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RÉDEMPTION. ENSEIGNEMENT DE JESUS


réversibilité des souffrances et des mérites. C’est ainsi que le sang des jeunes Machabées, martyrs de leur attachement à la Loi, est tenu pour un àvTÎ<JjuX°v, IV Mac, vi, 28-29 ; xvii, 20-23, et qu'à ce titre leur mort devient pour tout le peuple une source de salut et de propitiation. II Mac, vii, 37-38. Un terrain favorable était préparé par là, où le germe chrétien trouverait à s’enraciner.

Enseignement de Jésus.

Dans sa prédication

sotériologique il n’est pas douteux que Jésus n’ait fait entrer, en un rang spécial, le mystère de sa mort.

1. L' Évangile. — Conscient d'être « envoyé vers les brebis perdues de la maison d’Israël », Matth., xv, 24, plus que cela désireux de soulager ceux qu'écrase le poids de leurs peines, ibid., xi, 28, Jésus annonce à tous « les secrets du royaume », ibid., xiii, 11, et les conditions pour y accéder. A mots couverts, il se donne, en particulier, comme le médecin des pécheurs, Marc, ii, 17, et il en fournit la preuve en réhabilitant des courtisanes ou des publicains. Tout son Évangile est, dès lors, un message de salut, dont la répercussion intéresse jusqu'à nos destinées éternelles : suivant qu’on aura confessé ou renié son nom devant les hommes, on le sera par lui devant le Père qui est aux cieux, Matth., x, 32 ; sa parole ne laisse pas d’autre alternative que d'être sauvé ou condamné. Marc, xvi, 16.

Mais bientôt la résistance des pharisiens l’oblige à prévoir, pour sa carrière, le dénouement tragique de celle des anciens justes, Matth., xxiii, 35, et naguère encore de Jean, ibid., xvii, 12. A partir de la confession de Césarée, ibid., xvi, 21, il « commence » à faire envisager sa mort aux disciples étonnés comme une partie intégrante de sa mission, en vertu d’un vouloir divin qui lui en fait un devoir exprimé par la formule impérative 8eï. Tous les synoptiques sont d’accord pour lui prêter une triple série de prédictions où s’affirme cette idée : Matth., xvi, 21-22 ; xvii, 22-23 ; xx, 17-19 et parallèles.

Rien qu'à cette insistance on pourrait deviner que sa mort a un rôle essentiel à jouer dans l'économie de l'œuvre messianique. Jésus s’en explique formellement quand il déclare, en réponse à l’ambition des fils de Zébédée, être venu « pour donner son âme en rançon pour beaucoup », Matth., xx, 28 ; Marc, x, 45 ; puis à la dernière cène, quand il présente son sang comme le sang de l’alliance répandu pour beaucoup, Marc, xiv, 24 et Luc, xxii, 20, cf. I Cor., xi, 25 — ces deux derniers récits le font également parler en termes semblables de son corps — en rémission de leurs péchés, précise Matth., xxvi, 28 : mots d’autant plus suggestifs qu’ils faisaient corps avec une institution.

Volontiers Jésus s’appliquait l’oracle d’Isaïe sur le serviteur de Jahvé. Luc, iv, 17-21 ; xxii, 37. En assumant la mission de victime expiatoire, on voit qu’il entendait la réaliser jusqu’au bout.

A la forme près, le quatrième évangile donne au message du Christ les mêmes traits essentiels. Jésus y résume son ministère de sauveur en se posant comme « la voie, la vérité et la vie ». xiv, 6. L’obligation de se rattacher à lui par la foi en sa parole, vi, 68, s’explicite en celle d’une union organique, analogue à celle qui existe entre la vigne et les sarments, xv, 1-6. Ce qui suppose une véritable renaissance, ni, 3-8, en vue de participer à la vie même de Dieu. vi. 40 et 57. Tout cela grâce au don que le Père nous fait de son Fils, iii, 10-17 ; vi, 32-39. Mais l’ouvre de celui-ci ne s’achève que dans le mystère de sa mort, qui est tout

i la fois pour nous un exemple d’héroïsme, x, 11-18 ;

xii, 24-25, et un sacrifice de sanctification, xvii, 19.

Cette convergence des relations évangéliques est la preuve d’une tradition ferme où se reflète l’enseignement personnel de Jésus.

2. Positions de la critique.

Si les déclarations du Christ relatives à son œuvre morale ou mystique ne souffrent guère de difficultés, il en est autrement de celles qui concernent le rôle de sa mort et le sens de sacrifice expiatoire que la foi chrétienne y a reconnu.

a) Forme ancienne. — Longtemps la critique s’est exercée dans l’ordre exclusivement rationnel, en vue d’arracher leur signification dogmatique aux textes en question. Après Socin, il se trouve encore des modernes pour prétendre que se donner comme rançon n'était pour Jésus qu’une manière de laisser entendre l’influence de son amour sur les cœurs. Quant à l’alliance nouvelle, d’après J. Holtzmann et d’autres, l’effusion de son sang, comme celui des victimes offertes pour inaugurer la première, Ex., xxiv, 8, n’aurait pas d’autre but que de la sceller. Voir A. Médebielle, art. Expiation, col. 130-133 et 137-145.

Pareille exégèse fait évidemment violence au sens obvie de ces passages. Bien que peu explicite, la « rançon » ne peut raisonnablement se comprendre que d’une valeur objective offerte en vue de notre délivrance, de manière à sauvegarder, sans sortir du sens littéral par un rapprochement factice avec Matth., xvi, 26, un minimum d’analogie avec l’image initiale d’un rachat de captifs.

Quant à la « nouvelle alliance », toute l'économie de la doctrine evangélique atteste que Jésus en est l’auteur et non pas seulement le héraut. En donnant à l’efîusion de son sang « la rémission des péchés » pour objet, saint Matthieu ne fait que dégager ce que les textes moins complets des autres relations contiennent implicitement.

b) Forme actuelle. — Aussi bien l’interprétation traditionnelle a-t-clle désormais partie gagnée. C’est, en effet, la densité dogmatique de ces paroles qui devient inacceptable à la critique d’aujourd’hui et paraît dénoncer l’influence de saint Paul.

Mais, outre que la dépendance de nos évangiles à l'égard du paulinisme est une hypothèse gratuite, on ne comprend guère, si elle était réelle, pourquoi elle se manifesterait d’une manière aussi rare et aussi peu caractéristique : l’imprécision même des paroles prêtées à Jésus est une garantie de fidélité. Bien au contraire, en ce qui concerne le souvenir de la dernière cène, l’Apôtre lui-même se réfère expressément à la tradition, I Cor., xi, 23. Voir C. van Crombrugghe, De soleriologiæ christianæ primis fontibus, Louvain, 1905, p. 24-67.

En réalité, cette objection tient beaucoup moins à des difficultés positives qu'à certains postulats sur la prétendue forme authentique de l'Évangile. Si le message du Christ eût été, comme on l’a voulu, complètement dominé par la fausse perspective d’une parousie prochaine, il est clair que la notion de mort expiatoire ne pourrait y avoir ni place ni sens. A. Loisy, L'Évangile et l'Église, 1903, p. 115-117. Mais cet eschatologisme exclusif n’est qu’une simplification arbitraire — et, de ce chef, pour une bonne part déjà périmée — des textes et des faits.

Plus fantaisiste encore est la prétention de ramener le Jésus de l’histoire à la taille d’un simple agitateur national, dont toute l’ambition eût été de secouer le joug romain. Lancé par H. Eister (1929-1930), sur la foi d’un « Josèphe slave » tardif et sans autorité, ce système ne mérite pas d'être pris en considération. Voir M.-.T. Lagrange, dans Revue biblique, 1930, p. 29-46 ; R, Draguet, dans Revue d’histoire ceci., t. xxvi, 1930, p. 833-879 ; M. Goguel, dans Revue d’hist. et de phil. Tel., I. x, 1930, p. 177-190. Pas davantage la preuve de la même conception demandée par J. Tunnel, Histoire des dogmes, t. i. p. 305-321, à la dissection interne du Nouveau Testament. Il n’est pas jusqu'à Ch. Guignebert, dans Revue historique, t. clxxi, 1933, p. 567-