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REDEMPTION. SAINT THOMAS


Telle est aussi la position de saint Bonaventure, chez lequel il n’est pas jusqu’au libellé même des questions à résoudre qui ne place le problème sur le terrain du conyruum. La « nécessité » de notre rédemption n’est plus, comme chez Alexandre, que l’immutabilité des desseins de Dieu. Si la réparation du péché, au double titre de son extension et de sa gravité, reste au-dessus de nos moyens et requiert la personne de l’Homme-Dieu, c’est uniquement d’un point de vue spéculatif. Car l’homme pouvait offrir une satisfactio semi-plena et rien n’empêchait que Dieu pût s’en contenter. In IIlum Sent., dist. XV1II-XX, édition de Quaracchi, t. ili, p. 380-434. Voir R. Guardini, Die Lehre des ht. Bonavenlura von der Erlôsung, p. 28-47 et 72-118.

2. École dominicaine.

Simultanément les maîtres dominicains s’adonnaient au même travail d'élaboration.

Dispersée au cours de son explication des Sentences, la sotériologie d’Albert le Grand procède d’une même attitude à l'égard du système anselmien. On peut juger de sa méthode par cette déclaration occasionnelle sur la nature humaine du Sauveur, In II lum Sent., dist. XII, a. 2 et 3, dans Opéra omnia, édit. Vives, t. xxviii, p. 226-227 : …Deo nihil est impossibile ; sed, quantum est de congruitale naturæ et satisfaclionis, non debuit Christus aliunde queun de Adcun accipere… Non debuit, id est non fuit congruum. Chaque fois que se posent des questions similaires, elles reçoivent une semblable solution. Voir ibid., dist. XV, a. 1 ; dist. XVI, a. 1. La « nécessité » de l'économie actuelle du salut se ramène à une convenance et ne peut se défendre au sens fort que dans l’hypothèse d’une redemptio qui ne serait pas une simple liberulio. Dist. XX, a. 1-3.

A saint Thomas d’Aquin J. Turmel, Histoire des dogmes, t. i, p. 440, imagine de prêter une évolution, suivant laquelle il aurait « commencé par prendre pour maître » Abélard et ne se serait tourné vers Anselme * qu’en second lieu ». Cette dernière position est celle de la Somme lliéologique, tandis que la première s’accuserait encore dans la Somme contre les Gentils, IV, 54. Hypothèse fantaisiste autant que tendancieuse, que ruine la parfaite identité doctrinale du Commentaire des Sentences (avant 1255-1256) et de la Somme théologique : les divergences que peut présenter la Somme contre les Gentils écrite entre les deux (1258-1260), et qui sont d’ailleurs de pure forme, tiennent à son but apologétique spécial.

De ces différentes sources ressort, au contraire, une doctrine constante, encore que peu systématique, dont l'œuvre anselmienne discrètement amendée fournit tous les matériaux. Il faut d’ailleurs compléter l’un par l’autre ces divers traités pour en reconstituer intégralement la teneur.

Congruenlissimum fuit humanam naturam ex </iii> lapsa fuit reparari, lit-on dans7n//7um S enL, dist. XX, q. i, a. 1, sol. 1. En vue de cette fin, la Somme théologique enseigne, IIl a, q. i, a. 2, que l’incarnation était le moyen le mieux approprié ; c’est seulement dans le cas d’une satisfactio condigna qu’elle deviendrait hypothétiquement nécessaire, en raison soit de la malice propre au péché : quan.dam infinilalem habcl ex inftnilate divinæ irajestalis, soit de l'étendue de ses ravages sur l’humanité. A son tour, la passion du Christ, ibid., q. xlvi, a. 1-3, ne peut être dite nécessaire si ce n’est ex supposilione : en elle-même, elle est simplement convenable, en raison des multiples bienfaits qu’elle nous procure, et Dieu pouvait toujours se dispenser d’une satisfaction salva justitia. Ce qui revient à rabattre sur le plan de la convenance toutes les thèses du Cur Deus homo.

L’exposé de l'œuvre rédemptrice est ensuite, dis tribué par le Docteur angélique, non sans quelques hors-d'œuvre, sous les chefs suivants : psychologie de la passion, q. xlvi, a. 5-8 ; étude de ses causes, q. xlvii, a. 1-3 ; analyse de son action, q. xlviii, a. 1-5, « par manière » de mérite, de satisfaction, de sacrifice et de rédemption, toutes catégories classiques auxquelles se superpose le théologoumène proprement thomiste per modum efficientiæ ; inventaire de ses effets, q. xlix, a. 1-6.

JMulla, non multum : il est de règle, chez les vulgarisateurs, de reproduire ce jugement porté par Ad. Harnack, Dogmengeschichle, 4e édit., t. iii, p. 540, sur la sotériologie de saint Thomas. Lacune qu’aggraverait le grief positif de ces « contradictions mal dissimulées d, dont parlait A. Sabatier, La doctrine, de l’expiation, p. 60, et dont J. Turmel, Histoire des dogmes, t. i, p. 440-445, vient d’enfler à plaisir l’effectif pour conclure sur les gros mots de non-sens et de fatras.

Plus encore que celles dont la construction anselmienne est l’objet, ces rigueurs tiennent, pour une bonne part, à la méconnaissance de la position catholique et de l'équilibre que ses représentants ont à cœur de garder entre les éléments divers du donné chrétien. A défaut d’une création personnelle ou d’une synthèse vigoureuse, le mérite de saint Thomas est d’avoir contribué plus utilement que personne à cette œuvre de judicieuse organisation. « La théologie traditionnelle » de l'Église lui doit « une forme et des contours définis ». H. Rashdall, The idea of alonement, p. 37337 1.

Dans cette doctrine tout entière dominée par la valeur objective de la mort du Christ, il va de soi que son efficacité subjective ne laissait, du reste, pas d’avoir, à titre subsidiaire, sa place légitime et que l'œuvre du Rédempteur ne supprime pas notre part de collaboration. Voir Thomas d’Aquin, Sum. th., IIl a, q. xlvi, a. 1 et 3 ; Bonaventure, / ;  ; IIlum Sent., dist. XX, q. v.

Quant au rôle de Satan, il n’y survit que par un souvenir fugitif accordé à l’abus de pouvoir parmi les effets de la passion. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. th., III- 1, q. xlix, a. 2 ; Bonaventure, In IIIum Sent., dist. XX, q. m. A la différence île ses parties substantielles, dont la synthèse médiévale incorporait tout le fond, cet élément adventice de la tradition patristique finissait par tomber à lien.

C’est ainsi que, dans le moule théologique élaboré par saint Anselme, l'École donnait au dogme de la rédemption ses formes définitives. Développement d’ailleurs tout occidental, dont 1' « orthodoxie » grecque tarderait à recueillir le bénéfice, voir Le dogme de la rédemption. Études critiques et documents, p. 281312, et dont quelques-uns de ses membres ne surent même pas toujours. ; 'i la longue, estimer suffisamment le prix.

Discussions et précisions ultérieures.

Achevé

dans ses lignes essentielles par les maîtres du xme siècle, l'édifice de la sotériologie catholique ne devait plus recevoir dans la suite que de légères modifications, qui, pour quelques retouches de minime portée, en respecteraient le style et le plan.

1. Œuvre critique de Scot. — Jusqu’ici l’adaptation du système anselmien s'était poursuivie d’une manière sensiblement uniforme. Avec le Docteur subtil allait commencer, pour cette doctrina recepla, l'épreuve de la révision. Voir Duns Scot, t. iv, col. 1894-1896. Les résultats de sa critique sont consignés dans Opus Oxon. : In ///™ Sent., dist. XIX et XX, édition de Lyon, t. vii, 1639, p. 412-431. Cf. Report. Paris., t. xi, p. 495-502.

Reconnaître au mérite du Christ « une certaine infinité » de par sa nature propre lui paraît une « hyperbole » ; mais le péché n’est pas davantage, en lui-même,