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RÉDEMPTION. CHEZ LES PÈRES : AFFIRMATION DE LA FOI


négligeant les manifestations plus banales, mais d’autant plus représentatives, où s’accuse la permanence du donné chrétien. Quand il s’agit d’un corps organisé, il est pourtant clair que ces dernières sont celles qui comptent le plus. Or tout, de l’extérieur comme de l’intérieur, contribue à montrer que, dans le cas présent, l'Église n’a pas défailli.

Données externes.

En fait, de ces événements

qui ont agité l’histoire de certains dogmes dans l’antiquité, celui de la rédemption n’en connut jamais aucun. Ses vicissitudes sont donc tout internes, sans autres péripéties que les modalités de sa présentation.

1. La prétendue crise marcionile.

Au dire de J. Turmel, Histoire des dogmes, t. i, p. 329-332, la tradition ecclésiastique aurait passé, vers le milieu du iie siècle, par un tournant décisif.

Jusque-là régnait la conception primitive qui faisait du Christ un rédempteur politique, son retour glorieux devant enfin réaliser cet affranchissement de la puissance romaine auquel il avait sacrifié sa vie. A quoi Marcion aurait substitué l’idée mythique d’une lutte contre les puissances invisibles, dont le Sauveur triomphe en succombant d’abord sous les coups du dieu mauvais. Il aurait interpolé dans ce sens les anciens textes chrétiens, qui subsistaient de Paul, de Jean, d’Ignace d’Antioche : ce qui aurait contraint l'Église à remanier à son tour ces écrits, de manière à leur donner la forme orthodoxe sous laquelle ils se lisent maintenant. La théorie du rachat au démon, censée dominante chez les Pères à partir de cette époque, attesterait l’intluencc durable de l’hérétique asiate et en indiquerait la direction.

Pas plus que l’inversion de l'Évangile qui en est la base, voir col. 1928, ce bouleversement des origines chrétiennes n’a jusqu’ici reçu l’adhésion d’aucun historien. Tout s’oppose à ce qu’il puisse être jamais pris au sérieux.

En effet, tout autant que celui qui l’aurait censément précédé, le nouveau concept de la rédemption qui forme la clef de voûte du système n’est guère qu’une conjecture en l’air. A peine trouve-t-on la trace de ce mythe chez des disciples tardifs, alors que pas un de ses adversaires contemporains n’en laisse deviner l’existence chez Marcion ou ne lui reproche d’avoir innové sur ce point. Toutes les apparences, dès lors, sont plutôt pour qu’avec plus ou moins d’illogisme il soit ici resté dans la ligne de l'Église : de même que son docétisme ne l’empêchait pas de retenir dans son Apostolicon les textes pauliniens relatifs au sacrifice du Christ, son dualisme a fort bien pu ne pas donner lieu aux déductions que la logique abstraite semblerait appeler.

Quant à la part faite aux « droits » du démon dans la théologie patristique, elle a un tout autre caractère, voir col. 1939, et le synchronisme de leurs manifestations tend à établir qu’elle a influencé la sotériologie du marcionisme postérieur au lieu de s’en inspirer. Voir J. Rivière, Un exposé marcionite de la rédemption, dans Bévue des sciences religieuses, t. i, 1921, p. 185207 et 297-323. Cf. ibid., t. v, 1925, p. 634-642.

Au demeurant, quoi qu’il en soit des positions prises par Marcion lui-même, voir t. ix, col. 2022, on ne s’explique pas comment il aurait pu dominer à ce point l'Église qui l’a si formellement combattu. La cascade d’interpolations dont résulterait la littérature chrétienne primitive ne fait qu’ajouter à cette première invraisemblance, au nom d’une critique interne étrangère à toute méthode scientifique, voir Éd. Dujardin, Grandeur et décadence de la critique, Paris, 1931, p. 41-112 et 132-148, le paradoxe d’une franche impossibilité.

2. Cours normal de la pensée chrétienne.

Une fois

dissipé le mirage pseudo-critique de ce drame imagi naire, la doctrine de la rédemption n’apparaît plus qu’avec une destinée sans éclat, dont les phases et formes normales de la pensée patristique marquent à peine le cours.

Elle ne peut que tenir peu de place dans l'œuvre toute pastorale et d’ailleurs si restreinte des Pères apostoliques. De même chez les Apologistes, absorbés, à l’exception de saint Justin, par la défense du christianisme au dehors. N’en est-il pas de même pour les autres dogmes proprement chrétiens ? Certaines lacunes, dans le cas présent, n’ont pas plus de signification.

Avec la fin du 11e siècle et le début du m s’ouvre, au contraire, dans l'Église, l'ère des théologiens. Sans avoir spécialement retenu leur effort, il serait étonnant que la sotériologie n’eût pas recueilli quelque bénéfice de leurs réflexions. Elle survient de fait, par manière tout au moins de vues occasionnelles, chez Clément et Tertullien, beaucoup plus encore dans la défense de la tradition opposée à la Gnose par saint Irénée, où l’on a pu, avec à peine une certaine exagération de langage, très justement signaler « un Car Deus homo précoce », A. Réville, De la rédemption, p. 19, et dans l’abondante littérature exégétique d’Origène. Il n’est pas un aspect de la foi commune qui n’y soit touché.

Cette activité des intelligences croyantes ne fait que s’accroître aux deux siècles suivants. Aussi l'œuvre du Christ est-elle au moins eflleurée, au passage, non seulement par les exégètes, ceux-là surtout qui entreprennent, comme V Ambrosiaster et Pelage, le commentaire de saint Paul, ou les orateurs sacrés dont plusieurs ont composé des séries méthodiques de catéchèses, mais par les théologiens tels que saint liilaire, saint Cyrille d’Alexandrie ou saint Augustin, qui n’ont pas manqué d’en saisir le rapport avec les grandes controverses doctrinales du temps. Quelques synthèses dogmatiques, dont les principales sont le De incarnatione Verbi de saint Athanase, la Grande catéchèse de saint Grégoire de Nysse et VEnchiridion de saint Augustin, commencent à dégager le lien de la rédemption avec l'économie générale du surnaturel. Bien que moins personnels, en résumant la doctrine des maîtres, les écrivains postérieurs prennent encore la valeur de témoins.

A elle seule une histoire aussi monotone et aussi paisible n’est-elle pas une garantie de continuité? Toujours est-il que les jalons ne manquent pas à la critique pour vérifier, sous réserve des explorations plus approfondies que peuvent mériter les points délicats, la courbe suivie dans l’espèce par le courant de la tradition.

2° Données internes : Croyance de l'Église. — Par suite du pli qu’ils tiennent de leur formation religieuse ou de leur déformation confessionnelle, il est difficile, sinon même impossible, aux historiens façonnés par le protestantisme d’apercevoir ou d’apprécier autre chose, dans le passé chrétien, que la série des opinions individuelles, quand ce n’est pas des excentricités, auxquelles le sujet de la rédemption a pu donner lieu. Mais, par de la ces épiphénomènes, la véritable histoire peut et doit découvrir la foi profonde et simple dont l'Église vivait.

1. Indices contraires ? — Quelques textes ont donné l’impression à des critiques hâtifs, par exemple A. Sabatier, op. cit., p. 44, que l'Église n'était pas encore bien fixée sur le sens de la passion. Celui, par exemple, où, parmi les questions discutables, saint Irénée, Cont. hær., i, x, 3, P. G., t. vii, col. 556, indique celleci : « Pourquoi le Verbe s’est-il incarné et a-t-il souffert ? » De même lorsque saint Grégoire de Nazianze, Or., xxvii, 10, P. G., t. xxxvi, col. 25, range « les souffrances du Christ » au nombre des matières dans les-