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REDEMPTION. CONVENANCE OU NECESSITE ?


d’un bout à l’autre sous le signe de l’obéissance, Phil., ii, 8, mais d’une obéissance qui, loin d’avoir rien de passif, signifie plutôt la correspondance héroïque à une vocation. En particulier, la croix qui en est le terme s’explique propter obœdientiam servandi justiliam, in qua lam fortiter perseveravil ut inde mortem incurrerel. Anselme, Cur Deus homo, i, 9, P. L., t.cLvm, col. 370 ; cf. ii, 19, col. 426. Malu.it mori quam lacère, qui i tune eral verilas dicenda Judeeis. Et sic morluus est propter justitiam. Scot, Opus Oxon., In IIIum Sent., dist. XX, q. unica, n. 10, édition de Lyon, t. vii, p. 430 ; cf. S. Thomas d’Aquin, .S’mn. //i., 111°, q. XLVii, a. 3. Ainsi faut-il comprendre où vont les complaisances du Père devant le suprême sacrifice de son Fils : Non mors, sed Doluntas placuit sponte morientis. S. Bernard, Cont. err. Abse ardi, viii, 21, P. L., t. clxxxii, col. 1070.

Entre la mission de Jésus considérée sous cet aspect et le problème de la rédemption le rapport n’est-il pas obvie autant qu’adéquat ? S’il porte la peine de nos péchés par ses souffrances, non moins certainement il en répare la coulpe, en opposant à notre mépris du souverain Maître un amour et une soumission poussés jusqu’au plus total oubli de soi. Que faut-il de plus, quand il s’agit du propre Fils de Dieu, pour que la faute humaine, quelle qu’en soit la gravité, ait enfin trouvé son contrepoids ? Voir Thomas d’Aquin, Sum. th., 1 1 1°, q. xlviii, a. 2 ; Scot, Opus Oxon. : In /yum Sent., dist. II, q. i, n. 7, édition de Lyon, t. viii, p. 138139.

D’autant que les actes du Rédempteur, au lieu d’avoir seulement une portée individuelle, sont en principe, en attendant de le devenir en fait, le bien commun de l’humanité dont il est constitué la tête. Éminemment personnel, l’hommage réparateur qui s’achève au Calvaire emprunte à la fonction représentative de celui qui l’offre un sens collectif.

Cette valeur de compensation, par où l'œuvre du Christ répond au désordre le plus visible du péché, doit, au demeurant, se compléter par sa puissance positive de restauration, qui rend l’humanité capable de fructifier désormais dans l’ordre surnaturel. Faute d’en venir là, on ne verrait pas assez comment l’action du premier Adam trouve sa contre-partie dans celle du second. Dès là que l'Église catholique n’a jamais consenti à priver la rédemption de ce dernier couronnement, on voit quel avantage en résulte pour la doctrine de la réparation, élaborée par ses meilleurs théologiens, sur les bases de l’enseignement de saint Paul, aux fins d’en rendre compte. Et il est à peine besoin de dire que la piété, pour peu qu’elle ne redoute pas l’air des cimes, peut à son tour y trouver le plus substantiel aliment.

Que d’ailleurs les simples données de la foi, où ces divers éléments sont à peu près confondus, suffisent à la plupart des croyants, rien de moins douteux. Mais tout théologien conscient de sa tâche doit reconnaître que, de fait, sous la forme d’indices quand ce n’est pas de théories arrêtées, divers systèmes d’interprétation : châtiment, expiation d’ordre pénal, réparation d’ordre moral et religieux sont en présence et que, de droit, la décision dernière des problèmes posés par le dogme de la rédemption en dépend. C’est, en effet, par là, et par là seulement, que les catégories traditionnelles de rançon et de sacrifice, de mérite et de satisfaction, déjà vérifiées en gros, col. 1906, arrivent à prendre un sens précis. Voir L. Richard, op. cit., p. 205-210. Il n’y aurait pas de pire défaillance que de ne pas savoir en convenir, sauf à vouloir imposer ensuite des solutions qu’il faudrait auparavant justifier ou à chercher un refuge en des lieux communs qui ne dispensent de prendre parti qu’en éludant la question.


V. Synthèse de la rédemption : Raison de l'économie rédemptrice. —

Sa foi même en la révélation divine invite le chrétien à y voir un ordre dont il ne lui est pas interdit de percer le mystère. Avec le comment de la rédemption, à mesure surtout que l'économie en est plus riche, la spéculation théologique en a donc également abordé le pourquoi. Travail plus ou moins esquissé dès l'époque patristique, col. 1937, mais qui allait surtout devenir intense dans l'École depuis l’impulsion décisive que lui avait imprimée la puissante dialectique du Cur Deus homo. Voir 15. Dôrholt, op. cit., p. 171-301.

Deux tendances extrêmes se manifestent, à cet égard, dans la pensée chrétienne : celle des dialecticiens qui prétendent tout démontrer et celle des agnostiques pour qui tout serait pareillement impénétrable. Kntrc les deux s’ouvre une via média dans laquelle, renonçant à soumettre le plan du salut à la loi d’une stricte nécessité, on y cherche et on y trouve tout au moins de hautes convenances accessibles à notre raison de croyants.

1° Initiative du plan divin : Le décret primitif de rédemption. — A l’origine de l'économie rédemptrice il faut mettre le décret porté par Dieu de relever le genre humain après le désastre de la chute. La théologie n’a pas cru que ce fût excéder ses moyens ou manquer de respect à la mystérieuse transcendance des voies divines que d’en explorer le caractère initial.

1. Thèse de la nécessité.

Indépendamment de l’optimisme absolu, qui voudrait que toutes les actions de Dieu fussent commandées par la poursuite du plus parfait, quelques théologiens de marque ont pensé que la rédemption des pécheurs lui serait imposée comme une sorte d’obligation plus ou moins stricte par ses propres attributs.

Omnis disposilio salutis quæ circa homincm fuit, écrivait déjà saint [renée, Cont. hxr., III, xxiii, 1, P. G., t. vii, col. 960, secundurn placilwn fichai Palris uli non vinceretur Deus [a serpente] neque infirmarctur ars cjus. Principe d’où saint Athanase dégageait une loi supérieure de sagesse. « Il était inconvenant que des créatures douées de raison et admises à la participation du Verbe périssent et, par la corruption, retombassent dans le néant. Car il n'était pas digne de Dieu que ses œuvres fussent détruites par la fraude du démon… A quoi bon leur donner l'être au commencement ?… S’il n’avait pas créé l’homme, personne ne songerait à l’accuser de faiblesse ; du moment qu’il l’a fait et créé pour être, il serait tout à fait absurde qu’il pût périr, et plus encore sous les yeux de son auteur… C’est chose indécente et indigne de l’excellence de Dieu. » De inc. Verbi, 6, P. G., t. xxv, col. 108. Cf. ibid., 13, col. 117-120.

Devant le même problème saint Anselme invoque l’immutabilité de la providence divine, qui lui interdirait de consentir à l'échec de ses plans. Voir Cur Deus homo, ii, 4-5, P. L., t. clviiii, col. 402-403 : Aul hoc de humana natura perficiel Deus quod incœpit aul in vanum frc.it tarn subliment raturam ad tantum bonum. Al… valde alienum est ab eo ut ullam rationalem naturam penitus prrirr sinat… Non enim illum latuit quid homo faclurus eral cum illum fecil et lamrn bonilalr sua illum creando sponte se ut perficeret incœptum bonum quasi obligavlt….Wccs.se est [ergo ] ut bonitas Dei, propter immutabilitatrm suam, pcrficial de homine quod incœpit, quamvis tolum sil (jralia bonum quod far.it.

2. Critique.

A cette dialectique s’oppose le sentiment chrétien élémentaire, d’après lequel notre rédemption doit être considérée, non pas seulement comme un effet de cette essentielle bonitas qui caractérise ontologiquement l'Être divin, mais encore comme un acte absolument gratuit de miséricorde et d’amour.