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RÉDEMPTION. LES DIVERS SENS


pétuel effort d’élévation et, quand il y a lieu, de relèvement ?


D’autre part, Dieu n’est-il pas sagesse et bonté ? Ces deux attributs fondent le concept de providence, qui nous interdit de le concevoir autrement qu’attentif à veiller sur l’œuvre de ses mains. Il ne peut donc pas ne pas collaborer avec la volonté humaine dans le travail de perfectionnement qu’elle poursuit. Peu de réflexion suffit même à comprendre que c’est à la cause première que doit, en l’espèce, revenir le rôle principal. On ne dépasse donc pas le plan rationnel en se représentant un Dieu qui, par les lumières qu’il répand sur la conscience, les secours qu’il départit à la liberté, ne cesse de provoquer et d’aider l’homme à se maintenir ou à se remettre dans les voies difficiles du bien. OùSè yàp ocôÇcov mcûerai, au(x60u-Xeûei Se rà àptaxa, Clément d’Alexandrie, Colwrt., 10, P. G., t. viii, col. 208. Cꝟ. 9, col. 200 : OùSèv yàç> àXk’ïj toûto epyov… ècrlv aÙTW awÇecQai. tov av0pa>7cov.

En conséquence, l’idée générale de rédemption ainsi comprise est inséparable, pour ne pas dire pratiquement synonyme, de celle de religion. Sous peine de s’évanouir, celle-ci ne comporte-t-elle pas, à titre essentiel, la prière adressée à Dieu pour obtenir son secours et, le cas échéant, solliciter son pardon ? A fortiori quand la charge de ses responsabilités dans la vie présente se complète chez l’homme par les perspectives de l’éternité.

Ces exigences de la foi religieuse ne peuvent qu’être particulièrement vives dans une religion comme le christianisme, qui affine le sentiment du devoir et développe la conviction de notre insuffisance, tandis qu’il nous invite à voir en Dieu un père toujours prêt à nous secourir. Des paraboles comme celle de l’enfant prodigue ou celle du bon pasteur qui laisse là son troupeau fidèle pour courir à la recherche de la brebis perdue sont tout à la fois révélatrices des possibilités de conversion qui restent au pécheur et de l’aide, non seulement efficace mais préventive, qu’il peut attendre de Dieu à cet effet. Il y a de même, peut-on dire, toute une anthropologie et toute une théodicée rédemptrices dans ces formules du Pater qui font demander — donc espérer — au chrétien la remise de ses dettes et sa délivrance du mal.

En un sens très vrai, la rédemption s’identifie donc à cette œuvre commune de Dieu et de l’homme d’où résulte la présence dans le monde d’un ordre moral, avec ses alternatives de paisible affirmation, de lent progrès ou de laborieux rétablissement. Mais il est non moins évident que ce serait rester à la surface du christianisme que de s’en tenir là.

Sens restreint.

 Cet optimisme spirituel inhérent

à toutes les religions, et qui consiste à mettre au service des fins humaines la force même de Dieu, la foi chrétienne le synthétise dans le mystère de l’incarnation. Le Verbe fait chair y devient le centre des voies divines et, pour l’humanité, le principe immédiat du salut. Suivant la parole de l’Apôtre, Eph., i, 10, il a plu à Dieu de « tout restaurer dans le Christ ». Et cela d’une manière exclusive ; car il n’y a plus désormais « d’autre nom sous le ciel qui soit donné aux hommes pour se sauver ». Act., iv, 12.

Aussi, dès sa naissance, Luc, ii, 11, Jésus est-il salué par les anges comme le « Sauveur » et son nom même ainsi interprété, Matth., i, 21. Mais ce salut, que le messianisme populaire détournait vers l’ordre politique et national, tout son ministère va le ramener à l’ordre exclusivement religieux.

De fait, abstraction faite de toute considération dogmatique, l’Évangile n’est-il pas un principe et une école de rédemption ? Pendant sa vie, Jésus avait prêché l’amour et le service du Père qui est aux cieux, l’avènement de son royaume et l’obligation de la péni tence pour s’y préparer. Toute son action n’avait tendu qu’à relever les pécheurs et à stimuler les âmes généreuses vers les suprêmes sommets de la perfection. Son œuvre posthume est de même nature : au judaïsme desséché, au paganisme corrompu elle a substitué la civilisation chrétienne, avec tout le renouvellement qu’elle comporte dans le double domaine des idées et des mœurs. Pour les croyants de tous les âges, en même temps qu’un docteur, Jésus n’a pas cessé d’être un modèle et un ferment par son admirable sainteté. D’une manière générale, ce sont les thèmes que la littérature de circonstance provoquée par le xixe centenaire de la rédemption (1933) s’est contentée de rafraîchir.

A cet égard, il est reçu de distinguer un triple office, prophétique, royal et sacerdotal, du Christ. Division particulièrement chère aux protestants, voir Calvin, Inst. rel. chr. (édition définitive, 1559), II, xv, 1-6, dans Opéra omnia, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. ii, col. 301-3(37, mais qui n’est pas non plus étrangère à la théologie catholique. Cf. Jésus-Christ, t. viii, col. 1335-1359. Elle peut fournir un cadre commode pour grouper et classer les multiples bienfaits que l’humanité doit au Fils de Dieu comme illuminateur des intelligences par la prédication de la vérité, législateur des volontés par ses préceptes et ses institutions, sanctificateur des âmes par la grâce et les sacrements. Voir J.-H. Osswald, Die Erlôsung in Chrisio Jesu, t. ii, p. 148-219.

Il n’y a pas moins de substance doctrinale, en peu de mots, dans cette préface gallicane de l’Avent, récupérée par un bon nombre de propres diocésains, où le Sauveur attendu est chanté comme celui cujus verilas instrucret inscios, sanctitas jusli/icarel impios, virlus adjuvaret in/irmos. Bien des prédicateurs ont le bon goût de s’en inspirer.

Ce n’est là pourtant, si l’on peut ainsi dire, que l’aspect extérieur et social de la rédemption chrétienne, où il reste encore à dégager un élément plus profond.

Sens précis.

Au nom de la seule psychologie,

toutes les misères ou détresses auxquelles la venue du Christ a pour but de porter remède ne sont, en définitive, que des formes ou des conséquences du péché. Le dogme tic la chute confirme et précise tout à la fois cette conclusion.

En dehors de ses suites funestes, le péché cependant est un mal en soi et, pour une conscience religieuse, le plus grave de tous. Il manquerait l’essentiel à l’œuvre du rédempteur si elle ne l’atteignait. Mais on peut en concevoir diversement le moyen.

1. Idées en présence.

Sur ce point, deux tendances rivales se sont fait jour dans la pensée chrétienne, suivant qu’on retenait surtout du péché la diminulio capitis qui en résulte pour son auteur ou qu’on envisageait de préférence l’atteinte qu’il porte à l’ordre divin du monde moral. A la limite, deux doctrines de la rédemption en sont issues, elles-mêmes susceptibles de revêtir bien des modalités individuelles, mais qui ne peuvent dissimuler an regard attentif les traits permanents par où elles s’opposent, au double point de vue de l’histoire et de la théologie, en deux types caractérisés.

Dans le premier cas, c’est l’homme qui est le centre et l’objet de l’action rédemptrice. Qu’il s’agisse de nous mettre sous les yeux un exemple à imiter ou, d’une manière plus intime, d’allumer en nos cœurs la flamme de l’amour divin par l’amour qu’il nous témoigne, d’ouvrir au sens du péché les consciences endormies et d’y faire naître la confiance dans le pardon de Dieu, l’activité du Christ ne cesse pas de se cantonner dans le domaine de la psychologie. Sous ces différentes variétés, la rédemption est toujours de caractère anthropocentrique et subjectif.