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RÉDEMPTION. CONCLUSION THÉOLOGIQUE

salut, en cherchant, derrière les formules et même les idées antiques, le principe d’éternelle vérité qu’elles recouvrent. » Et de même plus loin, ibid., p. 154 :

« La connaissance de l’homme moral ne suggère-t-elle

pas une critique de l’idée de rédemption ? » Formules déjà menaçantes et dont les confidences de l’auteur ont éclairé depuis, Mémoires, t. ii, p. 327 et 620 ; t. iii, p. 301, le sens profond qu’elles recelaient à mots couverts.

Cette invitation qu’on ne peut même pas appeler discrète à une modernisation fallacieuse est nettement visée dans l’avant-dernière proposition du décret Lamentabili, Denzinger-Bannwart, n. 2064 : Processus scientiarum postulat ut reformentur conceptus doctrinæ christianæ de Deo, etc…, de redemptione. En la repoussant, l’Église manifestait l’assurance d’avoir, dans sa « doctrine « sur ce point, quelque chose d’absolument acquis.

On ne peut pas douter, en effet, que la religion chrétienne, en projetant une lumière plus aiguë sur le péché, n’en montre aussi le remède en la personne du Christ Sauveur. Et cela non seulement parce que celui-ci aide l’homme à s’en relever, mais parce que sa vie et sa mort ont devant Dieu un rôle décisif pour nous en assurer le pardon. Préparée par l’Ancien Testament, affirmée par Jésus lui-même, développée en traits multiples par saint Paul et les Apôtres, conservée par les Pères et progressivement analysée par les théologiens, cette idée fondamentale appartient à la croyance de l’Église avec une constance et une clarté qui défient toute contestation. Foi qui ne peut pas, dès lors, ne point participer à la valeur même du christianisme, tellement vivace qu’elle a pu longtemps subsister sans le rempart d’aucune définition, tellement essentielle que tout essai de ramener l’œuvre du Christ à l’ordre purement subjectif se caractérise par le fait comme une déviation et un appauvrissement.

Qui voudrait s’étonner que la rédemption ainsi entendue garde pour notre intelligence un aspect mystérieux ? Ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’il n’y ait place pour un exercice fructueux de la raison à son sujet.

Pour en rendre compte, l’Église catholique dispose d’une théologie, élaborée depuis le Moyen Age par ses plus grands docteurs sur la base de la réparation qu’offrent à la sainteté de Dieu méconnue par les pécheurs les hommages de son Fils incarné souffrant et mourant pour nous. En regard, les conceptions plus dramatiques auxquelles s’est alimentée l’orthodoxie protestante n’ont abouti qu’à des excès que tous ses défenseurs actuels s’accordent à rejeter comme intolérables et dont le déchaînement du subjectivisme fut la douloureuse compensation. Mieux équilibrée, la doctrine anselmienne de la satisfaction garde encore de quoi répondre aux exigences légitimes du croyant. Il n’est pour cela que de la bien comprendre et les maîtres de l’École sont toujours là pour en fournir les moyens à quiconque veut prendre la peine de s’en nourrir.

De cette foi comme de la théologie qui se propose de l’expliquer la clef de voûte est dans la personne du Christ. Le dogme de la rédemption, en effet, postule celui de l’incarnation, qu’il ne fait guère, en somme, que prolonger. Aussi bien, à mesure qu’elle hésite ou capitule sur le second, voit-on la Réforme gauchir également sur le premier. C’est, au contraire, parce qu’elle reste inébranlable sur la divinité du Rédempteur que l’Église catholique peut et veut conserver à son œuvre le sens total qui lui est attribué par la révélation.

Si le Christ est vraiment un Dieu fait homme, comment pourrait-il ne pas intéresser les conditions les plus essentielles de notre salut ? Maître et modèle sans nul doute, ne doit-il pas être encore foyer de grâce et principe de vie ? Unique révélateur des volontés et des promesses du Père, n’est-il pas normal qu’il soit le garant aussi bien que le messager de son pardon ? Et s’il est le Sauveur de par sa mission même, serait-il possible qu’il ne fût pas tout à fait ? Moins que tout le reste, le retour de l’amitié divine peut en être excepté.

Avec de telles prémisses, on est évidemment sur le chemin de la conclusion. Il suffit de « réaliser », à la lumière d’une tradition qui par saint Paul remonte à Jésus lui-même, ce que signifie dans le monde spirituel le sacrifice du Fils de Dieu, pour concevoir aussitôt, en attendant de le lire avec plus de précision sous les termes ecclésiastiques de satisfaction et de mérite, qu’il constitue, au profit de la famille humaine dont le Christ est le chef, un capital assez riche, non seulement pour couvrir amplement le montant de nos dettes, mais pour devenir la source inépuisable de tous les dons surnaturels qui nous sont départis et même, par anticipation, de tous ceux que l’humanité reçut de la bonté divine en prévision de son avènement.

Élevée sur ces hauteurs qu’illuminent les clartés de la foi, il est évident que la rédemption se classe au nombre de ces vérités qui s’adressent à « l’âme tout entière ». De grands esprits y appliquèrent leurs facultés intellectuelles sans l’épuiser : à leur suite le champ reste ouvert à la recherche pour ceux qui en ont la force et le goût. Mais il n’est surtout pas de croyant qui ne puisse et ne doive s’en pénétrer le cœur. En soi, tel que l’Église nous le présente, aucun mystère n’est mieux fait pour nous révéler in concreto les attributs de Dieu, dont il est comme la suprême expression, ou pour nous inculquer le double sentiment corrélatif de notre misère, et de notre grandeur. Leçon générale qui devient particulièrement saisissante quand, à l’exemple de l’Apôtre, Gal., ii, 20 et I Tim., i, 15, avec tous les mystiques et tous les saints, chacun s’en fait à lui-même, l’application et se met en état d’entendre la voix de Jésus lui murmurer au plus intime de son être comme à Pascal : « Je pensais à toi dans mon agonie ; j’ai versé telles gouttes de sang pour toi. » Pensées, petite éd. Brunschvicg, n. 553, p. 574.

N’est-ce pas un fait d’expérience que la croix reste le grand livre du chrétien ? Saint Paul concentrait en

« Jésus le Christ et le crucifié » l’unique savoir dont il

se déclarât fier. Alternativement, bien que sans jamais les séparer, l’âme croyante approvisionne sa vie à ces deux sources complémentaires, où elle recueille le bienfait pratique de sa foi au Fils de Dieu fait homme. Religiosiori pretiosior est Deus, notait finement saint Ambroise, Lib. de Joseph patr., 14, P. L., t. xiv (édition de 1866), col. 678, en parlant des deux natures dont se compose le Christ ; peccatori pretiosior est Redemptor.


IV. NOTES SUR L’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA QUESTION. — Très abondante, surtout parmi les protestants chez qui leur dogme capital de la justification par la foi développe un intérêt passionné pour tout ce qui touche à l’œuvre du Christ, la littérature consacrée a la doctrine de la rédemption est aussi, par surcroit, très difficile à classer, tellement l’inspiration en est variable et les genres d’ordinaire confondus. Sous le bénéfice de cette remarque préliminaire, on essaiera d’en grouper les principales productions d’après l’aspect dominant, sinon exclusif, de leurs tendances et de leur objet. — I. Sources. II. Études positives (col. 1993). III. Études systématiques (col. 2000).

I. Sources. — En plus des auteurs sacrés, tous les témoins de la tradition chrétienne, ancienne ou mo-