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RÉDEMPTION. JUSTIFICATION DU MYSTÈRE


sage per modiun unius, sauf à respecter la proportion naturelle de ses divers moments : sic tamen ut mors crucis habeatur lamquam principale.

2. Son rôle. — Il s’ensuit que le Christ peut tout d’abord être considéré secundum quod est quidam singularis homo, ainsi que s’exprime saint Thomas, Sum. th., Illa, q. vu. A cet égard, il est le type idéal de l’être humain. « Semblable à nous en toutes choses », Hebr., ii, 17, l’épreuve y comprise, « sauf le péché », ibid., iv, 15, il est « le Fils bien-aimé » en qui le Père « met toutes ses complaisances », Matth., xvii, 5 ; II Petr., i, 17, celui qui le connaît comme il veut être connu et le sert comme il doit être servi. Matth., xi, 27 ; Joa., xiv, 10 et 24 ; xvii, 4-7.

A ce rôle personnel s’ajoute un mandat pour ainsi dire social, qui fait de lui, suivant la formule parallèle de saint Thomas, Sum. th., III*, q. viii, caput Ecclesise. Ce qui ne s’entend pas seulement d’une influence mystique sur l’âme de ses fidèles, Joa., xv, 1-5 ; Eph., ii, 20-22 ; v, 30 ; I Petr., ii, 4-6 et 9-10, mais d’une fonction représentative qui l’établit, à l’instar et à l’inverse du premier père, Rom., v, 12-21, chef moral du genre humain. Col., i, 12-18.

Tel est le cadre dans lequel la théologie catholique de la rédemption vient s’insérer et qu’il est, par suite, nécessaire d’avoir sous les yeux pour se la représenter exactement.


II. Réalité de la rédemption. —

Avant de s’enquérir du mode, en cette matière comme en toute autre, c’est d’abord la réalité du fait qu’il faut commencer par mettre in tuto. Opération d’autant plus nécessaire ici et, à première vue, semble-t-il, d’autant plus facile qu’il s’agit d’un dogme qui nous touche de plus près.

1° Preuve rationnelle ? — Vérité de foi pour tous les croyants, la rédemption est une de celles qu’on a le plus souvent cru pouvoir annexer au domaine de la raison/ Diverses voies ont été suivies à cette fin, mais qui ne peuvent aboutir au terme souhaité.

1. Méthode spéculative.

Inaugurée par saint Anselme, la preuve par la dialectique abstraite a longtemps retenu la prédilection des spéculatifs.

Elle consiste à raisonner sur les exigences de l’être divin. Dieu ne pourrait pas, sous peine de compromettre son honneur, s’abstenir de racheter le genre humain après sa déchéance, ni le faire sans obtenir d’abord une satisfaction adéquate au péché. Or cette réparation serait telle que seul un Homme-Dieu peut la fournir. Au nom de la logique, l’incarnation serait donc une véritable nécessité. D’après l’orthodoxie protestante, les lois inviolables de la justice divine en ce qui concerne la sanction du péché autoriseraient un semblable argument.

Mais le syllogisme anselmien est loin de s’imposer. Tous les théologiens catholiques sont d’accord pour n’accepter la majeure qu’au prix de bien des atténuations ; car il n’est pas établi, voir plus bas, col. 1976, que Dieu dût nous sauver et pas davantage qu’il ne pût se contenter d’une satisfaction imparfaite. A quelques-uns la mineure elle-même, voir col. 1951, a semblé passible de sérieuses objections. Dès lors qu’elle n’est pas rigoureuse, la preuve dialectique n’existe plus.

Sur le terrain de la justice vindicative, l’argumentation défaille tout autant. Qui voudrait tenir pour certain que le châtiment du pécheur soit encore néces-’saire après son repentir ou qu’il puisse être infligé à un autre qu’à lui ?

2. Méthode psychologique.

A cette métap îysique les protestants modernes substituent la psychologie religieuse, qui tend à devenir leur unique ou du moins leur principale règle de foi.

Un double fait, à leur dire, serait constant. C’est d’abord que le poids du péché écrase toute conscience

d’homme ici-bas, qui se voit aussi tenu de le réparer qu’impuissant à y réussir. Et c’est ensuite qu’elle s’en trouve soulagée grâce au christianisme et spécialement au mystère de la croix. On aurait ainsi la preuve directe et la contre-épreuve, de telle sorte que la rédemption pourrait être doublement constatée : sous forme de réalité quand elle est accomplie, sous forme de besoin douloureux quand elle fait défaut.

Pour nobles et pieuses que puissent être ces considérations, elles ne laissent pas de présenter les faiblesses propres à toute méthode d’immanence. Et d’abord cette psychologie n’exploite visiblement que les impressions d’âmes déjà christianisées : ce qui met une pétition de principe à la base d’un raisonnement qui, pour avoir quelque valeur probante, devrait être purement expérimental. Comment se dissimuler, au demeurant, qu’il reste, dans ses plus fines analyses, trop d’intervalle entre les prémisses et la conclusion ? Tout au plus peut-il y avoir là des matériaux pour servir à la confirmation du dogme une fois qu’il est admis par ailleurs.

3. Méthode historique.

Cette expérience individuelle a reçu et reçoit encore habituellement le renfort de l’histoire, qui fournirait, avec le rite des sacrifices, un témoignage d’ordre collectif. Vulgarisée chez nous par J. de Maistre, Éclaircissement sur les sacrifices, imprimé d’ordinaire on appendice aux Soirées de Saint-Pétersbourg, et par l’école traditionaliste, voir A. Nicolas, Études philosophiques sur le christianisme, 2e éd., t. ii, p. 50-84, cette méthode n’est pas moins chère aux auteurs protestants.

Dans la mesure même où elle est de caractère moins rationnel, la pratique des immolations sanglantes a paru dénoter un besoin mystérieux d’expiation, où il faudrait voir une prophétie en acte, obscure mais universelle, de l’oblation du Christ. Surtout lorsqu’on tient compte de certaines circonstances, telles que le choix de la victime et la manière de l’offrir, où se manifeste une idée révélatrice de substitution. D’autant qu’on voit les sacrifices durer et se multiplier partout dans le monde antique jusqu’à la mort du Sauveur, qui, au contraire, en marque la complète élimination.

Quel qu’en soit l’intérêt pour la psychologie religieuse, voir col. 1923, le sacrifice ne doit pourtant pas être abusivement stylisé. Avec des conceptions très hautes, n’en a-t-il pas abrité aussi de bien grossières, celle notamment de pourvoir aux nécessités alimentaires des dieux ? Vouloir en ramener tout le sens à une recherche obstinée de l’expiation serait non moins excessif que de prétendre ne l’y trouver jamais. La substitution saoulante de la victime aux coupables est un autre de ces postulats que l’expérience est loin de justifier. Quant à la disparition des sacrifices dans notre civilisation moderne, elle est tout simplement, sans autre mystère, un cas particulier de la victoire du christianisme sur le paganisme gréco-romain.

Au lieu d’une constatation positive dont tout observai eur pourrait s’emparer, cette philosophie du sacrifice n’est qu’une adaptation construite après coup par des croyants. Pas plus que l’analyse psychologique, l’induction historique ne réussit donc à fonder rationnellement le fait de la rédemption et, au fond, pour les mêmes motifs.

Apologétique du mystère.

Là où des apologistes

confiants croient trouver comme une des données immédiates de la conscience religieuse, philosophes et théologiens rationalistes ne voudraient, au contraire, voir que la plus inacceptable des conceptions. D’où une nuée qui perpétuellement se reforme d’objections à dissiper.

Il ne saurait être question de discuter les prétentions à 1’ « autosotérie », dirigées contre 1’ « hétéroso-