consolation » tant désirée venait bien du Christ, ils se sont acharnés à prendre l'Église traditionnelle, dont la théologie n’avait pas de place pour une pensée si chère à leurs cœurs, en faute sur le plus grand nombre de points possibles.

C’est pourquoi, lorque Mélanchthon, dans la seconde partie de la Confession d’Augsbourg, en vient à parler des « abus » de l'Église romaine, ce ne sont pas des abus au sens catholique qu’il signale, mais bien toujours des infidélités de l'Église envers le dogme ou le culte institué par Jésus-Christ : la communion sous une seule espèce, la messe érigée en sacrifice, la confession auriculaire, le célibat ecclésiastique, les vœux de religion, les jeûnes et abstinences imposés aux fidèles. En fait d’abus, Mélanchthon ne veut connaître que des abus de pouvoir. Mais les abus dont il parle ne sont pas ceux que les historiens ont ressassés avec une constance qui a fini par arracher à Michelet ce mot piquant : « Trois cents ans de plaisanteries sur le pape, les mœurs des moines, la gouvernante du curé : c’est de quoi lasser à la fini » Introduction à la Renaissance, § 12.

Les autres réformateurs.

Si de Luther et de

Mélanchthon nous passons aux autres « réformateurs », à Zwingli, Calvin, Farel, nous ne trouverons pas des idées différentes. Si Zwingli se sépare de Rome, ce n’est pas tant pour aboutir à la réforme des mœurs, dont sa vie privée ne témoigne pas qu’il ait eu un extrême souci, c’est pour obéir, il nous l’affirme, à la voix de sa conscience, pour restaurer la foi au nom des Écritures, pour éliminer toutes les surcharges, les superfétations abusives dont cette foi a été recouverte au cours de douze siècles d’histoire, depuis que la faveur de Constantin a fait de l'Église une puissance de ce monde.

Et lorsque le fougueux Guillaume Farel se ruait, le dimanche 19 février 1531, dans l'église de Dombresson, au Val-de-Rutz, ce qu’il reprochait au curé Gallon, ce n'était pas de mal vivre, mais de mal croire. S’il lui arrachait le missel d’entre les mains, ce n'était pas parce qu’il le reconnaissait et le proclamait indigne d’offrir les saints mystères, mais parce qu’il l’accusait de « renoncer pleinement la mort et passion de N’otreScigncur Jésus-Christ », en prétendant célébrer « un autre sacrifice que celui de la Croix ». Plaget, Documents inédits sur la Réformation dans le pays de S’ciifchdtel, 19(i<), p. 131.

Voyons-le encore, le 15 août 1539, à Boudevilliers, dans la seigneurie de Yallangin : « Comme il prêchait, nous raconte-t-on, le prêtre chantait aussi sa messe et le jeune homme, — Farel était âgé de Il ans, — voyant que le prêtre élevait son Dieu, ému de zèle, ne se put contenir qu’il ne l’arrachât d’entre ses mains et se tournant vers le peuple, dil : « Ce n’est pas ici le « Dieu qu’il vous faut adorer : il est là-haut au ciel, en « la majesté « lu Père, et non entre les mains des « prêtres, comme vous le pensez :  ! comme ils vous le « donnent à entendre… » Kidd, Documents illustrative of continental Reformation, Oxford, 1911, p. ixh.

Sans doute Calvin, dans la célèbre Lettre à François 1°, qui sert de préface à son Institution chrétienne y parle durement des prêtres, qui n’ont, dit-il, tous qu’un « même propos, ou de conserver leur règne ou leur ventre plein » ; sans doute il assimile les couvents à de mauvais lieux ; mais la pensée qui règne d’un bout à l’autre de son éloquente adjuration est bien que la foi évangélique était oubliée dans l’ancienne Église et que la Réforme a consisté à la faire revivre. "Voici comment il repousse le reproche que l’on fait à la doctrine des soi-disant réformateurs, à savoir d'être nouvelle : « Premièrement, en ce qu’ils l’appellent nouvelle, ils font moult grande injure à Dieu, duquel la sacrée parole ne méritait pas d'être notée de nouvclleté. Certes, je ne doute point que, touchant d’eux, elle ne leur soit nouvelle, auxquels et Christ même et son Évangile sont nouveaux. Mais celui qui sait que cette prédication de saint Paul est ancienne, c’est que JésusChrist est mort pour nos péchés et ressuscité pour notre justification, il ne trouvera rien de nouveau en nous. Ce qu’elle a été longtemps cachée et inconnue, . le crime en est à imputer à l’impiété des hommes. Maintenant quand elle nous est rendue par la bonté de Dieu, pour le moins elle devait être reçue en son autorité ancienne. »

Il n’y a donc pas de doute poui lui : l'Évangile a été obscurci, négligé, oublié. Le réformateur n’innove rien. Il restaure, il revient au pur Évangile, il retourne à l'école du Christ. Il ne répudie que les sacrilèges enseignements des hommes. Ce refrain revient à toutes les lignes de l’histoire primitive de la Réforme protestante. Partout on retrouve la même pensée : le démon a ravagé l'Église de Jésus-Christ et en grande partie détruit son œuvre. L’Antéchrist siège en personne sur le trône placé au centre de l'Église catholique.

Un dernier document va résumer tout cela pour nous : il émane des réformés français et date de 1559. Pour la première fois, ceux que bientôt l’on appellera les « huguenots » se sont réunis en un synode national à Paris. Ils y ont rédigé leur confession de foi (Confessio gallicana). Ils la font précéder d’une adresse au roi, qui est encore le très hostile Henri II, et ils expliquent leur position en ces termes : « Les articles de notre Foi, qui sont décrits assez au long en notre Confession, reviennent tous à ce point, que puisque Dieu nous a suffisamment déclaré par ses Prophètes et ses Apôtres, et même par la bouche de son Fils, NotrcSeigneur Jésus-Christ, nous devons cet honneur et révérence à la Parole de Dieu de n’y rien ajouter du nôtre, mais de nous conformer entièrement à la règle qui nous y est prescrite. Et parce que l'Église romaine, laissant l’usage et la coutume de la primitive Église, a introduit nouveaux commandements et nouvelles formes du service de Dieu : nous estimons très raisonnable de préférer les commandements de Dieu, qui est la vérité même, aux commandements des hommes, qui, de leur nature, sont enclins à mensonge et vanité. Et quoi que nos adversaires prétendent à rencontre de nous, si nous pouvons dire devant Dieu et les hommes que nous ne soutirons pour autre raison que pour maintenir Notre-Seigneur Jésus-Christ être notre seul Sauveur et Rédempteur et sa doctrine seule doctrine de vie et de salut… » Kidd, op. cit., p. C66. (La Confessio gallicana est datée du 26 mai 1559).

Voilà donc la thèse protestante établie pour des siècles : les causes de la Réforme, il ne faut pas les chercher en dehors de ceci : il était devenu nécessaire de « changer la foi de l'Église, corriger son culte, et renverser l’autorité du pape » (ce sont les expressions même de l 'historien protestant Basnage, dans son Histoire de l'Église, Rotterdam, 1699, t. XXV, p. 1470) afin de rétablir le christianisme corrompu par l'Église romaine, en sa pureté primitive.