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RÉDEMPTION. AU MOYEN AGE : INFLUENCE DE S. ANSELME


p. 370-387. Mais des textes oratoires sur le sacrifice du Christ et la vertu rédemptrice de sa croix sont trop vagues pour rien trancher ou s’entendent sous le bénéfice d’un subjectivisme constant par ailleurs. Quant à ces « mérites » du nouvel Adam qui suppléeraient à l’insuiFisance des nôtres, In Rom., ii, P. L., t. clxxviii, col. 863 et 865-866, ils peuvent tout au plus constituer une de ces inconséquences fréquentes chez Abélard et ne sauraient donner le change sur la direction de son enseignement dans les endroits où il s’exprime en termes formels.

3. Influence.

Ces positions d’Abélard se retrouvent exactement dans l'école issue de lui. Voir ici même, t. i, col. 49-51. Cf. J. Rivière, De quelques faits nouveaux sur l’influence Ihéologique d’Abélard, dans Bulletin de litl. eccl., 1931, p. 107-113 ; Le dogme de la Rédemption au début du Moyen Age, p. 170-193 et 232-237.

Avec des nuances, Roland Bandinelli, maître Omnebene et l’anonyme de Saint-Florian témoignent de la même hantise dialectique à l'égard du rachat au démon et s’attachent à souligner l’amour dont l'œuvre du Christ est la source, pour ne toucher qu’en passant à la valeur sacrificielle de sa mort. Voir A. Gietl, Die Sentenzen Rolands, Fribourg-en-Br., 1901, p. 157162 ; H. Ostlender, Sententiæ Florianenses, Bonn, 1929, p. 14-16 ; Ps.-Augustin, Hom., 9, P. L., t. xlvii, col. 1218.

Seul Hermann, tout en gardant ce cadre, subordonne assez nettement l’infusion de la charité qui nous justifie au sacrifice que le Christ offre à Dieu dans sa passion. Voir Epilome Iheol. chr., 23, P. L., t. clxxviii, col. 1730-1732.

En même temps qu’il achève de caractériser les tendances d’Abélard, le suffrage de ses disciples n’en montre-t-il pas suffisamment le danger ?

Destinées immédiates des deux initiateurs.

A la

croisée des chemins doctrinaux qu’ouvraient devant elle ces deux maîtres illustres, ni l'Église ni la théologie du xiie siècle naissant n’eurent d’hésitation.

1. Condamnation d’Abélard. — Dénoncé par Guillaume de Saint-Thierry, puis, à son instigation, par saint Bernard, Abélard vit dix-neuf de ses erreurs condamnées par le concile de Sens (1140), puis par le pape Innocent II. La quatrième avait trait à sa doctrine de la rédemption.

En effet, la sotériologie de l'écolàtre parisien recevait une large part dans les deux mémoires accusateurs. Voir Guillaume de Saint-Thierry, Disp. adv. Abœl., 7, P. L., t. clxxx, col. 269-276 ; S. Bernard, Tract, de crr. Abœl., v, 11-ix, 25, P. L., t. cxxxxii, col. 1062-1072. Avec l’insolence agressive d’Abélard contre l’enseignement commun, l’un et l’autre attaquaient sa manière de rejeter l’assujettissement des pécheurs au démon et de réduire à celle d’un exemple l’efficacité de la mort du Sauveur. Le premier grief fut seul officiellement retenu et donna lieu à un capilulum ainsi libellé : Quod C.hristus non assumpsil carnem ut nos a jugo diaboli liberaret. Denzinger-Bannwart, n. 371.

Tout en se plaignant avec amertume d’avoir été mal compris, Abélard lui-même ne laissa pas de prendre condamnation sur cet article. Fidei confessio, dans P. L., t. clxxviii, col. 105-106. Il n’en fallut pas davantage pour couper court à son influence et arrêter le développement de la petite école qui commençait à la subir.

2. Témoignage de saint Bernard.

Rien n’est mieux fait pour montrer quel était, à l'époque, le cours ordinaire de la théologie que l’attitude prise dans ces circonstances par l’abbé de Clairvaux.

On ne se prive pas d’inscrire à son passif l’ardeur qu’il met, non seulement à défendre, comme réel au tant que « juste », l’empire du démon sur nous jusqu'à l’attentat criminel qui le lui fait perdre non moins justement, mais à proclamer « convenable » cette procédure de « justice ». Preuve certaine de la place que ces vieilles conceptions tenaient encore dans les habitudes mentales du temps. Encore est-il que Bernard s’attache surtout à revendiquer la « puissance » du démon sur les pécheurs, qu’il voyait ou croyait niée par Abélard, cf. col. 1944, et non pas précisément son « droit ». C’est dire que, chez lui, tout le débat roule sur un fait élémentaire de l’ordre religieux, sans égard aux spéculations juridiques dont il s'était peu à peu chargé. Telle est également l’unique portée de la censure infligée au novateur par le concile de Sens.

En revanche, on néglige d’observer qu’il ne déploie pas moins d'énergie pour maintenir sa signification traditionnelle au sacramentum redemplionis et que, pour l’exprimer, il fait bon accueil au concept de satisfaction. Tract, de err. Abœl., vi, 15, P. L., t. clxxxii, col. 1065 ; Lib. ad milites templi, xi, 33, ibid., col. 934 ; In Gant., serm. xx, 3 et XXII, 7, P. L., t. clxxxiii, col. 868 et 881. Voir Bernard (Saint), t. ii, col. 764-767.

Ferme témoin de la foi chrétienne au mystère de la rédemption, saint Bernard l’est aussi de la manière dont la théologie anselmiennc y était dès lors associée pour en traduire le contenu.

3. Action progressive de saint Anselme.

Pour les besoins de l’antithèse, le prestige d’Abélard auprès de ses contemporains fait pendant, chez un certain nombre d’auteurs, à l'éclipsé de l’archevêque de Cantorbéry. Ainsi encore dans J. Tunnel, Histoire des dogmes, t. i, p. 126-427. Simplification tendancieuse et de tous points contraire aux faits. Voir Le dogme de la rédemption au début du Moyen Age, p. 133-169 et 238-246.

Il est vrai que l’ancienne sotériologie démonocentrique persistait encore chez Anselme de Laon, Guillaume de Champeaux et d’autres moins importants. Le même phénomène se constate d’ailleurs tout autant après l’intervention plus véhémente d’Abélard. Ce qui prouve tout simplement qu’une question aussi favorable à la tyrannie de la routine offre un terrain particulièrement mal choisi pour mesurer l’action théologique des deux docteurs.

Sur des points plus substantiels, l’influence doctrinale d’Anselme apparaît déjà, d’une manière indirecte, dans l’allure imprimée à la théologie traditionnelle du sacrifice par des auteurs comme Pierre le Vénérable, Tract, conl. Petr., P. L., t. ci.xxxix, col. 786-798, Ilildebert de Lavardin, C.arm. mise, 52, P. L., t. clxxi, col. 1400, et Bruno d’Asti, De inc, P. L., t. clxv, col. 1079-1081, ou de l’expiation pénale, par exemple chez Rupert de Dcutz, De Trin. et op. ejus : De opère Spir. S., ii, 18, P. L., t. clxviii, col. 1612. Cf. R. Seeberg, Dogmengeschichlc, 3e éd., t. iii, p. 225.

On la saisit directement à la diffusion croissante d’un thème aussi spécifiquement anselmicn que celui de la satisfaction. Voir, dès le vivant d’Anselme, Odon de Cambrai, Disp. conl. Jud., P. L., t. clx, col. 1048 ; peu après sa mort, Guibert de Nogent, De inc, iii, 2-3, P. L., t. clvi, col. 508-509 ; Hermann de Tournai, De inc, 1-6, P. L., t. clxxx, col. 11-12 ; Honorius d’Autun, Elucid., i, 15-18 et 21, P. L., t. clxxii, col. 11201122 ; Rupert de Deutz, Coin, in Johan., iii, P. L., t. clxix, col. 330-331, auxquels on ajoutera désormais le Libcllus… cur Dcus homo, 24-37, édit. Druwé, p. [22]- [36] ; Pierre le Peintre, Lib. de s. eucli., 2-3, P. L., t. ccvn (sous le nom de Pierre de Blois), col. 1139. Témoins obscurs, mais d’autant plus significatifs, et qui annonçaient l'œuvre délibérée d’assimilation qu’allait réaliser l'école de Saint-Victor. Voir Hugues, De sacram., i, pars VIII, 3-4, P. L., t. clxxvi, col. 307309. Cf. Hugues de Saint-Victor, t. vii, col. 279.