Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/247

Cette page n’a pas encore été corrigée

1907

    1. RÉALISME##


RÉALISME. ACCORD AVEC LES SCIENCES

iiniS

d’autre part l’objectivité des ressemblances des singuliers et la possibilité de connaître les singuliers à la base de ces ressemblances, seule une telle philosophie répondra à l’exigence de la science qui à son tour contribuera à authentifier cette philosophie ; elle est ici assez désignée par les exigences scientifiques : la science moderne postule le réalisme dont la doctrine générale se trouvait explicitée dans la philosophie médiévale scolastique, impliquée déjà dans l'Évangile. C’est un merveilleux pouvoir de l’intelligence que de classer les genres et les espèces, que de légiférer et de trouver les lois auxquelles la nature ensuite obéit : dans un monde inconnu, la première conquête de l’esprit est d’y voir clair en reconnaissant des groupes dont le comportement est semblable. Ainsi en fut-il de la science grecque et de ses archétypes. Mais on ne pouvait en rester là ; surtout à partir du moment où la Révélation, en insistant sur des réalités profondes, mettait en évidence un spiritualisme personnaliste et une vue diversifiée de la nature. Dès le Moyen Age, autour de Scot, après que le personnalisme thomiste eut été acquis, on comprend que cette » science du gé néral », que nos contemporains opposent encore parfois à l’histoire, n’empêche pas une science des concrets, des cas singuliers que nous sommes tous. Aucun phénomène n’est rigoureusement superposable à aucun autre. Par de telles considérations on se rapproche de la structure du réel, car toute classification comporte une part, petite ou grande, d’arbitraire ou d’insuffisance.

Le progrès scientifique moderne considère non seulement l’objet dans son flou spécifique, mais dans ses détails concrets. Le savant devient comme l’historien de révolution de la moindre chose. Certes on trouverait ici la pente dangereuse des lois de la nature ; ce qui importe, c’est de discerner l'écart moyen des cas particuliers vis-à-vis de la moyenne qu’est la norme. Les physiciens actuels en sont venus à cela, puisqu’ils étudient des éléments infra-atomiques suffisamment irréductibles pour que leurs lois ne soient qu’une moyenne. On tient compte des écarts moyens de la dispersion des faits par rapport à leurs lois. Les méthodes des statisticiens sont de plus en plus généralisées. Le grand nom de Calcul des probabilités sous lequel on range ces méthodes ne doit pas faire imaginer quelque mystère prophétique. Il ne s’agit en tout ceci que de pourcentages et de moyennes. — Mais à mesure que ces savants se mettent au point et que leurs méthodologisles sérieux, comme Mcyerson, leur indiquent la voie véritable, on constate davantage qu’une certaine philosophie moderne est de plus en plus inapte à rép indre aux exigences et aux résultats de la science, à ces exigences et à ces résultats auxquels la philosophie médiévale répondait si bien. Cela ne veut pas dire qu’il faille restaurer la physique désormais périmée du Moyen Age. En effet, par un étrange chassé-croisé, l’erreur et la vérité s'étaient associées en deux couples monstrueux ; il faut mettre fin à ces deux compromissions : compromission de la physique médiévale fausse et faussement anthropomorphique avec la métaphysique spiritualiste médiévale exacte et justement anthropomorphique, compromission de la science moderne exacte avec certaine philosophie idéaliste floue et insuffisante. La vérité totale, ce serait la science moderne avec la philosophie médiévale et bergsonienne. L’erreur totale, ce serait autant que la science médiévale, certaine queue de l’idéalisme post-newtonien.

Il ne s’agit pas là d’une boutade. Science médiévale et idéalisme pourraient s’accorder en un monisme. L’une et l’autre ne proclament-ils pas à qui mieux mieux la même erreur : le monde serait une unité de lois rigoureuses agglomérées en un magma, liées dans le déterminisme. Science moderne et philosophie

médiévale mises ensemble, voient au contraire le monde riche d'êtres concrets et de normes analogiques. Elles n’en constituent pas moins à elles deux, une philosophie supérieure de l’unité, d’une unité à vrai dire riche, où les minutes de synthèse succèdent à des analyses quasi infinies, où ce qui unit, comme on l’a dit si bien, est très supérieur à ce qui divise. Au lieu de l’un mathématique, au lieu même de l'être verbal et vidé de tout de Parménide, c’est l’Un Divin de la théodicée, si facilement retrouvé en théologie par les données de la foi.

3° Parmi les disciplines scientifiques dont le développement, somme toute favorable à la théologie, a été si remarquable aux xixe et xxe siècles, se trouvent les disciplines historiques. La méthode et les préoccupations de l’histoire s’introduisent partout. La théologie n’a pas échappé à cette préoccupation d’historiens. Sans doute c’a été parfois à son détriment et on a même pu dire que le modernisme a été en grande partie un historicisme. Cependant il ne paraît pas, bien au contraire, que l’histoire judicieusement appliquée ruine le réalisme catholique de la théologie. En effet, on ne peut manquer de se rendre compte de l’exigence réaliste des disciplines historiques, spécialement en théologie, pour peu qu’on reprenne l'étude de cette question, par exemple avec le P. Laberthonnière, qui en avait examiné divers éléments de solution (sans d’ailleurs parvenir à résoudre exactement le problème).

Afin d’opposer la foi à la connaissance simplement humaine, le P. Laberthonnière tenait à opposer vigoureusement les procédés philologiques de l'érudition biblique d’une part et d’autre part cette option pour le Christ ou pour telle ou telle forme de christianisme, voire d’opinion théologique, qui caractérise par sa spontanéité sui generis l’acte personnel de la sagesse du chrétien. Le réalisme chrétien et l’idéalisme grec, p. 117153. De la sorte il réussit à montrer toute la distance qu’il y a entre l’historicisme et le fidéisme. Du même coup et dans un ordre d’idées moins élevé, il permet d’apprécier quelle différence il y a entre la maigre érudition et l’histoire jugée raisonnablement. En ce sens, certaines de ses considérations peuvent être interprétées favorablement, p. 143-144 : « Le passé, dit-il, n’est pas un simple spectacle où nous serions conviés pour amuser notre curiosité ou exercer la sagacité de notre esprit. Il est historiquement la source d’où nous vient la vie. Et, de plus, il se présente à nous comme une série d’efforts sans cesse renouvelés pour retrouver historiquement et pratiquement la solution du problème que la vie pose en nous. Mais si, sous prétexte d’impartialité, en étudiant le passé, on ne cherche pas soi-même cette solution, et si, rien qu’en la cherchant, on ne l'ébauche pas, du moins par une croyance naissante, — car chercher c’est croire au moins qu’on peut trouver et c’est déjà s’orienter — on reste comme un étranger en face de ce qui s’est fait et de ce qui s’est dit. On n’a rien de plus, encore une fois, qu’une phénoménologie déconcertante. Il en résulte que tout se vaut. Et la conclusion est que rien ne vaut, c’est que rien ne tient, c’est que rien n’est solide. » P. 143-144. C’est, explique le P. Laberthonnière, qu’on a indûment, implicitement proclamé ce principe pernicieux : 17 faut rejeter toute appréciation de valeur, toute intuition des qualités ou des intentions. « On prétendait n’avoir pas à conclure sur le fond, être au-dessus et être neutre, mais, comme on n’est pas au-dessus, on n’est pas neutre. On conclut quand même, et on conclut contre soi-même et contre tout le monde par une négation radicale. » Comme on n’avait voulu introduire nulle part de jugement de valeur, on ne trouve de valeur à rien « c’est pour avoir pris cette attitude, par exemple, que la critique d’un Renan et de beau-