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REALISME. ACCORD AVEC LES SCIENCES


du sujet pensnnt. La connaissance est leur collaboration. Elles sont simultanées et solidaires.

Voilà une merveille, un miracle. Cette solidarité, cette simultanéité montrent que les problèmes de la connaissance et de l’abstraction, les problèmes du réalisme ou de l’idéalisme agnostique ne se résolvent complètement que si l’on fait intervenir, hors les causalités collaboratrices, la grande causalité première harmonisatrice et créatrice. Faute d’elle, le miracle devenant inexplicable, le système réaliste s'écroule. Aussi à voir le monde riche d’images réelles, selon les exigences réalistes du bergsonisme, on arrive à envisager une preuve de Dieu. Dieu est, ou tout redevient incompréhensible. C’est Dieu, ou c’est rien. On rentre, ici, dans le domaine des preuves classiques de l’existence de Dieu, selon saint Thomas. Il est heureux qu’un bergsonisme un peu approfondi ait besoin de telles preuves de l’existence de Dieu. Cela lui évitera à l’avenir de s’attacher par trop à des « expériences » de Dieu, plus ou moins suspectes d’erreur. Avec une théorie de l’abstraction qui jouera dans le microcosme concret illustré d’images, le bergsonisme peut aussi s’enrichir d’une preuve de Dieu. Encore faut-il reconnaître que cette théorie de l’abstraction et cette preuve de l’existence de Dieu (l’une et l’autre doctrines qu’il postule et donc auxquelles il devrait conduire), c’est le thomisme qui, en fait, les fournit. Voilà en quel sens on a droit de dire que Bergson oriente vers saint Thomas.

2. L’intuition bergsonienne en théologie.

Le bergsonisme comme tel pourrait-il aider les progrès de la théologie catholique ? Peut-être, en ce sens qu’il montre le caractère discret et pourtant sérieux du jugement de valeur par lequel on prend possession indirecte des réalités spirituelles de la théologie. La méthode de la théologie spéculative en sera précisée. L’assentiment de l’esprit dans l’intuition paraîtra quelque peu identique à lui-même et dans un raisonnement humain et dans un acte de foi. Mais, dans l’acte de foi surnaturelle, l’intuition bergsonienne devinera, en plus des intuitions humaines, la présence d’un Dieu profondément actif visant à un triomphe surnaturel de sa créature. La part de « volontaire » dans l’acte de foi ne sera pas un « volontaire irrationnel ». La foi sera une intuition humanodivine à longue portée. De même, le procédé d'étude préconisé par cette noétique bergsonienne aidera à comprendre comment, dans l’intuition, l’homme pénètre ses fins et choisit ses moyens, guidé qu’il est par de permanentes intuitions anciennes dans la mémoire vivante d’un chacun. Toute la morale thomiste peut être maintenue et comme fortifiée par cette base psychologique du bergsonisme. L’intuitionisme fera mieux comprendre la finalité.

Encore faudra-t-il adapter cet intuitionisme si l’on veut l’employer aux tâches théologiques. Avant tout, il faudrait préciser un peu plus ce qu’est l’intuition. L’intuition de H. Bergson, pour être prolongée dans le sens de la théologie thomiste demanderait une étude plus détaillée et de son intellectualisme et de ce qu’on appelle ses « options ». C’est que cette noétique véridique comporte des « options masquées », qu’il importe de bien déceler, et pour cela il faut examiner de près le mécanisme même de l’intuition.

Toute la méthode de la théologie se trouve mise en question et finalement précisée, si l’on veut bien préciser d’abord tout ce qui concerne les intuitions bergsoniennes et les options que bien des pliilosophies modernes, celle de M.Maurice Blondel, remettent en honneur. La théologie sera ce que sera la philosophie qui lui sert de base et aussi qu’elle contient à titre implicite.

Or, deux types de pliilosophies continuent depuis longtemps à se partager les suffrages des penseurs, le nominalisme absolu qui rend le monde impensable étant laissé de côté. Il reste d’une part la philosophie

des systèmes de Platon et de Kant, d’autre part la philosophie qu’on pourrait rattacher à Anstote, mais qui, explicitée surtout par saint Thomas d’Aquin et Duns Scot, rejoint plutôt H. Bergson. Pour le platonicien, l’augus.inien, finalement pour le kantien qui va au bout de cette logique, le monde est constitué par des idées qui mériteraient plus ou moins d'être traitées de divines, puisqu’elles possèdent le pouvoir prestigieux de construire ou de reconstruire des univers, systèmes immatérialistes et où l’on a tendance à dire que le monde des images n’est qu’un monde de ténèbres. Le penseur aristotélicien, thomiste, bergsonien, au contraire, demeure imprégné de cette conviction que l’idée apparaît exprimée de manière plus ou moins imagée ou du moins schématique ; et si ce penseur, plis directement bergsonien, admet des intuitions, le problème se pose pour lui de la désincarnation ou de l’incarnation des intuitions dans la matière, sinon en leurs objets mêmes, du moins quant à la connaissance que l’on peut prendre de telles intuitions à un état plus ou moins pur. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas, pour le réaliste, de nier nécessairement les idées, les formes, les esprits qui présideraient à la constitution de l’univers, comme le demande la théologie catholique. Seulement le réaliste, proche du concret, fait des réflexions plus humbles sur la difficulté qu’il y a à séparer les idées d’avec les phénomènes matériels, phénomènes matériels par exemple que sont les mots et les phrases. Il les faut toujours interpréter ; et alors, que de quiproquos commis, que de contresens. II est très beau de parler avec le très réaliste Bergson d’intuition. Mais il ne faut pas faire de ces intuitions de purs soleils intelligibles. Même lorsqu’il s’agit de sa propre pensée, chacun n’y distingue qu’un fantôme schématique ; et par là chacun est trompé, car on demeure incertain et changeant dans ce contenu de sa conscience. Ce n’est pas l’univers qui fait défaut, c’est l’humaine pensée. Or cette distance de la phrase à l’idée (qu’on rêvait intuition pure) est bien plus grande encore lorsqu’il s’agit de mots prononcés par autrui. En fait, lorsqu’on pense, les couleurs les plus vives sont images et les idées risquent d'être bien décolorées, les intuitions d'être bien floues. Les hommes sont des enfants perpétuels, feuilletant des images d'Épinal et se contentant de mettre sous chacune une légende pauvre. Le pire est quelquefois que les hommes

— et les théologiens sont hommes — se contentent de mots qui, pour être mesquins, desséchés, n’en sont pas moins des termes aux sens ambigus, équivoques. Les notions même concernant l’homme et dont i ! faut bien que la théologie morale s’occupe : vie, conscience, être, psychologie, relation, vertu, sont des réalités de sens variable, liées à des mots aussi invariables qu'équivoques. On tombe nécessaiiement dans l’approximatif et dans un certain flou. Quand il s’agit de la réalité théologique la plus importante, Dieu, ce pur esprit ne se voit point et se comprend mal. On s’en fait une idée ou plutôt îne espèce de pseudo-imagination avec des mots dont on modifie le sens pour les besoins du moment. On a d’ailleurs raison d’agir de la sorte et saint Thomas dit bien que l’on connaît les réalités invisibles par comparaison avec les réalités visibles. La comparaison, hélas 1 est lointaine et l’on conçoit que l’intuition bergsonienne relative à Dieu, pour percer plus avant, ait voulu se donner l’illusion d'être une quasi-expérience de Dieu.

X. Accord du réalisme avec les exigences des

    1. SCIENCES POSITIVES ET DES DISCIPLINES HISTORIQUES##


SCIENCES POSITIVES ET DES DISCIPLINES HISTORIQUES.

— Si la philosophie de H. Bergson se trouve d’un côté confiner, de la manière qui a été dite, avec la théologie, elle se trouve aussi très proche (en ses aspirations premières et en ses desseins continués), d’une philosophie des sciences très au courant des exigences du pro-