Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/280

Cette page n’a pas encore été corrigée
1973
197
REDEMPTION. SON ESSENCE : DISCUSSION DES SYSTÈMES

^

ment » la peine de nos péchés et autre de prétendre leur en attribuer pour ce motif le caractère formel. Conclure à ceci de cela serait un passage flagrant de génère ad genus.

Il n’est pas plus concevable que le Christ puisse être puni, même à titre de substitut. Car faute personnelle et châtiment sont deux concepts strictement corrélatifs. Si loquamur, enseigne saint Thomas, Sum. th., la-Il* 6, q. lxxxvii, a. 8, de pœna pro peccalo inflicla in quantum habet rationem pœnæ, sic solum unusquisque pro peccalo suo punitur. Outre que les textes pauliniens allégués à ce propos comportent une exégèse moins rigide, cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, 10e éd., p. 294-298, ils ne doivent pas être isolés de tant d’autres, voir col. 1931, qui servent à mettre au point ce qu’ils offrent d’un peu abrupt. Quant à parler d’une « ombre de châtiment », qu’est-ce autre chose qu’une manière de sauver à tout prix un mot qu’on vide en même temps de son contenu ?

Rien en particulier n’est choquant pour le sens chrétien comme de vouloir que le Christ ait subi la peine du dam sous prétexte de nous en délivrer. Cette odieuse conséquence du postulat protestant fut dénoncée aux fins de censure par deux consulteurs du concile de Trente, cf. Bulletin de lill. eccl., 1925, p. 275-278, et les plus illustres parmi les maîtres de l’époque la flétrirent au moins d’énergiques réprobations. Voir Maldonat, In Mallh., xxvii, 46 ; Bellarmin, De Christo, iv, 8 ; Suarez, De vila Christi, disp. XXXIII, sect. i, 1-13 ; saint François de Sales, L’eslendart de la saincle croix, avant-propos, ni, 2 et, au cours de l’ouvrage, i, 8.

Seul un insigne parti pris permet à J. Tunnel, Histoire des dogmes, t. i, p. 457-458, de confondre la doctrine catholique, sur la foi de quelques orateurs au langage intempestif, avec un système par elle si catégoriquement désavoué.

2. Système de l’expiation.

Conçu comme une atténuation du précédent afin d’en éviter les trop visibles excès, le système de l’expiation échappe, de ce chef, à ses défauts les plus criants. L’incontestable part de vérité qu’il exploite, voir col. 1967-8, et sa tournure en apparence plus mystique sont, à n’en pas douter, faites pour lui assurer un durable crédit. Mais, aussitôt qu’il prétend se donner comme total, et il le doit sous peine de perdre son individualité, les avantages qu’il a l’air d’offrir ne sauraient en masquer l’insuffisance au regard d’un théologien attentif. Voir, par exemple, P. Galtier, De inc. ac red., p. 399-400.

Un inconvénient majeur tient à la base même sur laquelle il s’établit. C’est que la souffrance du Christ y devient l’objectif primaire et direct, sinon la fin suprême, du plan divin, alors que, même incorporée dans l’économie rédemptrice, elle ne cesse pas d’être un mal dont on peut tout au plus admettre qu’il soit permis par Dieu. Non tradidit Pater Filium ], observe saint Bonaventure, In IIIum Sent., dist. XX, q. v, édition de Quaracehi, t. iii, p. 427, infligendo mortem vel prsecipiendo, sed permitlendo. Cf. Suarez, De vila Christi, dis. XXXIII, sect. i, 4 ; In Sum. th. corn., III a, q. xlvi, a. 10 et q. xlvii, a. 3 ; Bellarmin, De septem ver bis, ii, 1.

Souvent on croit la difficulté résolue quand on remplace l’antique schème juridique de l’imputation par le concept moderne de solidarité. Mais encore faudrait-il prendre garde à l’équivoque d’un terme qui peut ne signifier qu’un fait de l’ordre naturel. Aussi bien n’en est-il pas de plus familier au vocabulaire du protestantisme libéral pour expliquer les souffrances de Jésus. Voir A. Sabatier, La doctrine de l’expiation, p. 85-87 et 110-1 12. Que si la notion de solidarité s’entend dans l’ordre surnaturel, le problème n’est que reculé. Car il reste à dire si l’expiation douloureuse qui par là devient le lot du Christ est un moyen ou

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

une fin, s’il faut la concevoir comme le terme des voies divines, au risque de voir à nouveau surgir tous les obstacles qu’il s’agissait d’écaiter, ou comme l’occasion providentielle d’un bien supérieur.

En second lieu, le système en question s’arrête à la peine du péché, c’est-à-dire, en somme, à l’un de ses effets, sans égard au realus culpæ qui en est le fond. Lacune des plus graves au regard de ce que demande la doctrine chrétienne de Dieu, de l’homme et de leurs mutuels rapports, col. 1958 sq. Ainsi comprise, la rédemption tournerait court devant son but principal ; car, si la peine châtie le péché, à vrai dire elle ne le répare pas. Il est classique, dans l’École, de distinguer les deux concepts de salis/actio et de satispassio : on peut juger par là d’une doctrine qui commence, au contraire, par en décréter ou supposer acquise l’identification.

A quoi il faut bien ajouter que cette conception, bien qu’elle en soit théoriquement distincte, a toujours, en pratique, une sorte d’affinité congénitale par rapport à celle du châtiment. Ce qui l’expose — et l’expérience atteste que le danger n’est rien moins que chimérique — à ramener « ces conséquences absurdes », dont parle F. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, 10e édition, p. 236, qui « ont jeté sur la théorie de la substitution pénale un discrédit dont elle n’est pas près de triompher ».

Si donc le fait de l’expiation est à retenir, il n’est pas moins sûr que le système de l’expiation doit être dépassé. Juste dans ce qu’il affirme, il partage avec toutes les synthèses mal venues le sort d’être inadéquat en raison de ce qu’il exclut ou laisse trop au second rang.

3. Système de la réparation.

A cette double élimination comment le système de la réparation pourrait-il ne pas gagner déjà le bénéfice d’une certaine probabilité ? Conclusion qui s’élève au niveau de la certitude quand on observe qu’il est promu par un arbitre circonspect, P. Galtier, De inc. ac red., p. 401 et 4(13, au rang de doclrina communis.

Pris en lui-même, il laisse à l’œuvre du Christ son équilibre normal. L’élément pénal de la passion y trouve, en effet, sa place, mais reste subordonné, comme il convient, à l’élément moral qui lui donne sa valeur. A ce caractère synthétique le système de la réparation doit de pouvoir assimiler tout ce que les autres ont de viable, en même temps que le fait de s’ordonner par principe autour de l’essentiel le met à l’abri de leurs défauts.

De ce chef, au lieu de rester à l’état de thème abstrait, l’expiation réalisée par le Sauveur s’éclaire par les indications les plus concrètes de la psychologie et de l’histoire, qui, sans rien lui ôter de son mystère, permettent de la rattacher à un plan digne de Dieu. Cf. L. Richard, Le dogme de la réden pi ion, p. 189-2(10. Tout le drame de la carrière de Jésus tient au caractère spirituel de son messianisme, qui devait faire de lui un « signe de contradiction ». Luc, ii, 34. Contre cette admirable création de la sagesse divine allaient, en effet, se dresser toutes les puissances de la chair et du sang, mais sans jamais ébranler ce ferme propos de « faire la volonté de Dieu », Hebr., x, 5-9, qui fut son programme initial. D’où ces épreuves et tribulations de toutes sortes, qui n’étaient, au fond, que les produits variés de la malice humaine déchaînée sur l’Innocent, et qu’il acceptait avec amour sans laisser d’en souffrir, au dedans comme au dehors, d’autant plus qu’il l’avait moins mérité. Mal sans aucun doute, mais qu’un Dieu sage a pu permettre en raison du bien qui en résultait. Voir Suarez, In Sum. Iheol., IIl a, q. xlvi, a. 10, n. 1, Opéra omnia, édit. Vives, t. xix, p. 572 ; Billot, De Verbo inc, 5e éd., p. 491.

Ainsi la carrière douloureuse du Christ se déroule

T. — XIII — 63.