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RÉDEMPTION. CONVENANCE OU NECESSITE ?


a) Nécessité absolue ? — De ses prémisses relatives aux conditions rationnelles de la satisfaction saint Anselme concluait logiquement à la nécessité de l’incarnation pour notre salut.

Nondum considerasti, répliquait-il à Boson, quanti ponderis sit peccatum ; et il l’amenait à concéder que le pécheur est incapable de réparer le mal qu’il a commis, soit parce que déjà il doit à Dieu tout ce qu’il possède, soit parce que son péché participe à l’infinité même de celui qu’il atteint. Cur Deus homo, i, 20-21, P. L., t. CLVlll, col. 392-391. Étant donné pourtant que Dieu ne saurait renoncer ni à racheter les hommes, ni à réclamer de leur part une satisfaction intégrale, il s’ensuit qu’on doit chercher celle-ci en dehors de l’humanité. Voir ibid., Il, 6, col. 404… Non ergo potest hanc salisfaclioncm facere nisi Deus… ; sed nec facere illam de bel nisi homo… Ergo… necesse est ut eurn facial Deus homo.

Qui ne sait pourtant que l’incarnation est présentée dans l'Écriture comme le don de Dieu par excellence ? Cf. Joa., iii, 16 ; Eph., ii, 4-5 ; I Joa., iv, 10. A rencontre de cette donnée fondamentale aucun syllogisme ne saurait prévaloir. Qu’il n’y eût pas de moyen plus propre que l’incarnation à faire éclater la gloire de Dieu et à réaliser notre salut, tout le monde en convient ; mais rien ne permet d’aller plus loin.

La tradition de l'Église en la matière est fixée par la parole classique d’Augustin, De Trin., XIII, x, 13, P. L., t. xlii, col. 1024 : Non alium modum possibilem Dco defuisse… ; sed sanandie nostræ miseriie convenienliorem modum alium non fuisse. A son tour le Docteur angélique de se l’approprier, Sum. th., III a, q. i, a. 2, pour montrer longuement la convenance de l’incarnation par les divers bienfaits qu’elle nous procure, soit quantum ad promolioncm hominis in bonum, soit ad remolionem mali, non sans observer que son énuméralion n’a rien de limitatif : Sunt autem et alise plurimie ulilitates quæ conseculæ sunt supra apprehensioncm sensus humani. Développement à l’art. Incarnation, t. vii, col. 1463-1470.

Tant s’en faut, d’ailleurs, que la dialectique anselmienne soit sans réplique sur son propre terrain. On peut, en effet, concevoir que l’homme trouve dans sa vie religieuse et morale, sous la forme soit d’actes surérogatoires soit d’une intention nouvelle imprimée aux actes déjà dus, la matière d’une réparation au moins inadéquate, et il n’est aucunement établi que Dieu ne s’en puisse contenter.

b) Nécessité hypothétique ? — Tout au plus cst-il possible d’admettre, avec saint Thomas, Sum. th., IIl a, q. i, a. 2, ad 2um, que l’incarnation était nécessaire dans l’hypothèse où une réparation intégrale serait exigée du pécheur.

Soit la gravité propre du péché soit l’immensité de ses ravages semblent, en effet, requérir, pour que la satisfaction fût proportionnée au désordre, un acte d’une valeur infinie, tel que seul un Dieu fait homme pouvait le fournir : Aliqua satisfaclio potest dici… condigna per quamdam adœquationem ad recompensalionem culpæ commisse. El sic hominis puri satisfaclio sufficiens esse non potuit pro peccato, lum quia tota humana natura erat per peccatum corrupla…, tum eiiam quia peccatum contra Deum commissum quamdam infinilalem habet ex infinitate divinx majestatis. Solution théologiquement aussi fondée que favorable au sens religieux. Cf. [nomination, col. 1478-1482.

Encore s’agit-il là d’une thèse proprement thomiste, contestée sur toute la ligne par l'école de Scot, roi. 1951, et dont, par conséquent, l’incontestable crédit laisse toujours une porte ouverte à la discussion,

3. Problème de la passion.

On ne doit pas moins sauvegarder la liberté divine en ce qui concerne l'œuvre du Verbe incarné.

a) Nécessité ? — Presque inévitablement le système de l’expiation conduit à réclamer comme nécessaire la souffrance du Sauveur. Dès là qu’une peine était méritée par les pécheurs et que Dieu a voulu les en dispenser, on conclut qu’elle devait être acquittée par le Christ, et cela, pour que la justice fût complète, jusqu'à la mort inclusivement. Les textes scripturaires qui semblent parler d’un précepte de mourir imposé à Jésus ont paru corroborer ces inductions.

Telle est la position systématiquement adoptée par la plupart des protestants. Même chez nous, il n’est pas rare d’entendre invoquer, tout au moins modo oratorio, les exigences d’un ordre aux termes duquel, pour être efficacement conjuré, l’effet de la justice divine a dû être détourné avec toutes ses suites pénales sur la personne du médiateur.

Mais c’est un point de doctrine catholique à tenir que la mort du Christ n'était nullement nécessaire, en soi, pour nous racheter. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. th., III a, q. xlvi, a. 1-2. A cet égard, aucun précepte, quelle que soit l’interprétation qu’on préfère des textes qui paraissent l'énoncer, voir Jésus-Cihust, t. viii, col. 1297-l.ii) 1.>, n'était strictement requis du chef de la rédemption. D’après le dilemme anselmicn : aut satisfaclio aut pœna, l’oeuvre du Sauveur, au lieu d’en comporter l’acquittement, fut, au contraire, une compensation de la peine qui nous attendait.

Il faut en dire autant de la passion tout entière. En effet, selon saint Thomas, ibid., a. 5, ad 3um, secundum sufficientiam una minima passio Christi suffccissel ad redimendum ge.nus humanum ab omnibus peccalis. Principe que ses commentateurs étendent à « la moindre opération » du Fils de Dieu, « même celle qui n’exige aucune peine ». Éd. Ilugon, Le mystère de la rédemption, p. 99. Cf. L. Billot, De Verbo inc, 5e édit., p. 1<S2 : Verissimum est quod, attenta personw dignilate, minimum opus satisfaclorium sufficiebal ad compensanda peccala tolius mundi et ultra. De telle sorte qu’en définitive « Jésus pouvait nous sauver par un seul acte d’amour et de réparation ». J.-V. Bainvel, Nature et surnaturel, Paris, 1903, p. 270. Position classique s’il en fût, qui sunpose le rôle secondaire de l’expiation pénale, col. 1939, en même temps qu’elle sert à le mettre en relief.

b) Convenance. — Ainsi que tout le reste de l'économie rédemptrice, la passion et la mort du Christ ne peuvent se justifier que par des raisons de convenance. Elles sont, d’ailleurs, aussi variées que faciles à découvrir.

Généralement on pense tout d’abord à l’expiation du péché, qui est plus complète et plus saisissante, à n’en pas douter, quand elle comporte la douleur. Bien de plus juste, à condition de ne pas dépasser la mesure dans l’expression et de ne pas vouloir que cette raison soit la seule ou nécessairement la plus capitale. Mystiques et simples croyants ont toujours demandé cette leçon au « chemin de la croix ». Ils peuvent se réclamer de saint Thomas, qui, non content d’analyser en détail les souffrances du Christ, Sum. th.. II l a, q. xlvi, a. 5-8, les explique incidemment, ibid., q. xi.vn, a. 3, ad lum, par l’intention de faire apparaître cette Dei severitas qui peccatum sine pœna dimitkre noluil. Thème assez lonauement développé dans Opusc, i, 231 et ii, 7, Opéra omnia, édit. Vives, t. xxvii, p. 99-100 et 136138.

Il y a pareillement lieu de faire valoir, avec le Docteur angélique, Sum. th., Ill a, q. xi.vi, a. 6, ad (><iin, le surcroît de plénitude objective que cette préférence pour la voie douloureuse confère à l'œuvre rédemptrice jusque dans l’ordre humain : Non solum attendit Christus quantam virtutem dolor ejus haberet ex dtoinilale imita, sed etiam quantum (hlor ejus sufficerel secundum humanam naturam ad lanlam salisfac-